
Notre rencontre avec Anne Coruble, Cheffe Pâtissière à The Peninsula Paris
Yonder : Bonjour Anne, pouvez-vous nous présenter votre création de Pâques de cette année ?
Anne Coruble : Pour 2025, je suis partie sur un œuf qui évoque une tête d'ail noir, légèrement caramélisée. Nous l’avons confectionnée comme une bonbonnière, c'est-à-dire avec un système de fermeture et un chapeau que l'on peut décoiffer. Nul besoin de casser cet œuf pour en révéler l’intérieur, des fèves assez copieuses faites de praliné noisette et d’une ganache à l’ail noir.
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Œuf de Pâques du Peninsula Paris 2025 © Laurent Fau
On a donc deux intérieurs avec des textures différentes, assez régressives : le chocolat au lait pour plaire aux enfants, et l'ail noir, que pourraient tout de même aimer les plus jeunes car il a des notes balsamiques et suaves, presque comme la réglisse ou le pruneau. Personnellement, son côté « pâte de fruits » me fait penser à cela, et la forme générale évoque la découpe d’une cabosse de cacao avec ses fèves. Tout comme les fèves de cacao, que l’on fait fermenter avant de les torréfier pour obtenir le chocolat, l’ail noir résulte lui aussi d’un processus de fermentation, après avoir été séché. C'est ce parallèle entre les deux fermentations qui m’a inspiré pour l'Œuf de 2025.
Vous aviez l’ambition d’être originale ?
Je ne fais pas de conventionnel, c'est sûr ! J’aime toujours sortir des sentiers battus. Ça me plaît d'utiliser des ingrédients que l’on va retrouver davantage dans la cuisine que dans la pâtisserie comme l’ail. J’aime aussi la curiosité de découvrir un produit en trompe-l'œil, qui dissimule quelque chose à l’intérieur. La surprise est aussi bien visuelle que gustative !
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Laitue braisée, trévise glacée, vinaigrette tagète - pré dessert à l’Oiseau Blanc © arbesfood
Et sur le palais, cela donne quoi ?
On retrouve une saveur plutôt régressive, avec des tons de vanille, de chocolat et d’amande. Ce sont des produits connus donc rassurants, les goûts sont plutôt classiques et plairont aussi bien aux enfants qu’aux adultes.
Pouvons-nous remonter le temps et revenir sur votre parcours ?
Après un bac scientifique, je me suis orientée vers la pâtisserie car j’aime beaucoup la précision et la créativité de cette discipline. J’ai fait mes armes dans des boutiques, et notamment dans la chocolaterie pendant un an. Ensuite, j’ai travaillé au restaurant du Bristol durant 5 ans et demi auprès du chef Éric Frechon en cuisine, et en pâtisserie avec Julien Alvarez et Laurent Jeannin.
Aujourd’hui, comment se passe votre collaboration avec David Bizet ?
Nous sommes originaires de la même région. Moi, la Normandie du Nord, lui, la Normandie du Sud et on aime les mêmes produits.
C'est-à-dire la crème et le beurre ?
Tout à fait ! Et nous sommes tous les deux enclins à créer des choses qui ressemblent à d’autres et à élaborer un menu en symbiose. C’est une collaboration très fluide, agréable, David Bizet me laisse libre de créer et une vraie confiance s'est installée. Nous partageons une vision commune, notamment sur l'importance de pousser plus loin la recherche autour des ingrédients. Personnellement, j’aime bien casser les codes de l'œuf de Pâques traditionnel et le chef Bizet m'a laissé les mains libres là-dessus.
Est-ce que vous travaillez ensemble sur les menus de L'Oiseau Blanc ? Vous lui présentez vos créations directement ou vous lui en parlez dès le stade de l’idée ?
Par exemple, au moment de travailler sur l’ail noir, je lui ai présenté un croquis afin de lui soumettre mon idée. Souvent, il me donne son accord, puis je poursuis la recherche, en particulier pour les desserts-assiettes. On collabore aussi quand on doit créer un menu, lui décide de l’entrée et du plat et moi du dessert. Parfois, ce qui est très drôle, c’est que je pense à quelque chose, et il se trouve qu’il avait le même ingrédient en tête pour ses plats ou ses entrées. Il y a d'autres fois où il a envie de se servir d'un légume en particulier et moi aussi. Ou inversement, il veut partir sur un fruit de saison comme la fraise dans une entrée alors que je vais travailler sur l’asperge dans un dessert. On a souvent les mêmes curseurs à des saisons différentes.
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@annecoruble IG
Comment faites-vous pour être en symbiose avec le chef Bizet et ses menus qui évoluent sans cesse ?
En effet, on essaie de changer la carte tous les mois en fonction de la saison, car les fruits et légumes évoluent. Par exemple, en hiver, quand il propose le très attendu lièvre à la royale, on souhaite des notes puissantes, très poivrées dans les desserts. On cherche alors des saveurs plus osées. Au contraire, quand le printemps pointe le bout de son nez, il part sur du végétal, donc on va chercher des notes fraîches avec de l’acidité. Finalement, je connais ses attentes, son identité. Je goûte ce qu’il fait, et lui ce que je fais. Je dirais que tout cela se déroule de façon très lisse, tout simplement.
Comme lui, vous avez un parti pris pour l’amertume et les goûts marqués : amer, acide... ?
Oui, j’adore l’acidité. Mais j’aime aussi me laisser surprendre par des produits inconnus. Quand en cuisine la brigade se met à préparer des condiments que je ne connais pas, j'ai toujours envie de goûter. Et parfois, je réalise que certains ingrédients se prêtent parfaitement aux desserts. En ce moment, par exemple, j’associe l’oignon à la vanille dans une création sucrée. Je travaille aussi sur un dessert qui marie vanille, Chartreuse et asperge verte. Je ne me limite donc pas aux classiques comme les fruits, le chocolat ou la vanille : mon objectif est vraiment de préparer du jamais vu.
Depuis combien de temps êtes-vous ici ?
Depuis 5 ans et demi.
Donc heureuse ?
Oui, super heureuse !