Notre river trip au fil du Nil, de Louxor à Assouan
La dahabiya, la préférée des explorateurs
« Alléchés par les réclames, les Cookies affluent chaque hiver en dociles troupeaux » écrivait en 1907 Pierre Loti évoquant sa croisière avec des clients de l’agence Cook. Ponctuées de somptueux monuments, les rives du Nil fascinent depuis toujours. Avant l’arrivée des bateaux à aubes, qui furent détrônés plus tard par les monstres à coque d’acier, les dahabiyas constituaient le moyen de transport favori des riches familles égyptiennes, mais aussi des grands voyageurs et des érudits qui exploraient le pays.
Leur origine remonterait à l’époque pharaonique. La barque solaire du pharaon Khéops (2600 avant notre ère) en serait la première forme. Ce type d’embarcation a évolué au fil des millénaires, embelli par les souverains mamelouks qui l’ont baptisée dahabiya (qui signifie dorée). Aujourd’hui, elles séduisent les amateurs de croisières de luxe intimistes, d’autant que leur faible tirant d’eau permet d’accéder à des sites presque confidentiels.
Jour 1 - L’arrivée
Notre odyssée sur le fleuve roi débute à Louxor. A peine débarqués de l’avion, une felouque nous conduit jusqu’à la dahabiya Reines, amarrée sur la rive ouest, à l’opposé de grosses unités chargées de touristes.
Propriété de l’agence Les Voyages de Pharaon, dirigée par son fondateur l’Égyptien Mohamed Salem installé en France depuis 30 ans, la nouvelle dahabiya Reines navigue sur le Nil depuis début octobre. Décorée dans un style néo-victorien, qui évoque l’opulence d’une époque révolue, cette unité tout en bois de 55 m de long, entièrement climatisée, peut accueillir 20 passagers, chouchoutés par 24 membres d’équipage parlant français. Les 10 cabines doubles de 21 m2chacune, dotées de larges baies vitrées, offrent le confort d’un hôtel de luxe. Entre deux escales, on farniente sur le pont soleil, on goûte une pause fraîcheur dans le jacuzzi, on partage, à l’ombre d’un dais, un buffet à thème ou un barbecue. Le soir, les agapes ont lieu dans l’élégante salle à manger, où des spécialités égyptiennes et françaises, élaborées avec des produits frais, sont mitonnées par le chef cuisinier Yasser. Un défilé de plats plus appétissants les uns que les autres, qui s’achève avec les desserts du chef pâtissier Ahmed. Difficile d’y résister même si l’on n’est pas un bec sucré.
Jour 2 - Rive droite du Nil
Sur la rive est, les premiers rayons du soleil dorent l’ancienne Thèbes, capitale de l'Égypte au Moyen et au Nouvel Empire. Édifiés il y a plus de 4000 ans, les temples, inscrits sur la liste du patrimoine de l’Unesco, constituent le premier point fort du voyage. Même si leurs abords champêtres ont cédé la place à la touristique cité de Louxor, on se laisse envoûter par la magie des lieux.
Matin : Karnak
Départ vers 8h (avant la foule et la chaleur) pour une immersion dans ce gigantesque puzzle archéologique. Véritable musée à ciel ouvert, Karnak, élevé à la gloire du dieu Amon-Rê, est l’œuvre des pharaons du Nouvel Empire. Durant 2000 ans, au retour de leurs campagnes victorieuses, les dynasties des Aménophis, Thoutmosis et Ramsès ont offert une part de leur butin à la triade thébaine, Amon, son épouse Mout (déesse-vautour) et leur fils Khonsou (dieu lunaire). Plus grand complexe religieux de toute l’Antiquité, étiré sur 2 km2, Karnak illustre la démesure pharaonique. Un site XXL, notamment la grande salle hypostyle aux 5000 m2 hérissés de 134 colonnes, dont certaines de 22 m de haut sont surmontées de chapiteaux épanouis en ombrelles de papyrus.
