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Emmanuel Laveran, Le mercredi 12 octobre 2022
Chefs

Marie Soria, cheffe de Potel & Chabot, qui nourrit Roland Garros

À l’occasion de Roland Garros, rencontre avec Marie Soria, cheffe des cuisines de Potel & Chabot depuis 2016. Son parcours, l’enjeu monumental que représente ce tournoi pour l’entreprise... Interview.
  • Potel Chabot © Caspar Miskin
    Potel Chabot © Caspar Miskin
  • Potel Chabot © Yannick Labrousse
    Potel Chabot © Yannick Labrousse
  • Fraicheur de petits pois et abricots saumon confit © Caspar Miskin
    Fraicheur de petits pois et abricots saumon confit © Caspar Miskin
  • Potel Chabot © Yannick Labrousse
    Potel Chabot © Yannick Labrousse

Avec une affluence de près de 40 000 spectateurs par jour, Roland Garros représente l’un des plus grands événements sportifs organisés à Paris. Pour nourrir tous ces visiteurs, il fallait une structure de taille. Depuis près de 10 ans, Potel & Chabot, maison de traiteur fondée en 1820, s’occupe de l’ensemble de la restauration, générant des chiffres astronomiques : 60 espaces de restauration éphémères, dont 17 loges dans le Village, représentant jusqu’à 6 000 couverts par jour…

 

YONDER : Comment est née votre passion pour la cuisine ?

Maria Soria : Quand j’étais petite, nous partions avec mes parents, bretons d’origine, en vacances chez Michel Guérard à Eugenie (Eugénie-les-bains). Madame Guérard avait un ancien cheval de course réformé qui était souvent attaché à côté des cuisines. J’aimais bien aller le voir, et regarder en même temps ce qui se passait aux fourneaux par la fenêtre ! J’ai été vite mordue : n’étant pas passionnée par l’école, pour moi il n’y avait aucun doute, je voulais faire de la cuisine.

  • Marie Sori © Etienne Garnier
    Marie Sori © Etienne Garnier


 

Vous avez donc fait une école hôtelière ?

Oui, une école hôtelière en Bretagne, Le Paraclet. 250 candidats pour 25 places, ma mère s’est tout de suite dit que c’était perdu d’avance (rires). Contre tout attente, je suis arrivée dans le haut du panier, première ou deuxième ! Puis pendant mes stages, je n’ai eu que des expériences positives en cuisine, j’ai toujours fait des rencontres de chefs exceptionnels.
 

Quel est votre parcours ?

Au début, je faisais des stages dans ma région. À l’époque, les restaurants embauchaient peu de filles, beaucoup de grandes tables m’ont refusée. J’ai commencé au Château de Kernuz, puis je suis allée chez Ludovic le Torc’h. Je n’ai jamais fait de grands restaurants étoilés, que des petites maisons avec des chefs passionnés, qui en ont fait des endroits incontournables. Je suis ensuite venue à Paris, pour faire quelques extras en évènementiel. C’est là que l’on m’a conseillé d’aller toquer chez Potel et Chabot. Le chef Jean-Pierre Biffi venait d’arriver depuis un an. Je me suis rendue sur place, j’ai déposé ma candidature, un peu au culot, et dès le lendemain, j’étais embauchée.

  • Potel & Chabot © DR
    Potel & Chabot © DR
 
le « Menu Coup de Foudre » s’adapte aux allergènes, aux végétariens, végans, et sans gluten

Que vous a apporté Jean-Pierre Biffi ?

C’est mon mentor, mon papa, mon chef… Il est parti à la retraite et j’ai pris sa place en 2016. J’ai fait tous les postes chez Potel : le garde-manger, le poisson, j’ai même fait de la déco, j’aimais bien ce côté créatif. Je suis restée deux ans, puis le chef a eu besoin de moi en cuisine, alors j’ai accepté de le rejoindre. Je travaillais du côté production, je faisais les cartes, élaborais les recettes, en amont des événements.
 

