Mathieu Belay, Le dimanche 07 février 2016
Chefs

Les 50 chefs qui font Paris #2 : rencontre avec Frédéric Anton (Le Pré Catelan)

Seconde rencontre de notre série dédiée aux 50 chefs qui font Paris avec Frédéric Anton, chef du mythique Pré Catelan au Bois de Boulogne. L’occasion d’échanger sur les inspirations et influences de ce chef au talent incontestable (Meilleur Ouvrir de France 2000 et trois étoiles depuis 2007).
  • Portrait de Frédéric Anton, l'emblématique chef du Pré Catelan © Le Pré Catelan
    Portrait de Frédéric Anton, l'emblématique chef du Pré Catelan © Le Pré Catelan
Frédéric Anton a un œil partout, scrute chaque assiette, ne laisse absolument rien passer. Tel un chef d’orchestre, le chef triplement étoilé vérifie chaque détail, reprend ses équipes dès que c’est nécessaire.

À peine avalées les dernière bouchées de notre dessert, venant mettre un point final à un déjeuner de très haute volée au Pré Catelan, que le maître d’hôtel vient nous chercher. Il set temps de rejoindre les cuisines. C’est ici que Frédéric Anton va nous recevoir pour un entretien exclusif. Premier constat étonnant, la cuisine est partiellement baignée de lumière naturelle. Second constat, l’espace. Il y en a beaucoup. La brigade a de la place pour travailler, les conditions semblent optimales. Troisième constat, le calme règne ici. Il faut sortir les assiettes, faire en sorte qu’elles soient parfaites mais sans jamais s’emporter. Une cuisine de rêve en résumé.

Face à ses équipes, le chef originaires des Vosges est en place. Col bleu-blanc-rouge de Meilleur Ouvrier de France (concours qu’il a remporté en 2000) parfaitement ajusté, baskets au pied, Frédéric Anton a un œil partout, scrute chaque assiette, ne laisse absolument rien passer. Tel un chef d’orchestre, le chef triplement étoilé vérifie chaque détail, reprend ses équipes dès que c’est nécessaire. Toujours calmement mais fermement. Exigeant, concentré, hyper attentif, imposant; le chef n’en est pas moins chaleureux et souriant dès qu’il s’agit de nous accueillir.

Alors que le service se poursuit, toujours un œil sur chaque assiette en grand professionnel, Frédéric Anton prend alors le temps de répondre à nos questions avec spontanéité et enthousiasme. Une belle occasion de revenir sur sa carrière, sur les chefs qui l’ont inspiré et sur ce qu’il a bâti au Pré Catelan, plus que jamais au firmament de la gastronomie française.
 

Frédéric Anton dans les cuisines du Pré Catelan, en plein service © Yonder.fr
 
« Comme d’un morceau de bois brut qu’on transforme en œuvre d’art, on fait exactement la même chose avec une carotte qu’on épluche, qu’on taille, qu’on cuit, qu’on assaisonne, qu’on dresse. »

 

LES DÉBUTS

Yonder : Vous êtes né en 1964 à Nancy puis avez grandi dans les Vosges. On lit que vous rêviez alors de devenir ébéniste ? Quel a été le déclic pour vous lancer en cuisine ?

Frédéric Anton : Effectivement, je souhaitais vraiment devenir ébéniste. Je baignais dans cet univers, j’étais toujours en train de bricoler ou de travailler le bois. Pour moi, c’était une évidence. Mais dans ma région - je suis originaire de Contrexéville - je serais rapidement devenu menuisier plutôt que sculpteur sur bois. Devenir menuisier n’était pas mon ambition.

La cuisine était mon second choix. Mais ça s’est fait par hasard. Je n’avais jamais fait la cuisine, je mangeais très bien mais je n’avais jamais aidé ma mère à faire à manger. Mais quand je suis rentré à l’école hôtelière, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un vrai métier manuel, un métier où l'on transforme la matière. Comme d’un morceau de bois brut qu’on transforme en œuvre d’art, on fait exactement la même chose avec une carotte qu’on épluche, qu’on taille, qu’on cuit, qu’on assaisonne, qu’on dresse. Je n’avais pas de vocation spécifique, je n’ai pas de belle histoire à raconter mais j’ai trouvé parfaitement ma voie en m’engageant en cuisine.

Est-ce que vous aviez des héros ou des modèles parmi les cuisiniers ?

Pas du tout, c’est venu beaucoup plus tard. Il faut bien penser que je suis originaire de Contrexéville, une petite ville de 3 000 habitants, il y a près de 35 ans. On ne savait pas qu’il existait des grands restaurants. On ne connaissait pas les hommes en cuisine ni les grands chefs à part peut-être Bocuse. En allant un peu plus loin, je pouvais même penser que c’était un métier de femme car je voyais seulement ma mère faire la cuisine. Je peux me permettre de le dire maintenant car je fais ce métier depuis 35 ans.

