Chez les Inughuit du Nord Groenland avec la photographe Tiina Itkonen
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Tiina Itkonen est née à Helsinki en 1968. Elle étudie la photo à l'université de Turku puis à celle d'art et design d'Helsinki, berceau de la fameuse école de photographie. Ses portraits d'Inughuit, les inuit de la région de Thulé, lui valent une reconnaissance rapide. Fascinée par le Groenland, elle ne cessera d'y retourner et le photographie depuis maintenant plus de vingt ans. Ses photos figurent dans les collections de plusieurs musées et nombreuses fondations.
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YONDER : Tiina, qu'est ce qui vous a amené au Groenland ?
Tiina Itkonen : J'étudiais la photo au début des années 1990 et je réfléchissais à ce que j'allais faire comme travail final. Or à l'époque j'étais intéressée par le Groenland et j'avais déjà lu plusieurs livres sur le sujet ; ce qui avait particulièrement piqué mon intérêt c'était un livre sur la mythologie des peuples indigènes de l'arctique. J'étais fascinée par la légende inuit de la déesse de la mer et lorsque je suis allée pour la première fois au Groenland, c'était avec l'idée de photographier la déesse de la mer, ce qui fut d'ailleurs le premier portrait que j'y ai fait, en noir et blanc.
Mais aviez vous pris contact avec des gens sur place ?
J'avais contacté Pentti Kronqvist, le directeur du musée Nanoq de l'Arctique, à Pietarsaari (Jakobstad) en Finlande car je voulais visiter son musée. Et il m'a invitée à y passer plusieurs jours en compagnie d'une artiste groenlandaise : c'est ainsi que j'ai fait connaissance de Julie Hardenberg, qui est maintenant célèbre au Groenland. Elle a été mon modèle pour mon portrait de la déesse de la mer.
Et vous résidiez dans le musée ?
Oui, c'est un endroit très spécial, comme Pentti ! Il était pompier et secouriste de métier et a participé à plusieurs expéditions dans les années 70 et 80, notamment une traversée de la calotte glaciaire du Groenland et une expédition à ski de la base de Thulé à Grise Fiord, au Canada. Il en a gardé une passion pour l'Arctique et a créé ce musée à la fin de annéees 80 avec des bénévoles, à un endroit où il avait déjà construit un petit village de huit maisons en bois. Le musée lui-même est une maison semi-souterraine en tourbe, comme l'habitat traditionnel au Groenland.
Et donc vous êtes partie au Groenland peu après ? Vous êtes allée à Qaanaaq dès votre premier voyage ?
Oui, je suis allée à Nuuk et Qaanaaq pendant l'été 95. Pentti avait lui même été à Qaanaaq de nombreuses fois et m'avait dit que je devrais absolument y aller. Mais je ne connaissais personne là-bas et ai essayé de contacter des gens par fax sans jamais avoir aucune réponse ! J'ai fini par partir quand même, et une fois sur place ai rencontré Hans Jensen, le patron de l'hôtel qui m'a trouvé une maison où dormir. Mais en fait je ne suis resté à Qaanaaq que deux jours car j'ai rencontré quelqu'un sur la plage, qui partait à Siorapaluk sur un bateau à voile.
Vous vous êtes donc retrouvée à Siorapaluk, le village le plus au Nord du Groenland, rendu célèbre par Jean Malaurie dans Les Derniers Rois de Thulé...
Oui et c'était assez difficile au début car à l'époque je ne parlais pas du tout groenlandais et personne ne parlait anglais là bas. Et puis petit à petit, j'ai appris des mots de groenlandais à l'aide du livre Greenlandic for travelers et j'ai commencé à faire quelques phrases simples. Les gens ont commencé à m'inviter chez eux. Mais il y avait aussi une Française qui parlait groenlandais...
Ah oui ? N'était-ce pas par hasard Jocelyne Ollivier-Henry, surnommée Joqulina ?
Oui c'était elle ! Je suis donc resté une semaine et demi à Siorapaluk. Je logeais dans la maison d'un chasseur qui était parti à la chasse et personne ne savait quand il reviendrait. Il n'y avait qu'un seul lit, si bien que je dormais dans le sien. J'étais toujours un peu inquiète la nuit car il n'y avait pas moyen de fermer la porte !
S'il était rentré il aurait donc trouvé une jeune femme dans son lit !
Exactement (rires). J'avais placé une ou deux chaises contre la porte pour que le bruit me réveille. Mais en fait il n'est pas revenu pendant mon séjour et je ne l'ai rencontré que lorsque je suis revenue à Siorapaluk trois ans plus tard.
Donc lors de ce premier voyage vous travailliez sur votre projet de fin d'études mais quand avez-vous décidé de démarrer un projet personnel sur le Groenland ?
