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Emmanuel LaveranEmmanuel Laveran, Le mercredi 24 avril 2024
Chefs

Saint-Emilion : Yannick Alléno accélère à la Table de Pavie

Arrivé en septembre 2020 pour superviser les cuisines de la Table de Pavie, Yannick Alléno a décidé de s’investir dans l’adresse qui porte son nom, à Saint-Emilion. Il s’est mis en tête d’y décrocher une troisième étoile Michelin. La rédaction de Yonder.fr s’est rendue sur place.
  • La Table de Pavie - Chevreuil © Nicolas Bouriette
    La Table de Pavie - Chevreuil © Nicolas Bouriette

Deux décennies de mouvements

La famille Perse, aujourd’hui propriétaire de l’un des deux seuls Premiers Grands Crus Classés A de Saint-Emilion avec le Château Pavie, rachète, en août 2001, l'Hostellerie de Plaisance, alors sur le déclin. Le restaurant gastronomique a perdu l’étoile Michelin en 1998 et sa réputation s’étiole. En injectant plus de 30 millions de francs afin d’en faire la meilleure table et l’un des plus beaux hôtels de Saint-Emilion, les Perse recrutent d’abord le chef Christophe Canati, qui raccroche rapidement un macaron à la belle façade de pierres blondes. En 2003, c’est le télégénique Philippe Etchebest qui arrive avec l’objectif de monter dans les classements des guides gastronomiques. Nommé 3 années de suite « espoir 2 étoiles », c’est finalement en 2008 que l’Hostellerie de Plaisance se voit décerner une deuxième étoile au Guide Michelin. A ce moment-là, Yannick Alléno rencontre les propriétaires : « Je faisais un peu de moto avec Michel Portos et Philippe Etchebest, c’est comme cela que j’ai connu la famille Perse…on ne s’est jamais lâché et on est devenu amis » nous confie-t-il.

  • Château de Pavie © DR
    Château de Pavie © DR


Fin 2013, la place de chef se libère avec le départ d’Etchebest. Cédric Béchade, cousin germain de Yannick Alléno, débarque alors du Pays-Basque pour prendre en main les cuisines. L’année suivante, patatras, le restaurant perd ses étoiles pour n’en reglaner qu’une en 2015. Un nouveau changement de chef s’opère et Yannick Alléno, attentif à la maison, aide les propriétaires à convaincre Ronan Kervarrec de s’installer sur place. Quelques mois plus tard, le printemps 2017 marque le retour des deux étoiles Michelin… alors que l’été 2020 annonce déjà la démission du chef breton qui part s’installer à son compte dans sa région natale. En pleine période Covid, le téléphone de Yannick Alléno sonne : « La famille Perse m’a appelé en me disant qu’elle voulait monter d’un échelon, essayer de gagner 3 étoiles. Elle pensait que j’étais la bonne personne. A ce moment-là, j’étais prêt » ...

  • Yannick Alléno © DR
    Yannick Alléno © DR

Yannick Alléno à la Table de Pavie

D’abord un changement de nom. Pour mieux capitaliser sur la marque emblématique du Groupe, l’Hostellerie de Plaisance devient « Hôtel de Pavie ». Le restaurant, rebaptisé la « Table de Pavie, par Yannick Alléno », est pris en main par Sébastien Faramond, ancien second de Ronan Kervarrec. Yannick Alléno ne le connaît pas mais le premier contact s’avère positif : « J’ai trouvé ce garçon formidable, avec lui, je me suis dit qu’on pouvait y aller… c’est un feeling… c’est un chef très bien formé, qui sait cuisiner, il avait peut-être juste besoin d’un tuteur, quelqu’un qui le coache et le pousse un peu plus loin ». L’objectif est fixé, l’ambition simple : dépoussiérer et réinventer la cuisine locale.

  • Sébastien Faramond, Yannick Alléno et Sébastien Nabaile
    Sébastien Faramond, Yannick Alléno et Sébastien Nabaile © DR


« La cuisine régionale d’ici a besoin d’un travail profond de réforme pour donner le « la » d’une nouvelle cuisine bordelaise » nous livre Yannick Alléno. « Quand tu penses à Bordeaux, les mêmes clichés reviennent toujours à l’esprit, la lamproie, le foie gras, les cèpes… bien sûr, on va en proposer, mais on doit aussi sortir des choses nouvelles. On vient de créer par exemple une omelette d’alose, farcie de caviar d’Aquitaine, avec deux sauces particulièrement travaillées. Lorsque j’ai goûté, j’en suis tombé de ma chaise. C’est ce que l’on essaye de faire ici, mettre en place une cuisine que personne ne propose, ancrée dans une région incroyable, prendre en considération la maison pour laquelle on travaille aussi, les vins… »

  • Table de Pavie - Volaille © Nicolas Bouriette
    Table de Pavie - Volaille © Nicolas Bouriette