En revanche j’ai eu la chance de débuter dans des beaux restaurants, des grands restaurants qui avaient une étoile au Guide Michelin. J’ai découvert alors l’univers des chefs, des illustres cuisiniers qu’étaient Escoffier au Alexandre Dumaine [NDLR : grand chef cuisinier du restaurant gastronomique « l'Hostellerie de la Côte d’Or » à Saulieu. Trois étoiles de 1935 à 1964, surnommé le « roi des Cuisiniers » et le « cuisinier des Rois ».].

J’aurais pu très bien aller dans une pizzeria ou dans un bistrot mais ma voie m’a amené vers la gastronomie. J’ai ensuite appris au fur et à mesure.

« Quand vous côtoyez quelqu’un comme Joël Robuchon tous les jours pendant sept ans, ça marque. »

 

LES PREMIERS PAS DANS L’UNIVERS DE LA GASTRONOMIE

Vous faites ensuite vos classes auprès de grands chefs de l’époque au Capucin Gourmand, aux côtés de Gérard Veissiere à Nancy puis au Flambard aux côtés de Rober Bardot à Lille 1987 et enfin aux Crayères à Reims aux côtés de Gérard Boyer. Que retenez-vous de cette époque ?

C’était fabuleux. J’ai côtoyé des chefs qui étaient compléments différents, en tant que personnes comme en tant que cuisiniers. Chacun d’entre eux m’a apporté quelque chose de complémentaire.

Gérard Veissière m’a inculqué les grandes bases de la cuisine française. Bardot m’a appris l’avant-gardisme, l’épure, les pointes d’exotisme, les touches asiatiques dans un contexte où c’était encore très rare. Gérard Boyer m’a apporté le côté classique et luxe du Château des Crayères.

Et puis en 1988 vous rejoignez Joël Robuchon chez Jamin, alors considéré comme l’un des meilleurs restaurants au monde, puis avenue Raymond Poincaré.

Oui, on rentre dans la cathédrale là. Travailler avec Joël Robuchon, un cuisinier illustre, un grand technicien, un passionné qui va toujours à la pointe, à l’extrême pour tout, c’était évidemment formateur. Quand vous côtoyez quelqu’un comme Joël Robuchon tous les jours pendant sept ans, ça marque.

Ça a changé votre façon d’imaginer la cuisine ?

Je dirais plutôt que j’ai appris. J’étais encore à ce moment dans une phase d’apprentissage. L’apprentissage se fait à l’école pendant quelques années mais surtout pendant plus de dix ans par la suite, auprès des chefs. Comme aujourd’hui les jeunes qui travaillent avec moi et vont demain partir dans un autre restaurant.

La transmission est importante pour vous ?

C’est fondamental. Si on ne transmet pas notre cuisine, elle mourra. On est là pour transmettre à ceux qui ont envie d’apprendre, à ceux qui sont passionnés, à ceux qui ont envie de nous suivre.
 

L’ARRIVÉE AU PRÉ CATELAN

En 1997 Patrick Scicard, président de Lenôtre vous confie les rênes du Pré Catelan. Vous étiez encore jeune, 33 ans et face à un défi important puisque cette institution parisienne battait de l’aile. Est-ce que vous avez ressenti une pression importante à cet instant ?

Absolument pas. La jeunesse, la fougue, l’envie, la passion ont fait que je ne me suis pas rendu compte des choses. Il fallait que je sois le chef, les choses se sont faites naturellement. On était dans une phase de reconstruction du Pré Catelan qui avait perdu sa deuxième étoile. J’étais là pour mettre en valeur ce que j’avais appris auprès des plus grands pendant 15 ans.

Et insuffler votre style ?

Pas tout de suite. J’étais là tout simplement pour faire la cuisine. "Je viens, je mange, je suis content, je peux revenir", c’est ça l’essentiel dans un premier temps. Après on trouve son chemin, sa patte pour amener sa propre cuisine.

Vous avez distillé votre style au fil du temps ?

Bien sûr, il n’y avait pas de stress à commencer dès le lendemain avec ma propre cuisine. À qui appartient un poulet rôti par exemple ? C’est la technique qui fait la différence. J’ai amené ce que je savais faire et commencé à travailler comme ça.
 

Frédéric Anton en cuisine © Le Pré Catelan

 

« La Thaïlande, c’est la street food, on goûte dans la rue, on est dans les racines du pays, c’est extraordinaire. »

 

INSPIRATIONS & INFLUENCES

On quitte le Pré Catelan pour quelques instants. Est-ce que les voyages ont influencé votre cuisine ?

Les voyages, j’adore. Je suis quelqu’un de très curieux. J’ai voyagé dans le monde entier mais par exemple je vais très souvent en Thaïlande. La Thaïlande, c’est la street food, on goûte dans la rue, on est dans les racines du pays, c’est extraordinaire. Toutes ces influences, tous ces goûts nous apportent énormément.
Mais si demain vous êtes à Zanzibar, au Maroc, en Égypte, vous découvrirez d’autres choses magiques qui vont influencer sur les goûts, sur les façons de faire, sur les cuissons.

