Hong Kong : à Lung King Heen, la gastronomie cantonaise « trois étoiles »
Si la cuisine cantonaise est de loin l’une des plus exportées dans le reste du monde, il aura fallu attendre 2009 — et le lancement du Guide Michelin à Hong Kong et Macao — pour lui donner la place qu’elle mérite dans le club très select de la haute gastronomie. Trois étoiles venues récompenser son ambassadeur le plus emblématique, le chef hongkongais Chan Yan Tak. Celui que l'on surnomme « Chef Tak » était alors revenu en cuisine après une retraite anticipée.
Trois étoiles qui auraient bien pu échapper à « Chef Tak »
En 2005, alors que l'hôtel de luxe Four Seasons Hong Kong est sur le point d’ouvrir ses portes, les propriétaires ont une ambition claire : accueillir en son sein la fine fleur de la gastronomie française, cantonaise et japonaise [depuis 2018, le prestigieux comptoir tokyoïte Sushi Saito s'est dédoublé au sein de l'hôtel, NDLR]. Pour la première, ce sera Caprice, avec aux commandes le chef français Guillaume Galliot depuis 2017.
Pour la deuxième, un seul et unique chef semble à même de relever le défi : Chan Yan-Tak, considéré comme l’un des meilleurs ambassadeurs de la cuisine traditionnelle cantonaise, alors déjà parti en retraite. Qu’à cela ne tienne ! Tenté par l’aventure, le chef remet son tablier et retourne en cuisine, prenant les rênes du restaurant Lung King Heen. « Je n’ai pas hésité longtemps » se souvient Tak. Quatre ans plus tard, c’est la consécration. Le restaurant décroche trois étoiles dans la toute première édition du Guide Michelin Hong Kong. Une première pour une grande table de cuisine chinoise.
Un cuisinier à la carrière discrète
Aujourd’hui âgé de soixante ans, Chan Yan-Tak, Hongkongais pure souche que rien ne prédestinait à un tel parcours — il débute à treize ans dans les cuisines du restaurant Dai Sam Yuen, avant de gravir un à un les échelons d’établissements réputés de l'ancienne colonie britannique — peut s'enorgueillir d’avoir redoré le blason d’une tradition gastronomique injustement considérée comme mineure au-delà des frontières chinoises.
À rebours de nombreux chefs sillonnant la planète à la recherche de nouvelles influences, le chef n’aime rien de moins que d’être présent en cuisine auprès de ses équipes. « Ma cuisine est avant tout cantonaise. Mais dans cette ville multiculturelle qu’est Hong Kong, on trouve aussi des influences françaises, japonaises, mexicaines… ». Son secret ? « Avoir pris le temps d’apprendre, en observant les plus grands, mais aussi en travaillant beaucoup, jusqu’à plus de douze heures par jour. ». Un sens de l’observation et un dévouement que l’on retrouve encore aujourd’hui chez ce chef discret, reconnu pour son humilité.
Dans les coulisses de Lung King Heen
C’est en descendant dans les cuisines du restaurant triplement étoilé que l’on comprend que la gastronomie cantonaise requiert un travail de préparation extrêmement long. Si la superficie des cuisines est en elle-même impressionnante, l’organisation des espaces ne l’est pas moins. Entouré d'une brigade de 52 personnes travaillant à ses côtés, pour certains depuis plus de 20 ans, le chef, toujours attentif, passe d’une salle à l’autre, supervisant chaque opération. En cuisine, on va d'ingrédients de luxe — tel que l’ormeau, considéré comme l’un des mets les plus raffinés de la cuisine chinoise — aux légumes méconnus dans nos contrées, en passant par les volailles et petits cochons — attendant sagement leur tour pour être cuits directement sur la flamme ou dans de grands fours en forme d’ogives. Derrière la technique, un sourcing méticuleux, réalisé chaque jour par le chef lui-même sur les étals du marché, auprès de producteurs qu’il connaît personnellement.
Tout est réglé comme du papier à musique. « Les bouillons doivent être passés plus de quatre fois au bain-marie, les sauces demandent plus de huit heures de préparation, les légumes doivent être ciselés à la perfection… Sans oublier la confection de plus de 200 dimsums, qui seront ensuite cuits à la vapeur en dernière minute. » détaille le chef avec des étincelles dans le regard. Tout doit être prêt pour 11h30, heure à laquelle démarre le premier service.
À table, une expérience « trois étoiles »
Au 5e étage du Four Seasons Hong Kong, Lung King Heen — littéralement « vue du Dragon » — offre une vue spectaculaire sur le port Victoria. Dans une élégante salle à manger au décor classique, une clientèle locale d’habitués se mêle aux visiteurs de passage venus découvrir ici l'une des meilleures tables de gastronomie cantonaise du monde. Au déjeuner, un menu en sept étapes, accompagné d’une surprenante cérémonie du thé réalisée dans les règles de l’art par Yuki, experte en thés chinois, à la manière d’un accord mets-vins. Une révolution gustative pour les papilles occidentales, découvrant ici toute la richesse de saveurs précises et d'associations harmonieuses.
Avec pour commencer, trois délicats dimsums servis dans de petits paniers vapeur. Chef Tak insiste pour qu'ils soient dégustés très chauds ! La température de service, l'une des obsessions du chef, est calculée avec minutie « afin de permettre à chaque saveur de s’exprimer avec la plus grande précision une fois en bouche ». Puis ce sera au tour de la bouchée signature à l’émincé de poulet surmontée d’un ormeau. Un met luxueux ayant inspiré de nombreux autres chefs, et un parfait exemple du soin qu’apporte Tak à la réalisation de ses plats. On distingue une fine entaille au milieu du coquillage, afin de pouvoir le déguster plus facilement en deux bouchées. « Lorsque je crée un plat, je pense à la personne qui le mangera. Tout doit être pensé pour que son expérience soit la plus parfaite possible. »
La suite sera à la hauteur de cette excellente entrée en matière. Comme le veut la tradition, le riz est servi avant le dessert — accompagné d'une impeccable sauce XO, récompensée du titre de Meilleur Condiment par le Hong Kong Best Eats de CNN —, assurant aux convives une dernière chance de satisfaire leur faim, dans l’éventualité où il leur resterait encore quelque appétit. D’un bout à l’autre, le jeu sur les textures et les températures étonne les palais les plus affûtés.
Quinze ans après l'ouverture du Four Seasons, et plus de dix ans après l'arrivée du Guide Rouge dans le territoire chinois, Lung King Heen n’est certes plus l'unique table cantonaise triplement triplement étoilée de Hong Kong. Mais le restaurant emmené par Chef Tak n'en reste pas moins son incarnation la plus emblématique.
Lung King Heen
Au Four Seasons Hotel Hong Kong
Ouvert tous les jours au déjeuner et au dîner.
Menu déjeuner à partir de $660 HKD ; menu dégustation du chef à $2,180 HKD.
8 Finance St, Sheung Wan, Hong Kong
Tél : +852 3196 8888
Site Web du restaurant Lung King Heen