Après-midi : Louxor
Moins spectaculaire, le temple de Louxor est gardé par deux colossales statues de Ramsès II et un obélisque (le deuxième, place de la Concorde, a été offert à la France en 1830 en reconnaissance des travaux de Champollion). Considéré comme le harem d’Amon, Louxor accueillait chaque année, au second mois de la crue, la fête de l’Opet. Au départ de Karnak, les barques sacrées de la triade thébaine, portées par les prêtres, remontaient en procession l’allée bordée de 700 sphinx à tête de bélier. Le dieu venait y rejoindre sa parèdre (Mout) pour des épousailles divines destinées à fertiliser à nouveau le pays. Programmée, peu avant le coucher du soleil, lorsque la lumière est moins crue, la visite permet de décrypter sur les bas-reliefs le déroulement de la cérémonie de l’Opet. Un exercice facilité par Shérif Adel, notre guide égyptologue francophone, qui sait donner vie aux hiéroglyphes.
Jour 3 - Rive gauche du Nil
7h. Direction les sépultures royales de la Thèbes ouest. La rive gauche était le domaine d’Osiris, dieu de l’au-delà. Les pharaons du Nouvel Empire, de Thoutmôsis Ier à Ramsès XI, ont fait creuser leurs demeures d’éternité dans la montagne, contrairement à leurs prédécesseurs inhumés dans des pyramides.
Matin : la Vallée des Rois
Au pied d’une rocailleuse montagne, se cachent 64 hypogées. Mais les dommages causés par la surexploitation touristique du site imposent des ouvertures par rotation. Le billet d’entrée nous permet d’en découvrir trois sur la dizaine accessible ce matin. On pénètre dans chaque tombe par un corridor souterrain, conduisant à travers différentes salles jusqu’à la chambre funéraire. Les parois sont décorées de fresques qui s’inspirent des textes sacrés pour guider le défunt dans l’au-delà.
1.Tombeau de Ramsès Ier, relativement modeste (le pharaon n’a régné que 2 ans). Outre un imposant sarcophage en quartzite rouge, des peintures murales colorées représentent le roi en compagnie des dieux Osiris et Anubis.
2. Tombeau de Merenptah, fils de Ramsès II. 180 marches descendent jusqu’à la chambre funéraire, soutenue par des piliers endommagés par les inondations. Le gisant du pharaon, coiffé du némès, est positionné sur un sarcophage de granit.
3. Tombeau de Ramsès III, orné de fresques inspirées du Livre des Morts. L’explorateur écossais James Bruce l’avait surnommé « tombe des harpistes », en référence à un bas-relief du deuxième corridor. La cuve du sarcophage en granit est exposée au Louvre et sa momie repose au Musée du Caire.
Deir el-Bahari
De l’autre côté de la montagne, presque inséré dans la roche, le temple funéraire de la reine Hatchepsout ressemble à une construction moderne. Une architecture symétrique, composée de trois terrasses reliées par des rampes centrales. A la mort de son mari Thoutmôsis II, bravant les traditions, cette femme ambitieuse s’arroge le titre de pharaon et réussit à régner pendant 20 ans. Les statues la représentent comme un homme, portant la barbe, vêtue d’un pagne et du némès, les trois symboles du pouvoir. Des fresques racontent son expédition au mythique Pays de Pount, d’où ses navires sont revenus chargés de marchandises exotiques. Pour tenter d’effacer sa trace, quelques bas-reliefs ont été martelés notamment par son beau-fils qui lui a succédé.
Medinet-Habou
Ce vaste domaine doit sa notoriété à Ramsès III, qui avait fait bâtir ce « château de millions d’années » à l’endroit où, d’après la légende, reposaient les huit premiers dieux qui avaient créé le monde. Colonnes et plafonds témoignent de la richesse ornementale de l’époque avec des hiéroglyphes colorés.
Les Colosses de Memnon
Dressées au milieu des cultures, ces deux statues de 18 m de haut (21 m à l’origine) taillées dans un seul bloc de quartzite, marquaient l’entrée d’un temple disparu d’Aménophis III. Dans l’antiquité, elles constituaient une attraction touristique. Selon l’historien grec Strabon, la statue nord, fissurée lors d’un tremblement de terre, chantait au lever du soleil. Mais sa restauration par l'empereur romain Septime Sévère, pour gagner les faveurs de l'oracle, l’a réduite au silence.
Après-midi : première navigation
Retour sur la dahabiya, la tête remplie d’images et de dynasties qui s’entrechoquent. Il est temps de larguer les amarres pour digérer la leçon d’histoire et succomber à la lenteur de la navigation. Grâce à un pousseur latéral, qui évite bruit de moteur et odeur de carburant, Reines glisse silencieusement sur le fleuve nourricier. Le voyagiste possède une deuxième dahabiya, Rois (8 cabines à la décoration victorienne mâtinée de touches orientales et au confort comparable) qui vogue depuis 2010. Alternativement, les deux unités remontent et descendent le Nil de Louxor à Assouan. Et vice versa.