Et le Japon a été une inspiration particulière ?

Pas particulièrement. J’aime manger, j’aime découvrir mais on ne peut pas refaire des choses que l’on a vues dans tel ou tel pays parce qu’on n’aura jamais le produit, le même mode de cuisson. On fait pas de copier / coller. C’est plus subtil. Une odeur en Thaïlande, c’est ça qui influence. Le plus important c’est de commencer par la rue. Ne pas chercher à aller tout de suite dans les meilleurs restaurants. C’est là où la cuisine démarre.

Et au-delà des cuisinier avec lesquels vous avez travaillé, est-ce qu’il y a des chefs qui vous ont influencé ?

Pas influencé mais je suis un grand fan de Pierre Gagnaire. Je suis toujours fan de Joël Robuchon bien sûr. Mais il y a d'autres choses. Le restaurant Lili du Peninsula, par exemple, c’est extraordinaire. Vous y allez juste pour manger le canard laqué, c’est un grand plaisir. C’est ce qui me fait vibrer aujourd’hui. Profiter d’un plat à un endroit à un moment, c’est fabuleux.

Des restaurants où vous n’êtes jamais allé mais que vous aimeriez tester ?

Bien sûr, il y en a beaucoup. Il faudrait tout simplement que j’aille chez Noma par exemple, je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller faute de temps mais j’aimerais découvrir la cuisine, le lieu. Tous ces restaurants qui sont classés, il faut…

Nous sommes alors interrompus. Cyrille Eldin arrive à l’improviste en cuisine et salue affectueusement Frédéric Anton. Après quelques minutes d’interruption, Frédéric Anton nous rejoint à nouveau.
 

Des ingrédients ou produits en particulier qui vous inspirent plus spécifiquement ?

Non pas forcément. C’est vrai que j’aime travailler la langoustine, les Saint-Jacques, la truffe ou les gibiers quand c’est la saison. Mais je suis avant tout émerveillé par le produit. Demain, il y a des super cèpes qui arrivent, je vais dire wahou, je vais commencer à le travailler et on va imaginer quelque chose. C’est le produit en lui-même qui va m’enchanter. J’évolue, je travaille par rapport aux produits et aux saisons.
 

Frédéric Anton accompagné de Jean-Jacques Chauveau, le directeur de salle du Pré Catelan © Le Pré Catelan

 

« J’avais envie de retrouver ma liberté, de reprendre le temps ici, d’être avec mes équipes, de ne plus être entre deux rendez-vous, de ne plus devoir courir. »

 

AUJOURD’HUI 

Cela fera l’an prochain 20 ans que vous êtes au Pré Catelan, 10 ans que vous avez obtenu la troisième étoile. Comment vous vous voyez votre futur ici ?

Parfaitement, je suis chez moi ici et on évolue d’une façon extraordinaire. Si j’avais voulu faire autre chose, je serais déjà parti. J’ai carte blanche sur tout ce que je peux faire, pourquoi s’en aller quand tout est parfait ? Ça n’aurait pas de sens.

Est-ce qu’en arrêtant MasterChef [NDLR : avant que l’émission ne soit arrêtée par TF1], avez-vous voulu retrouver vos cuisines ?

Quatre saisons de MasterChef sur TF1 en prime time, avec 5 à 7 millions de téléspectateurs, c’est lourd quand même. C’était un gros investissement. Attention, j’étais malgré tout au Pré Catelan tous les matins, tous les soirs. Mais j’avais envie de retrouver ma liberté, de reprendre le temps ici, d’être avec mes équipes, de ne plus être entre deux rendez-vous, de ne plus devoir courir.
 

BENOÎT VIOLIER

Un mot sur Benoît Violier enfin dont a appris la mort brutale dimanche dernier plongeant le monde de la gastronomie dans la sidération. Vous avez travaillé ensemble ?

Oui on a travaillé ensemble pendant deux ans chez Joël Robuchon. C’est très, très, très triste, je suis extrêmement peiné. C’est un garçon qui laissera quelque chose d’extraordinaire. C’était un compagnon du Tour de France [NDLR : société créée en 1889, l’Union Compagnonnique du Tour de France est une association qui rassemble des hommes de différents métiers autour d’un même idéal], il a été Meilleur Ouvrier de France la même année que moi, il avait 3-étoiles, il a été numéro un de La Liste.

On aura un souvenir extraordinaire de ce garçon qui était à la fois discret, posé, intelligent, qui vivait la cuisine. C'était un grand passionné. Pour le reste, je ne sais pas, je ne comprends pas. Il n’y a pas d’explications.

 

À lire également : notre article complet sur le restaurant "Les 50 meilleurs restaurants de Paris #2 : Le Pré Catelan"