Cela a pris pas mal de temps, c'est seulement après que je sois allée au Groenland en 1998 une deuxième fois que petit à petit j'ai compris que je voulais y retourner encore. Mais c'était très cher et je devais économiser. Ces dernières années, j'y suis allée beaucoup plus souvent mais à l'époque j'étais jeune et n'avais pas d'argent.
Mais votre premier livre a été publié en 2004.
Oui, quand je suis allée au Groenland pour la troisième fois en 2002 je suis restée deux mois et j'ai essentiellement terminé le livre Inughuit à ce moment. C'était au printemps et j'ai passé un mois entier à Savissivik où la photo de la couverture a été prise. Je suis tombée amoureuse de l'endroit et de ses habitants.
Pourquoi avez-vous décidé de faire des portraits ? Les visiteurs sont souvent fascinés par les paysages, mais vous n'avez publié des photos de paysages que plus tard.
J'étais fascinée par la façon de vivre des gens, par le mode vie traditionnel axé sur la chasse, par le fait que personne ne soit pressé, le fameux "imaqa aqagu" [NDLR: "demain, peut-être" ], etc.. C'était vraiment un endroit très spécial avec ce tout petit groupe de gens qui parlaient leur propre langue. Je n'avais jamais été dans un endroit comme ça auparavant. Toutefois pas mal de gens avaient déjà documenté la vie des chasseurs sur la banquise, etc. Non pas qu'il y ait eu beaucoup de touristes mais par exemple il y avait déjà eu plusieurs équipes de télé à Siorapaluk.
Je me suis donc demandé ce qui n'avait pas encore été photographié et je n'avais encore jamais vu de portraits. Or j'étais très intéressée par les gens, j'étais curieuse de savoir comment ils vivaient, qui était en famille avec qui, etc.
Quel genre de relations aviez-vous avec les gens que vous avez photographiés ?
Ça dépend, mais normalement je ne prenais pas de photo la première fois que j'allais chez quelqu'un, je souhaitais d'abord faire connaissance. Et à Savissivik c'était très facile. D'une part il y avait un chasseur qui parlait anglais, avec qui j'ai passé beaucoup de temps ; et tous les gens étaient très accueillants et m'ont invité chez eux au moins une fois. Ils m'invitaient à diner, aux anniversaires, à des voyages de chasse et m'ont même appris à chasser les mergules nains. Ils étaient extrêmement gentils. Ça tenait peut être en partie au fait que peu de visiteurs venaient à Savissivik, encore moins des gens qui y restaient un mois. À Siorapaluk, les gens étaient plus habitués à voir des étrangers.
Il faut dire que c'est un endroit isolé, qui encore aujourd'hui n'est accessible qu'en hélicoptère depuis la base de Thulé, et les retards ou annulations liées à la météo sont nombreux...
C'est vrai. D'ailleurs Savissivik a changé depuis cette époque car beaucoup de gens ont déménagé à Qaanaaq. À Qeqertat aussi j'ai été accueillie avec beaucoup de gentillesse. J'y suis également allée lors de mon premier voyage, en naviguant sur un tanker depuis Siorapaluk. Nous sommes arrivés de nuit et le capitaine, qui connaissait les habitants, a demandé si quelqu'un pouvait m'héberger. Nukkapiannguaq qui gère l'épicerie locale et est aussi l'aumônier du village s'est proposé. Je dormais dans la chambre de sa fille. Une fois de plus je partageais le quotidien de gens avec lesquels je ne parlais pas de langue commune.
C'est pour moi difficile de vous imaginer sur un tanker car je suis seulement allé dans la région de Qaanaaq au printemps, quand le fjord est gelé.
Je peux le comprendre, d'ailleurs à l'époque il n'y avait qu'une période très courte pendant laquelle le fjord était navigable. Malheureusement aujourd'hui avec le changement climatique il peut y avoir plusieurs mois où la glace n'est pas assez bonne pour se déplacer en traîneau. Le pire est quand il y a suffisamment de glace pour qu'il soit impossible de naviguer sans toutefois qu'il y ait une banquise assez solide pour supporter un traîneau.
Une fois votre livre Inughuit sorti en 2002 vous avez continué, cette fois en photographiant des paysages.
Oui. Vous savez, dans les années 90, on volait directement de Kangerlussuaq à la base de Thulé de sorte qu'à part Nuuk je n'avais rien vu d'autre au Groenland que la région de Thulé. Quand l'aéroport a été construit à Qaanaaq, le nouvel itinéraire de vol passait par Ilulissat donc je suis allé là bas pour la première fois. À ce moment, j'avais aussi plus de moyens et je suis donc allé dans plusieurs villes de la côte ouest. Je me suis rendue compte à quel point les paysages étaient merveilleux au Groenland et c'est comme ca que j'ai décidé de commencer un projet centré sur les paysages.