Direction Esna
Après le déjeuner, on cède aux délices du farniente sur le pont, en dégustant le traditionnel karkadé, boisson aux fleurs d’hibiscus. Ici une felouque déploie sa voile blanche, là un pêcheur ramasse ses filets, plus loin un fellah s’affaire dans son champ tandis que des ânes trottinent chargés de fagots. Même si quelques usines émergent parfois, ces rives verdoyantes offrent un panorama unique, où se mêlent petits villages et îlots jardins. Peu après le coucher du soleil, nous atteignons la localité d’Esna pour le passage de l’écluse tandis que du minaret voisin s’échappe l’appel du muezzin.
Jour 4 - Cap sur Edfou
Matin : El Kab
Spectacle bucolique au réveil face aux berges où abondent cannes à sucre, bananiers, palmiers-dattiers. La dahabiya est amarrée à l’orée d’un petit village proche du site d’El Kab (anciennement Nekheb), inaccessible aux gros bateaux. La colline est truffée des tombeaux rupestres de notables du Nouvel Empire. Le plus connu, celui de Paheri, nomarque (gouverneur) et scribe sous le règne de Thoutmosis III, conserve des peintures relatant des scènes agricoles. A côté, celui de son grand-père, Ahmès-fils d'Abana, chef des rameurs du roi, conte les campagnes militaires qui ont conduit à la chute des Hyksos, envahisseurs barbares, et à l’unification de l’Égypte.
Après-midi : Edfou
Peu à peu, les rives verdoyantes cèdent la place au désert. Escale dans la bouillonnante Edfou, sillonnée de calèches, qui nous conduisent à l’un des temples les mieux conservés. Dédié au dieu faucon Horus, ce temple ptolémaïque de grés s’inspire du style pharaonique. Laissé à l’abandon sous les Romains, puis enfoui sous le sable et les limons, il a été dégagé par l’égyptologue Mariette à partir de 1860. Outre le sanctuaire qui abrite une reconstitution de la barque sacrée d'Horus (l’originale est au Louvre), un mur du couloir ouest relate le combat d’Horus contre son oncle Seth, qui avait assassiné son père Osiris. Cette légende est développée lors du son et lumière déambulatoire, qui s’achève devant le grand pylône de 36 m de hauteur.
Jour 5 - Direction Kom Ombo
Matin : Gebel Silsileh
Encore une étape réservée aux petites embarcations. C’était la principale carrière, qui fournissait un grès de qualité pour la construction des temples de Haute-Égypte. A côté de scènes de la vie quotidienne, des inscriptions expliquent les techniques d’extraction et de transport. Le site abrite également des sanctuaires creusés dans la roche, dont le spéos d’Horemheb, bâti de son vivant. Scribe, puis général ambitieux, Horemheb usurpa le titre de pharaon. D’origine modeste, à la recherche d’une légitimité qu’il n’avait pas, il s’est fait représenter sur les bas-reliefs avec le téton d’Isis dans la bouche.
Après-midi : Kom Ombo
Aux portes de la localité, sur une colline dominant le Nil, se dresse un double temple gréco-romain, commencé par Ptolémée VI. De part et d’autre d’un axe principal, des bas-reliefs, affichant symétriquement les mêmes scènes, rendent hommage à droite au dieu Sobek (dieu de la fertilité), à gauche au dieu Horus. On y remarque Marc-Aurèle offrant des instruments chirurgicaux pour guérir la cécité d’Horus. Selon une ancienne croyance, le don de l'empereur aurait permis de guérir la cataracte de la divinité et sauver le monde d'une catastrophe sans précédent. Martelé par les coptes, pillé, envahi par les crues du Nil, partiellement détruit par des tremblements de terre, restauré dès 1893, Kom Ombo expose dans un petit musée des crocodiles momifiés, retrouvés à l’entrée du temple.
On profite des dernières heures de navigation, porté par la poésie du Nil, envoûté par la lumière hypnotique du désert. Envie de faire quelques brasses ? A la demande, Reines stoppe devant la plage d’une petite île, le temps d’une baignade sous le regard amusé d’un groupe d’enfants.
