On a testé la table du Lucas Carton, sublimée par la fougue de son jeune chef, Hugo Bourny
Note : 9/10 | Le contexte : testé par la rédaction en avril 2022.
Le pitch | Révolution de velours dans un palais de la gastronomie parisienne
Même pour un critique aguerri, entrer dans la Maison Lucas Carton, place de la Madeleine, n'a rien d'anodin. C'est comme si on sentait le poids des 150 ans d'histoire culinaire de cette « Taverne de France » (ouverte en 1860, sous Napoléon III) et l'empreinte des chefs qui s'y sont succédé. Sans oublier l'imposant cadre Art Nouveau qui, pour majestueux qu'il soit, peut également impressionner le gourmet qui s'y aventure pour la première fois.
Songez donc à présent ce que cela doit être, pour un jeune chef d'origine charentaise, de relever le défi de prendre la suite du légendaire Alain Senderens (1985 à 2013) qui y a tenu les 3 étoiles pendant plus de dix ans ou même de Julien Dumas (2014 à 2021) ; pour sa première place en nom propre ! C'est pourtant ce que fait Hugo Bourny, et de la plus belle manière qui soit, tout en douceur mais avec conviction, depuis une petite saison. Plutôt discret au sein d'une génération de chefs forts en gueule, le nouveau chef de la Maison n'a pas besoin d'en faire trop pour convaincre qu'il a trouvé sa place ici. Son CV parle pour lui : Donckele, Pic, Darroze, son assiette aussi. D'ailleurs, à peine arrivé, il est remarqué par le Michelin, qui lui donne à lui, l'étoile que l'établissement avait déjà.
Dans l'assiette ? « L'épure et l'exubérance »
Ce titre donné au menu du chef prouve d'entrée de jeu qu'il ne faudrait pas prendre sa réserve naturelle pour de la timidité ou de la fausse modestie. Si l'abord est policé et les dressages gastronomiques splendides, les associations et les goûts se révèlent beaucoup moins lisses qu'on ne pourrait le penser. Voire même un peu rock'n'roll, compte tenu du lieu et du quartier. Ainsi, après un amuse-bouche autour de la carotte, relevée de Reine des prés et de vinaigre Rosso, la « langoustine de casier juste marinée, crème crue fumée bergamote, feuille de poivrier de Tasmanie et caviar Primeur Sturia » saisit par sa vivacité. Le tourteau qui suit, avec « velour d’amande au citron caviar, céleri et garum d’oursins » achève de mettre dans le bain.
Ici, on ne navigue pas en eaux tièdes. Au contraire, les goûts sont puissants. Ce que confirme « la lotte de notre mareyeur Gauthier, marinée à l’ail des ours, puis fumée et maturée, Chartreuse et asperges blanches du pêcheur ». Cela faisait longtemps que l'on n'avait pas trouvé un quelconque intérêt à ce poisson blanc... Nous voilà réconciliés. La « volaille du Perche de Stéphanie Leveau contisée à l’ail noir, artichaut fermenté, huile de fleur d’ail et cardamome noire » garde le rythme, jusqu'au « bœuf d’Arnaud Billon, maturé par nos soins, frotté aux algues et Katsuobushi, béarnaise, salicorne et chips de céleri » qui clotûre la partition salée en beauté.
Le sucré est aux mains de Jordan Talbot, jeune prodige lui aussi, dont on devrait entendre reparler lors de la mise en place prochaine du tea-time à l'étage de la maison Lucas Carton... Pour l'heure, on se laisse charmer par ses créations graphiques et savoureuses. À l'instar de ce « Citron Meyer d’Étienne et Perrine Schaeller, en marmelade et confit, sorbet amande et fleur d’oranger » ou encore ce magnifique « chocolat grand cru du Venezuela de Nicolas Berger, crème infusée au macis, sorbet à la menthe , grué de cacao ». Du grand art. Qui va jusqu'à un pré-dessert et des mignardises très soignées. Sincèrement impressionnant de maîtrise et de finesse. Hugo Bourny et sa brigade ne ruent pas dans les brancards, ne « cassent pas les codes », ils font beaucoup mieux et beaucoup plus subtilement.
Mais aussi ?
La Maison Lucas Carton est la propriété de la famille Vranken (champagne Vranken-Pommery) depuis plus d'une vingtaine d'années. Le champagne y coule donc à flots, mais pas exclusivement. La cave de la Maison compte pas moins de 300 références, dont de très belles et très rares allocations. Laissez-vous guider par les conseils avisés du chef sommelier Marcantonio Sassi et succombez à l'accord mets&vins qui ici est divin.
Dans la salle ? L'Art Nouveau en majesté
Qu'il est agréable de s'attabler dans un décor aussi grandiose, qui met déjà dans les meilleures dispositions pour le repas qui va suivre. En effet, ici les sublimes boiseries réalisées par Louis Majorelle — classées à l’inventaire du patrimoine culturel des monuments historiques — sont omniprésentes et magnifiquement conservées. Le reste du décor est à l'avenant, fidèle à l'époque, rendant un vibrant hommage aux plus belles années de l'Art Nouveau à Paris.
Le service ?
Gastronomique moderne. En un mot, au cordeau sans être ampoulé. Prévenant sans être envahissant. La salle, menée par la nouvelle directrice Marie-Jeanne Ramel et par le chef sommelier Marcantonio Sassi, peut s'enorgueillir d'être au diapason de la cuisine. Bravo.
Les plats à goûter ?
La carte ne comporte pas — à proprement parler — de plat signature, car elle change complètement selon les saisons. Pour autant, le chef de cuisine comme le chef pâtissier ont chacun leur élément fétiche, qu'ils déclinent à l'envi. Pour Hugo Bourny, il s'agit de la lotte du mareyeur Gauthier. Quant à Jordan Talbot, c'est le chocolat grand cru du Vénézuela de Nicolas Berger. Des produits d'exception, bien entendu.
Bon à savoir ?
Le Petit Lucas, au premier étage de la maison, est une alternative astucieuse pour épater la galerie à moindres frais... Avant de revenir pour passer aux choses sérieuses ! Guettez également le retour du tea-time de Noël, un enchantement très raisonnable au moment des fêtes, en plein Triangle d'Or.
Les prix ?
Menus en 4, 5 ou 7 services, de 100 à 190€. Avec pièces apéritives, amuse-bouche, pré-dessert et mignardises. Accords mets & vins et/ou sélection de fromages franciliens, sur demande.
Notre avis en un clin d’œil
Avec Hugo Bourny et Jordan Talbot aux commandes de ce paquebot Art Nouveau, la Maison Lucas Carton est vraiment entre de bonnes mains pour aborder son troisième siècle d'existence sans sourciller et remettre le cap sur les étoiles sereinement.
Note de la rédaction : 9/10
* La note reflète l'intégralité de l'expérience (assiette, cadre, atmosphère, service, rapport qualité-prix...) et est relative au positionnement de l'établissement (un excellent bistrot peut se voir attribuer la note de 10/10). Les tables recueillant des notes égales ou inférieures à 5/10 ne font pas l'objet de chroniques.
La Table du Lucas Carton
Maison Lucas Carton
9, Place de la Madeleine 75008 Paris
Services déjeuner et dîner, du mardi au samedi.