Pouvez-vous nous parler de l’organisation à Roland Garros ?

On fait jusqu’à 6 000 couverts par jour répartis sur le village central et les loges. Chaque endroit a une expérience différente. Dans le village, il y a de petites loges qui donnent sur l’extérieur. Sur le central, ce sont des loges qui donnent sur le court, dans lesquelles on pratique un modèle de restauration un peu plus business, avec de grands salons.
 

Pratiquez-vous un menu unique ou y a-t-il des propositions différentes selon les espaces ?

C’est un menu unique, qui change tous les jours. On a aussi des propositions différentes pour les demandes spéciales. Par exemple, le « Menu Coup de Foudre » s’adapte aux allergènes, aux végétariens, végans, et sans gluten. Et on a aussi un menu Cocktail pour les gens qui veulent rester debout. J’aime bien le concept, mais je trouve qu’on perd un peu le côté gastronomique, que j’ai du coup instauré avec le menu du jour. On l’écrit en décembre, et on travaille avec des maraîchers en direct pour qu’ils fassent les semis au bon moment, et ainsi avoir les stocks et la bonne taille de légumes au début de Roland Garros.


Avec qui travaillez-vous par exemple ?

Actuellement, avec Éric Roy. Il a été le premier maraîcher à nous apporter ses magnifiques légumes, et en personne ! Il nous a livré en début de tournoi pour faire une belle assiette de légumes le premier jour, qu’on a pu bien travailler en amont. Les équipes arrivent le dimanche : 250 cuisiniers environ et 800 maîtres d’hôtel. On les rencontre la veille, le samedi, et le dimanche, c’est le service. Le lundi, on stabilise le menu pour éviter les changements pour le reste de la saison, ou les choses qui pourraient potentiellement perturber les équipes.

  • Potel & Chabot © Emmnanuel Laveran
  • Potel & Chabot © Emmnanuel Laveran

 

Où se font toutes ces préparations ?

Tout se fait au laboratoire dans le seizième. Nous sommes 90 la journée, 30 la nuit. Le labo tourne 24h/24. C’est le noyau du réacteur, je l’appelle « ma machine de guerre ». Je suis entourée par des chefs comme Max, Olivier, Sébastien, Aurélien… Ce sont mes bras droits, mes bras gauches, mes cerveaux. J’ai cette chance d’avoir une vraie structure sur laquelle je peux compter en permanence, ils me connaissent par cœur, et on se fait confiance. Je sais où ils sont capables d’aller et ce qu’ils sont capables de faire.
 

L’événement a lieu pendant 15 jours assez intenses, quelle est la différence par rapport à une grosse réception sur 2 ou 3 jours ?

C’est différent car mes équipes sont préparées physiquement, et ont dit au revoir à leurs familles. Ils sont entièrement consacrés à l’événement pendant 3 semaines. L’adrénaline monte, et quand on arrive sur l’évènement, on est prêts à 3000%. À la fin, j’ai tous envie de les prendre dans mes bras parce que je sais à quel point le travail a été intense. Cette année, on a tous les niveaux de cuisine : des chefs qui viennent de palaces comme des étudiants. Il n’y a pas que des profils pros, c’est un mélange de compétences, et c’est ça qui fait notre force.
 

Combien y a-t-il de cuisines sur le stade ?

On a trois cuisines centrales : sous le village, sous le central, et sous les loges. C’est là où tout est assemblé, où toutes les assiettes sont composées. C’est aussi là où sont mes chefs de stade, qui connaissent bien les enjeux de la production, grâce à leurs années d’expérience chez Potel. C’est l’équivalent d’un chef exécutif, ils peuvent gérer tous les problèmes que l’on peut rencontrer, les affaires personnelles, les demandes particulières, tout ça en plus des 1200/1300 formules proposées. Il faut être armé pour gérer ça. Le service est différent de celui d’un restaurant, car en continu, il faut rester concentré toute la journée.
 

Comment gérez-vous les livraisons de matière première ?

