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Pierre Gunther, Le mercredi 26 mars 2025
Interviews

« Révéler des destinations, c'est notre ADN » notre interview de Matthieu Mariotti chez Kuoni France

Matthieu Mariotti vient d'être nommé Directeur Adjoint du Tour Operating chez Kuoni, l'un des tour-opérateurs les plus prestigieux du marché. Entre circuits accompagnés, voyages sur mesure et destinations exclusives, il nous dévoile la stratégie et les ambitions de l'agence pour les années à venir, et les tendances actuelles dans le voyage haut de gamme.
  • Interview de Matthieu Mariotti, directeur adjoint de Kuoni © Gaïa DMC
    Interview de Matthieu Mariotti, directeur adjoint de Kuoni © Gaïa DMC
  • Interview de Matthieu Mariotti, directeur adjoint de Kuoni © Gaïa DMC
    Interview de Matthieu Mariotti, directeur adjoint de Kuoni © Gaïa DMC

Fondé en 1906 en Suisse, Kuoni est aujourd'hui un acteur incontournable du voyage haut de gamme, reconnu pour son expertise sur les destinations long-courriers et les circuits accompagnés. De l'océan indien à l'Italie, en passant par l'Égypte et la Scandinavie, la marque a su s'imposer grâce à son savoir-faire et sa capacité à révéler de nouveaux territoires aux voyageurs. Nommé récemment Directeur Adjoint du Tour Operating, Matthieu Mariotti revient sur l'héritage de Kuoni, les tendances qui transforment le marché et les destinations de demain.

Yonder : pouvez-vous nous présenter Kuoni en quelques mots ? 

Mathieu Mariotti : Kuoni est l’un des plus anciens tour-opérateurs, fondé en 1906 en Suisse. La première agence de voyage Kuoni en France a ouvert en 1927. C’est une marque historique, avec un véritable savoir-faire dans l’organisation de voyages haut de gamme. Notre positionnement est plutôt premium, avec un budget moyen autour de 3 000 à 3 500 euros par personne. Nous avons conservé cet ADN suisse, qui se traduit par un certain niveau d’exigence et une approche qualitative du voyage.

  • Matthieu Mariotti
    Matthieu Mariotti

 

Nous sommes spécialisés sur le long-courrier, et particulièrement sur l’océan Indien. Les Maldives, l’île Maurice et les Seychelles sont des destinations phares pour nous. Kuoni a d’ailleurs joué un rôle clé dans le développement touristique des Maldives, en étant l’un des premiers tour-opérateurs à affréter des vols vers l’archipel dans les années 80. 
Le cœur de notre métier repose également sur les circuits accompagnés, un segment qui fonctionne toujours très bien. Lorsque j’ai pris la direction de la production, j’ai d’abord été surpris que ce format reste aussi populaire, mais il évolue et s’adapte aux attentes des voyageurs. Aujourd’hui, nous privilégions des petits groupes de 12 à 18 personnes et proposons des expériences plus exclusives. Par exemple, au lieu de visiter la baie d’Halong en bateau comme tout le monde, nous proposons une approche terrestre pour une découverte plus intime.

Nous avons aussi développé des circuits en semi-liberté, notamment en Italie où les trajets entre les villes se font facilement en train. Le matin, nos clients bénéficient d’une visite guidée succincte, puis l’après-midi, ils sont libres d’explorer à leur rythme. Cela nous permet d’attirer une clientèle plus jeune et d’offrir plus de flexibilité. Enfin, la grande nouveauté, c’est que la plupart de nos circuits sont désormais privatisables. C’est une tendance forte : de plus en plus de voyageurs souhaitent partir en famille ou entre amis, parfois en groupes multigénérationnels. Ils peuvent ainsi choisir leur propre date de départ et profiter d’une expérience plus personnalisée.

  • Aux Maldives © Cheval Blanc Randheli
    Aux Maldives © Cheval Blanc Randheli

Quels sont les destinations les plus demandés par vos clients ?

En premier, il y a l’Égypte culturelle, et plus particulièrement la croisière sur le Nil qui est une tradition chez Kuoni depuis 1909. Récemment, nous avons relancé la longue croisière entre Le Caire et Assouan, une exclusivité sur le marché français, opérée sur l’un de nos bateaux. Ensuite, l’océan Indien fait partie de nos grands classiques, tout comme l’Italie, notamment grâce à l’acquisition de Donatello, un spécialiste de la destination, qui nous permet de mettre en avant des lieux plus confidentiels comme l’île de Pantelleria, ainsi que les Pouilles, que nous avons contribué à populariser sur le marché français bien avant qu’elles ne soient à la mode.