Jour 6 - Assouan
Matin : Temple de Philae
Le point fort de cette dernière escale est le temple dédié à Isis, déesse de l'amour. Selon la légende évoquée à Edfou, le roi Osiris aurait été tué par son frère Seth, qui aurait dispersé son corps dans tout le pays. Isis aurait récupéré les restes de son époux et lui aurait donné une nouvelle vie en le momifiant, pour qu’il devienne le dieu des morts. Commencé sous Ptolémée II, ce temple bien conservé a failli disparaître. Situé en amont de la première cataracte, à demi-immergé de 1934 à 1964 lorsque l’on ouvrait les vannes du premier barrage, il était condamné à une mort certaine avec la construction du Haut-Barrage. Sous l’égide de l’Unesco, entre 1972 et 1980, ses 40 000 blocs ont été déplacés un par un sur l’île d’Agilkia, où l’on accède en bateau. Ce vaste site renferme des témoignages égyptiens, grecs, romains, du temple d’Isis au kiosque de Trajan. Des croix coptes évoquent même la période chrétienne.
Après-midi : déambulation en ville
Bien que très urbanisée, Assouan ne manque pas de charme, plantée face à la première cataracte et auréolée de roches de granit. Un décor apprécié par Agatha Christie, qui aimait prendre ses quartiers à l’hôtel Old Cataract (Abtal El Tahrir Street). De la terrasse en surplomb du Nil, on contemple l’île Éléphantine, jadis plaque tournante du commerce (bois précieux, ivoire, or, épices) et l’île Kitchener au jardin botanique, créé par le commandant de l’armée égyptienne qui lui a donné son nom. Une vision féerique lorsque le soleil couchant enflamme les flots piquetés de felouques, les dunes dorées en toile de fond. A la tombée de la nuit, la balade peut s’achever dans le souk éclairé de lanternes, où se mêlent monticules de dattes et d’épices.
Jour 7 - Abou Simbel
Dix ans avant Philae, les temples d’Abou Simbel, menacés eux-aussi par les eaux du Haut-Barrage, ont été transférés sur la rive gauche du lac Nasser. Orchestré par l’Unesco, ce sauvetage d’une ampleur titanesque a mobilisé des experts internationaux. Entre 1964 et 1968, 3000 personnes ont travaillé pour remonter 65 m plus haut, ces deux temples encastrés dans des rochers de grès roses du pays nubien.
Le petit temple
Il est voué au culte de Néfertari, l’épouse favorite de Ramsès II, et d'Hathor, déesse de l'amour. Il porte en façade six statues du monarque et de sa femme. À l'intérieur, les divinités invoquées sur les frises sont principalement des déesses.
Le grand temple
Dédié au dieu Amon Ré et à Ramsès II, il est paré en façade de quatre grands colosses assis de 20 m de haut, présentant le pharaon coiffé de la double couronne du royaume (Haute et Basse Égypte). Ce temple a été édifié peu après la victoire de Ramsès sur les Hittites, illustrée par la bataille de Qadesh sur des bas-reliefs. Au fond du temple, sur une banquette de pierre, trônent quatre statues Ptah, Amon, Ramsès et Rê-Horakhty (divinité solaire). Deux fois par an, à l’aube, les 22 février (jour de l’ascension au trône du pharaon) et le 22 octobre (jour de sa naissance), les rayons du soleil se glissent jusqu’au naos pour éclairer durant 24 mn la statue déifiée de Ramsès. Seul le dieu Ptah, rattaché au monde souterrain, reste toujours dans l’obscurité. Cet éclairage avait été orchestré par les architectes du temple pour réinvestir symboliquement l’éclat divin du pharaon et l’inscrire dans un cycle de perpétuelle régénération. D’après l’examen de sa momie en 1976 à Paris, le souverain, qui régna 66 ans, aurait vécu jusqu’à 92 ans.
Les Voyages de Pharaon, 20 Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris.
Croisière Royale 8 jours-7 nuits : forfait à partir de 2733 € avec vol Transavia au départ de Paris, pension complète et excursion en véhicule climatisé jusqu’à Abou Simbel. Pour éviter un fastidieux aller-retour d’environ 7h, il est préférable d’opter pour l’excursion (à partir de 498 €) 2jours/ 1 nuit dans un hôtel avec piscine à Abou Simbel, incluant le son et lumière.