C’est Gilles, le directeur des achats, qui s’occupe globalement de toutes les commandes. Il a 30 ans de maison. Je lui fais mes demandes, et il connaît mes exigences et mes conditions. On essaye de tout travailler en ultra-frais, en direct des producteurs, en agriculture raisonnée, et en Île-de-France. On arrive à avoir des volailles fermières élevées en France, mais pour le bœuf, c’est un peu plus compliqué cette année de rester dans nos frontières. Nous sommes une maison française, je me bats pour protéger nos producteurs, et s’il faut payer les produits 15% plus cher, je n’hésite pas. Pour le poisson, on suit les campagnes de pêche et on fonctionne à l’appel d’offre, pour sélectionner la meilleure qualité. On ne peut pas travailler directement avec un poissonnier, mais on respecte les saisons et l’environnement au maximum.

  • Fraicheur de petits pois et abricots saumon confit © Caspar Miskin
    Fraicheur de petits pois et abricots saumon confit © Caspar Miskin
À chaque fois, il faut s’adapter aux nouveaux espaces, à la qualité des produits, il y a forcément des inconnues

Donc vous ne travaillez que des produits frais, comme dans un grand restaurant ?

Presque intégralement. Même les jus et les bouillons sont faits maison de A à Z. Ce sont les valeurs de l’entreprise, que nous tenons à défendre. On commence à réaliser les sauces en décembre, pour être prêts le jour J. J’ai un chef saucier qui débite lui-même ses carcasses, et je peux vous dire que c’est un sacré boulot ! Du matin jusqu’au soir, les sauteuses sont pleines de jus. Mais le côté fait maison a aussi ses défauts… Ce matin j’étais avec Vincent, qui s’occupe de l’arrivage. Les livraisons lui donnent beaucoup de fil à retordre. Rien que pour les herbes fraîches, il y a des cagettes partout, on ne peut plus circuler ! Alors imaginez pour les asperges et les artichauts qui arrivent entiers !
 

Le service se fait de la même manière le midi et le soir ?

Le soir on a développé un super concept qu’on a rapporté du Japon après y avoir fait les JO avant le COVID : on présente le menu sous forme d’étages : l’entrée est posée sur le plat chaud. Le dessert vient après, dans une petite cocotte avec un dessin ou chocolat ; il y a toujours quelque chose de ludique. Hier soir, c’était le tourteau de casier avec une fine gelée, une petite vinaigrette acidulée et une jolie salade. Puis, un jarret de veau confit avec un bouillon aux agrumes, des petits légumes et une purée au citron, c’était magnifique.

  • Potel & Chabot © Caspar Miskin
    Potel & Chabot © Caspar Miskin


Est-ce que vous essayez de travailler les produits en entier ?

Oui, on essaye de valoriser toutes les parties des volailles ou des poissons. C’est une méthode intelligente de réduire le gaspillage et aussi les coûts. On utilise aussi les peaux de légumes : on fait rôtir au four les peaux de carotte, d’artichauts, de céleri, puis on les fait sécher et infuser dans des bouillons. On pourrait pousser encore plus loin sur certaines choses, mais il nous faudrait plus d’espace et de temps.
 

Hors Roland Garros, vous rappelez-vous d’un événement qui a été difficile, qui vous a donné du fil à retordre ?

Chaque événement est un nouveau challenge. On va bientôt partir sur la Coupe du Monde au Qatar, et assurer 6000 couverts. À chaque fois, il faut s’adapter aux nouveaux espaces, à la qualité des produits, il y a forcément des inconnues. Mais je me repose sur la structure qui est derrière moi, j’ai une équipe géniale. Il y a des difficultés mais rien n’est insurmontable. On a travaillé avec Paul Pairet il n'y a pas si longtemps à Versailles. Il voulait reproduire son restaurant ultraviolet, avec le son la lumière, le bruit, et les écrans à l’Orangerie. Après le premier rendez-vous, je me suis dit qu’on n’y arriverait pas. Et on l’a finalement fait sur 3 jours, c’était dingue.
 