  • Faire une croisière sur le Nil, en passant par Assouan © AdobeStock Manuela Kral
    Faire une croisière sur le Nil, en passant par Assouan © AdobeStock Manuela Kral

 

Aujourd’hui, on observe une nouvelle tendance : les voyageurs commencent à se détourner des grandes villes touristiques au profit de destinations secondaires. Par exemple, en Italie, Bologne connaît un véritable essor. C’est une ville magnifique, avec moins de touristes que ses voisines, et qui offre un excellent point d’entrée pour explorer l’Émilie-Romagne. Elle permet aussi de faire des excursions à Florence dans la journée. Son patrimoine gastronomique est exceptionnel, avec de nombreux festivals et événements dédiés à la cuisine.

L'une de nos autres destinations phares est la Finlande, sur laquelle nous avons développé une expertise grâce au rachat de Scanditour dans les années 80-90. Nous opérons des vols vers la Laponie de mi-décembre à fin mars, ce qui nous permet d’être un acteur majeur du voyage en hiver. Enfin, Kuoni est historiquement reconnu pour ses voyages long-courriers, notamment en Asie, avec le Sri-Lanka parmi nos best-sellers.

  • Découvrir les plages du Sri Lanka © Amanwella
    Découvrir les plages du Sri Lanka © Amanwella


Y a-t-il une destination que vous avez aidé à révéler au marché français ?

La première destination qui me vient en tête, c’est l’Égypte encore une fois. Dès 1909, Kuoni proposait déjà des voyages sur place. Ce qui est intéressant, c’est que ces croisières sur le Nil coûtaient à l’époque plus de 2 700 francs suisses, alors que le salaire moyen tournait autour de 110 à 120 francs. C’était déjà une offre résolument haut de gamme, et cela montre bien l’ADN premium de Kuoni dès ses débuts.

Ensuite, dans les années 1980, nous avons été les premiers à opérer des vols entre l’Europe et les Maldives, contribuant ainsi à faire émerger cette destination sur le marché français.
Aujourd’hui encore, certains offices de tourisme et gouvernements font appel à Kuoni pour accompagner le développement de leur offre touristique. Par exemple, lorsque l’Arabie Saoudite a décidé de s’ouvrir au tourisme, nous avons été l’un des premiers tour-opérateurs sollicités pour promouvoir la destination et l’intégrer à nos catalogues. Enfin, sur des destinations plus confidentielles, nous avons aussi cherché à mettre en avant Sumba, en Indonésie, grâce à notre marque luxe Emotion. Nous avons introduit cette île sur le marché français bien avant qu’elle ne gagne en popularité, ce qui s’est accéléré ces deux dernières années.

Y a-t-il un produit dont vous êtes particulièrement fier ?

Nous avons conçu des itinéraires vraiment uniques, qui intègrent des surprises pour nos clients sans qu’ils le sachent à l’avance. Un exemple marquant est un programme que nous avons monté en Islande. Les participants pensaient simplement participer à une activité "plongée en eau froide" en pleine mer, mais à leur remontée, ils émergeaient en réalité à l’intérieur d’une grotte, où les attendait l’un des meilleurs chefs islandais pour un déjeuner à la lueur des lampes torches. Après ce repas exceptionnel, un système de cordes leur pemettait de remonter à la surface, où des hélicoptères les ramenaient directement à leur villa. C’était une expérience incroyable, et certains des clients nous ont confié que c’était l’un des plus beaux voyages de leur vie.

Nous sommes également très fiers de notre partenariat avec LVMH, notamment avec Cheval Blanc. Depuis 2013 que la marque s’est implantée aux Maldives, Kuoni en détient la distribution exclusive. C’est une véritable reconnaissance de notre expertise sur le segment du luxe.

  • Apprendre à plonger © fregateisland
    © fregateisland

 

Pouvez-vous nous partager un voyage qui vous a marqué personnellement ?

Pour moi, c’est l’Amérique latine, et plus particulièrement le Chili. J’aime les grands espaces, et ce pays est absolument fascinant. En à peine une ou deux heures d’avion, on peut se retrouver dans des paysages radicalement différents : la Patagonie n’a rien à voir avec le désert d’Atacama, qui lui-même est à mille lieues de l’île de Pâques ou de la région des vignobles. J’ai exploré les volcans à 5000 mètres d’altitude avant de retrouver l’atmosphère paisible d’un petit village de pêcheurs. Le Chili est un pays dont je ne me lasse pas, je pourrais y retourner encore et encore.