Producteurs locaux et philosophie de cuisine

Le terroir du Sud-Ouest s’avère d’une telle richesse. Sébastien Faramond, avec Ronan Kervarrec, avaient déjà fait un impressionnant travail de sourcing des producteurs engagés, il connait tout de l’environnement local. Alose de l’Adour, manech (race d’agneau) tête noire du Pays Basque, asperges et légumes poussant à moins de 20 kilomètres, herbes fraiches du jardin, cacahuètes de Soustons, lard gascon, caviar Prunier produit en Dordogne…associés bien sûr aux vins du cru. Lorsque l’on interroge Yannick Alléno sur la genèse d’un plat, il nous répond très directement : « C’est un travail commun avec Sébastien, on part toujours d’un produit. J’essaye d’amener mes chefs à comprendre le produit, ce qui n’est pas toujours si évident…et surtout, je les pousse à goûter leur cuisine. Une assiette se juge sur tellement de détails qu’il ne suffit pas de rester au passe. Bocuse disait que si les cuisiniers dégustaient leur cuisine, on mangerait beaucoup mieux en France. Je lui donne 100 % raison. Comprendre notre métier de restaurateur, c’est sortir, fédérer, aller vers la clientèle…savoir goûter sa propre cuisine mais aussi celle des autres. »

  • Table de Pavie - Asperges © Nicolas Bouriette
  • Le air pigeon ou l’art de surprendre par une nouvelle forme de cuisson © Emmanuel Laveran

 

Le chef aux 6 étoiles Michelin pour ses restaurants à Paris poursuit : « Ensuite il faut oser, sortir des sentiers battus, s’amuser, casser les réflexes… cela peut donner de très belles choses. Si tu ne sors pas du cadre, tu pourris ! Je demande souvent à mes chefs s’ils n’en n’ont pas marre de toujours travailler pareil ? Il faut essayer…un jour, on a attrapé un pigeon, j’ai commencé à le gonfler d’air… ». A partir de cette inspiration, le « air pigeon » a été mis au point. Il s’agit d’une bête que l’on garde entière. Scrupuleusement ligaturée, on la gave de Cognac par le bec et on la laisse reposer en chambre froide quelques jours.

  • Yannick Alleno et Sébastien Faramond supervisant la cuisson du nouveau « air pigeon » © Emmanuel Laveran
    Yannick Alleno et Sébastien Faramond supervisant la cuisson du nouveau « air pigeon » © Emmanuel Laveran


On la sort et on la gonfle d’air entre la peau et la chair, comme un ballon ou plutôt, pour les cuisiniers, comme une vessie ! Ensuite, on la cuit 15 mn à la ficelle, au-dessus d’un bain d’huile à 180 degrés, en l’arrosant en permanence. Les abats, la tête et de la chair sont hachés afin de confectionner une boulette, flanquée d’un jus corsé. A déguster la tête sous la serviette de table, tel un ortolan, l’expérience s’avère à la fois nouvelle, ludique et délicieuse. Exceptionnel de tendreté, le filet du pigeon, cuit doucement par l’air chaud et la vapeur sous la peau, fait office de second service. Il est accompagné d’un jus de carcasses lié au sang et d’une purée noix-pommes de terres d’anthologie.

Nombreuses sont ainsi les créations servies à la Table de Pavie. La « balade presque végétale », avec plus de 25 variétés d’herbes et légumes cuits séparément, s’avère un modèle du genre, hommage aux Bras de Laguiole et à Alain Passard, mais relevés d’un assaisonnement tout personnel et de lard gascon juste tiédi. Le végétal et le printemps se voient aussi célébrés dans ces « asperges en petits pois », taillées en morceaux et mélangées à des baby petits pois juteux et croquants, relevés d’un curry exemplaire, de zestes de citron meyer et d’asperges noires. Une explosion de saveurs remarquable d’équilibre, de fraîcheur et de gourmandise. La créativité s’exprime à plein dans l’énorme langoustine pochée, sarrazin torréfié, vanille, caviar, sauce au vin rouge ou le carré d’agneau huile de chorizo et jus à la mandarine.

  • La somptueuse balade presque végétale, ode au printemps à la Table de Pavie © Emmanuel Laveran
    La somptueuse balade presque végétale, ode au printemps à la Table de Pavie © Emmanuel Laveran


Des associations de très haut niveau, complexes, audacieuses et inédites, taillées pour supporter les tanins de Château Pavie et autres Grands Crus de Bordeaux. Et lorsque l’on interroge Yannick Alléno sur la création dont il est le plus fier, la réponse claque du tac o tac : « Je ne suis fier que de la prochaine création ! Je ne vais pas me gargariser d’un plat ! Quand tu commences à penser « plat signature », tu enfermes les gens dans une boîte. Je trouve très dangereux de demander à un cuisinier son plat signature parce que ça l’empêche de réfléchir au prochain. Un restaurant ne doit pas exister grâce à un plat, tu imagines réduire Robuchon à une purée… ? Non ! Un restaurant, c’est avant tout un état d’esprit ». Et s’il était là le véritable Esprit de Pavie, dans cette capacité réjouissante à surprendre, la réinvention perpétuelle de cette recette faite de lâcher-prise, de folie, de créativité, de précision et de quelques tonnes d’exigence.

  • Table de Pavie - Poire © Nicolas Bouriette
    Table de Pavie - Poire © Nicolas Bouriette
Pratique

La Table de Pavie

Fermé le jeudi au déjeuner et le dimanche et le lundi toute la journée.

5 Place du Clocher, 33330 Saint-Émilion
Tel: +33 5 57 55 07 55

hoteldepavie.com