Cela étant, pour moi qui suis allé dans un certain nombre d'endroits au Groenland, la région de Qaanaaq offre des paysages qui sont parmi les plus fascinants, à commencer par la vue qu'on a juste au-dessus de la ville, en montant sur la colline. C'est d'ailleurs un endroit qui figure plusieurs fois dans votre livre.
C'est vrai, j'ai toujours beaucoup aimé marcher à pied sur les hauteurs au-dessus de Qaanaaq, comme d'ailleurs à Siorapaluk et à Savissivik. Mais en 2005 je suis allé à Uummannaq pour la première fois. C'est pour moi l'un des plus beaux endroits au Groenland avec Qaanaaq et ça a été le déclic pour ce deuxième projet.
C'est là que vous avez rencontré le français Jean-Michel Huctin, qui a signé la préface de votre deuxième livre, et a longtemps séjourné à Uummannaq ?
En fait je crois que la première fois que j'ai rencontré Jean-Michel c'était aux Nuits Polaires à Paris en 2004. J'y ai également rencontré Jean Malaurie qui avait préfacé mon premier livre en 2003 et que j'ai rencontré à nouveau en 2009 à Uummannaq quand il est venu inaugurer l'institut polaire qui porte son nom.
Le monde des passionnés du Groenland est décidément bien petit ! En 2009 j'étais moi-même allé à Qaanaaq et j'y avais retrouvé des habitants qui avaient connu Jean Malaurie lors du tournage de son film en 1969. Quand je suis rentré en Europe j'avais pris contact avec le secrétariat de Terre Humaine, chez Plon, car je voulais lui faire parvenir un message vidéo enregistré sur place. On m'avait répondu que le professeur Malaurie ne pourrait pas me répondre tout de suite car... il était parti à Uummannaq en compagnie du prince Albert de Monaco.
Tout à fait, cette année-là j'étais d'ailleurs venue avec mon mari et mon fils de dix mois et nous étions allés en traineau d'Uummannaq à Ikerasak, un village du district, en compagnie du Prince Albert ! Il est très intéressé par l'Arctique et était ami avec le directeur de la Uummannaq Children's Home. C'est une institution qui vient en aide à des enfants et adolescents en difficulté par le biais de différentes thérapies. Jean Michel Huctin y a d'ailleurs travaillé.
En parlant d'Uummannaq, une photo a justement attiré mon attention : celle panoramique avec de nombreux traîneaux. Dans quelles circonstances a-t-elle été prise ?
Il s'agissait d'un voyage en traîneau organisé par la Uummannaq Children's Home au printemps 2007 pour emmener les enfants voir la maison du Père Noël, qui comme vous savez a élu domicile de l'autre côté de l'île... Il y avait 27 traineaux !
J'imagine que cette autre [image ci-dessus, publiée dans National Geographic Traveler de décembre 2017 ] a été faite à la même occasion. On dirait une photo aérienne, d'où l'avez-vous prise ?
Oui, en fait il y avait une équipe de télé qui tournait un documentaire, ils avaient affrêté un hélicoptère et m'ont invitée à bord. Mais le cameraman filmait depuis la porte ouverte et je ne pouvais prendre une photo qu'en me levant mais à ce moment je devais tendre l'appareil avec le bras sans pouvoir cadrer. C'est pour ça que l'horizon est oblique.
Tiina, avez-vous d'autres projets en cours ?
Oui je suis actuellement engagée dans un projet pluridisciplinaire de trois ans visant à documenter la vie traditionnelle des chasseurs de l'Arctique et comment elle est affectée par le changement climatique. Je dois photographier des chasseurs et leurs familles tandis que la scientifique américaine Kristin Laidre doit réaliser des interviews. Je pense photographier à nouveau dans la région de Qaanaaq mais aussi sur la côte est du Groenland. Le projet s'appelle Piniartoq, qui veut dire chasseur en groenlandais. Il doit déboucher sur un livre et une exposition itinérante.
Pour conclure cette interview, voyagez-vous ailleurs qu'au Groenland, que ce soit pour les loisirs ou comme photographe ?
Oui j'aime voyager pendant les vacances mais je n'ai pas de projet photo ailleurs qu'au Groenland. J'ai toutefois fait quelques photos il y a deux ans en Alaska. J'avais été invitée par le musée d'Anchorage car je participais à une exposition collective. J'en ai profité pour aller à Kaktovik, un village d'un peu plus de 200 habitants situé sur la côte nord, le North Slope. Il se peut que j'y retourne plus tard, quand le projet actuel sera terminé.
Avannaa, Kehrer Verlag, 2014.
Inughuit, Libris, 2004.