Ce qui me marque aussi, c’est la passion derrière certains hôtels. Certains propriétaires ne cherchent pas forcément à rentabiliser leur établissement à tout prix, mais à créer une expérience unique. C’est le cas de Viña Vik, un hôtel incroyable au cœur des vignes, conçu avant tout par amour du vin et de l’hospitalité, sans contrainte de rentabilité immédiate. Et c’est exactement ce que recherchent nos clients aujourd’hui : des lieux authentiques, où la passion l’emporte sur le simple cost control.

  • Visiter la Patagonie chilienne © Hotel Explora, Parc national Torres Del Paine
    Visiter la Patagonie chilienne © Hotel Explora


Un autre voyage qui m'a marqué c'est l’île de Nukutepipi en Polynésie, propriété de Guy Laliberté, le fondateur du Cirque du Soleil. À l’époque, l’île était même floutée sur Google Maps. Il a fini par en faire un hôtel ultra-exclusif : 1 million d’euros la semaine ! Il y a des espèces d’oiseaux endémiques que l’on ne trouve qu'ici, et un service complètement hors norme : si vous avez envie d’un sashimi de thon, ils prennent un bateau, pêchent un thon et vous le servent dans la foulée. C’était une expérience inoubliable.

Dans le même esprit, Fregate Island aux Seychelles m’a profondément marquée. Après les Galápagos, c’est l’île qui abrite le plus grand nombre de tortues terrestres géantes au monde. Se retrouver dans un sanctuaire naturel préservé, avec seulement une dizaine de villas, c’est exceptionnel. Certes, les tarifs sont très élevés, mais ils permettent aussi de financer la conservation et les recherches menées par des scientifiques sur place. Ce sont ces voyages qui rappellent à quel point nous avons de la chance d’exercer ce métier et de découvrir ces lieux uniques.

  • Découvrir les plages des Seychelles © fregateisland
    Découvrir les plages des Seychelles © fregateisland

Le segment de la croisière est assez important pour Kuoni. Est-ce que les demandes ont changé, et quid de la question écologique ?

J’ai l’impression que, pour l’instant, la question écologique est surtout dans le discours et les engagements des croisiéristes, plus que dans les critères de choix des clients. Mais c’est une bonne chose, car cette prise de conscience pousse l’industrie à se remettre en question. Par exemple, nous travaillons beaucoup avec Hurtigruten, qui a lancé un navire hybride combinant batteries et carburant, réduisant déjà ses émissions de 20 %. La compagnie a des ambitions fortes, avec l’objectif d’atteindre zéro émission d’ici 2030 grâce à l’énergie solaire et aux batteries.

  • Faire une croisière green en Norvège avec Hurtigruten © EL15
    Faire une croisière green en Norvège avec Hurtigruten © EL


Même les grands acteurs de la croisière cherchent à intégrer de nouveaux carburants et des solutions plus durables. De notre côté, nous vendons principalement des croisières Ponant ou Hurtigruten, qui sont engagées dans cette transition. Mais nous sommes aussi très fiers d’une exclusivité que nous lançons actuellement : les yachts Ritz-Carlton. C’est un concept qui, selon moi, pourrait représenter l’avenir de la croisière de luxe et même de l’hôtellerie. Ces yachts fonctionnent au gaz naturel liquéfié, disposent de systèmes électriques, de récupération de chaleur et d’une gestion des déchets ultra-performante. Mais ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas leur argument de vente principal. Sur leur site, l’angle est avant tout le rêve et l’expérience. J’ai eu la chance de visiter l’un de leurs yachts et c’est fascinant : cela ressemble plus à un hôtel qu’à un bateau. Les cabines sont de véritables chambres d’hôtel, et l’expérience est pensée pour séduire une nouvelle génération de voyageurs. Résultat, 50 % de leurs clients n’avaient jamais fait de croisière auparavant, et la clientèle est beaucoup plus jeune que celle des croisières traditionnelles. Finalement, ils allient un concept inspirant avec un engagement RSE irréprochable, ce qui les rend difficilement attaquables sur le plan environnemental.

Selon vous, quelle sera la prochaine destination à la mode en Europe ? Et dans le monde ?

En Europe, nos ventes montrent une forte demande pour l’Albanie, et ce depuis un an et demi déjà. Mais cette année, l’engouement est encore plus marqué et j'ai presque peur qu'à terme, les projets immobiliers en cours viennent transformer une partie du littoral, donc c’est une destination à découvrir maintenant. À côté de ça, on remarque aussi un intérêt croissant pour la Lituanie.