Comment procédez-vous dans ce genre de cas ?

Il vient nous voir avec ses équipes, on fait un testing et on valide ensemble. Ces chefs sont incroyablement créatifs, ils sont complètement fous, mais les résultats sont absolument géniaux. Systématiquement, on doit s’adapter aux demandes particulières avec notre matériel. On se déplace, on installe tout, on est un peu des saltimbanques finalement !

  • Potel & Chabot © DR
    Potel & Chabot © DR

Mais certains endroits ne sont pas du tout adaptés n’est-ce pas ?

Si on manque d’électricité, je vais essayer de pallier ce problème avec du gaz. Nous avions fait un événement en Égypte dans le temple de Toutankhamon avec très peu d’électricité. On avait des bougies et du gaz, et on a sorti un pigeon magnifique juste saignant sur l’os. C’est mon travail. Les cuisines équipées en deviennent presque ennuyeuses ! On trouve toujours de nouvelles techniques, et même en difficulté, on doit surmonter les problèmes. Lors d’une soirée organisée pour l’association de Di Caprio, Madonna nous avait pris toute l’électricité avec son concert, il n’y avait plus de jus en cuisine. On a quand même réussi à s’en sortir, en attendant un peu, et en la laissant faire une chanson supplémentaire.
 

Quelle est votre plus grande fierté chez Potel & Chabot ?

Ce qui est challengeant, c’est de faire d’un produit qu’on n’affectionne pas particulièrement, une recette exceptionnelle. En ce moment, on fait du saumon – alors que ce n’est pas le produit que je préfère – en entrée, confit à l’huile, avec des abricots et une sauce acidulée. Avec mon équipe, on échange beaucoup, ce ne sont pas mes décisions mais une mise en commun des nôtres. Ils n’hésitent pas à me donner leur avis, et à me freiner quand ça ne leur plaît pas. Parfois, je les écoute, parfois je veux aller au bout de mon idée. On a des recettes qui fonctionnent à tous les coups, et qui font quasi l’unanimité ! Certaines existent depuis des générations et n’ont pas bougé d’un millimètre, comme notre fameux soufflé ! Mais nous tenons à les adapter aux tendances actuelles, en ajoutant de nouvelles épices ou des éléments originaux. Par exemple, on a mis un vinaigre de sureau sur une base de fumet de poisson, le résultat était fantastique.

  • Potel & Chabot © DR
    Potel & Chabot © DR


Vous avez des recettes classiques, mais aussi des nouveautés ?

Tous les ans on a notre collection, nos recettes phare. On est fiers d’avoir aussi une table Végan. On se creuse la tête pour que ces clients prennent autant de plaisir que les autres. Ça nous permet aussi de tester de nouvelles techniques que je ne connaissais pas, comme le travail de la noix, très utilisée dans la cuisine végan. Je trouve que ça fait partie de notre mission de pouvoir proposer des tables sans viande, ni poisson, ni laitage, tout en gardant la gourmandise ! On a déjà fait une betterave fumée à l’huile de noisette qui était exceptionnelle. On l’a faite cuire sous vide au four à vapeur, puis on l’a fumée, et on l’a mixée avec de l’huile de noisettes qui avaient macéré dans le vin. On a aussi fait un curry vert avec des lentilles jaunes et des graines croustillantes.
 

Est-ce que vous gérez d’autres événements en même temps que Roland Garros ?

Nous avons fermé cette année au moment de Roland Garros. D’habitude, nous restons ouverts, mais c’est devenu trop compliqué avec les repas du soir (NDLR Roland Garros a organisé des matchs en nocturne cette année), et avec les difficultés de personnel… on ne voulait pas prendre de risque. Je ne voulais pas abîmer les autres affaires en proposant un service qui n’était pas à la hauteur. On a pris cette décision tous ensemble. C’est un choix compliqué car le mois de Juin, c’est la période où les gens ont envie de faire des évènements en extérieur. Mais tant pis, ils attendront la fin de Roland Garros !