Un peu plus loin, la Colombie et la Namibie sont en forte progression, tout comme les Philippines, qui bénéficient de l’ouverture d’un vol direct par Air France depuis décembre. Nous avons immédiatement réagi en développant de nouvelles offres sur cette destination, et cela fonctionne très bien. Parmi les tendances émergentes, nous avons aussi lancé un combiné au Kazakhstan, qui rencontre un succès inattendu. C’est une destination spectaculaire avec ses immenses montagnes, ses steppes infinies et ses lacs aux couleurs incroyables.

  • Séjourner au Sonop Hôtel en Namibie © Tibodhermy for Zannier Hotels
    Séjourner au Sonop Hôtel en Namibie © Tibodhermy for Zannier Hotels


Enfin, une autre tendance intéressante de ces dernières semaines est le retour de la Jordanie. Après avoir été un peu mise de côté en raison du contexte géopolitique régional, elle regagne en popularité. Nous voyons même émerger des combinaisons Jordanie-Arabie Saoudite, avec des voyageurs curieux de découvrir la civilisation nabatéenne des deux côtés de la frontière, entre Pétra et AlUla. Une dynamique à suivre dans les prochains mois...

Chez YONDER, nous avons repéré dans l'hôtellerie et le voyage de nombreuses tendances — importance du spa et du bien-être, authenticité et ancrage local, importance du design... Est-ce que vous notez aussi des tendances de votre côté ?

Oui, beaucoup de choses. La première, qui peut surprendre, c’est l’essor du circuit accompagné chez les jeunes. Des marques comme WeRoad proposent désormais des voyages en groupe avec des départs à dates fixes, mais en intégrant des expériences adaptées aux 18-30 ans : chasses au trésor, soirées festives, activités immersives. L’UCPA, spécialisée dans le sport, fonctionne sur le même modèle et attire de plus en plus cette génération en quête de rencontres et d’expériences partagées.

Côté hôtellerie de luxe, on remarque une évolution intéressante : la générosité du service prend le pas sur la standardisation. Certaines marques comme Cheval Blanc ou Bulgari ne se contentent plus d’un service parfait basé sur des normes rigides. Elles misent sur une approche plus humaine, où le personnel a la liberté de surprendre le client. Au Cheval Blanc Randheli aux Maldives, par exemple, si un client est un habitué du spa, la directrice spa viendra elle-même lui offrir un soin Guerlain avant son départ. S’il est passionné de pâtisserie, il repartira avec des douceurs préparées par le chef pâtissier avant de monter dans l'avion. Cette personnalisation et cette attention sincère marquent la différence et créent un attachement fort aux établissements.

  • Bénéficier d’une expérience privatisée aux Maldives © Cheval Blanc Randheli
    Bénéficier d’une expérience privatisée aux Maldives © Cheval Blanc Randheli


Enfin, après l’engouement pour le bien-être et la pleine conscience, on observe un véritable retour du fitness dans l’hôtellerie. La marque SIRO, du groupe Kerzner, en est un bon exemple : leur premier hôtel à Dubaï place le sport au cœur de l’expérience. Dès l’entrée, une immense salle de sport remplace le lobby traditionnel, et le point de contact du client n’est pas un majordome mais un coach personnel. En chambre, on trouve un shaker de protéines plutôt qu’un minibar classique, et le spa est conçu comme un véritable espace de récupération, baptisé “Recovery Lab”. Autre phénomène notable dont m’ont parlé mes collègues américains, le développement aux États-Unis de retraites intégrant des psychotropes comme les champignons ou le LSD, utilisées dans un cadre encadré pour explorer le bien-être et la conscience de soi. Ce n’est pas un marché sur lequel nous sommes positionnés, mais c’est amusant à observer.

  • Découvrir le fitness dans les Recovery lab SIRO © Natelee Cocks
    Découvrir le fitness dans les Recovery lab SIRO © Natelee Cocks


Enfin, le concept du all-inclusive, longtemps réservé aux hôtels 3 ou 4 étoiles club, fait une percée spectaculaire dans l’ultra-luxe. Des établissements intègrent désormais le champagne, les excursions et des expériences exclusives dans leurs offres. Les clients sont prêts à payer cher, mais en échange, ils veulent pouvoir lâcher prise totalement et ne plus penser aux détails pratiques de leur séjour.

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