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Mathilde BourgeMathilde Bourge, Le mardi 11 juillet 2023
Chefs

Entretien avec Jérôme Schilling, chef deux étoiles et Meilleur Ouvrier de France

Jérôme Schilling est depuis 2018 à la tête du Restaurant Lalique au Château Lafaurie-Peyraguey, près de Sauternes. Retour sur l’ascension fulgurante de ce chef doublement étoilé, également sacré Meilleur Ouvrier de France.
  • Chef Jérôme Schilling dans les vignes © Michael Boudot
    Chef Jérôme Schilling dans les vignes © Michael Boudot
  • © Château Lafaurie-Peyraguey
    © Château Lafaurie-Peyraguey
  • Tomates de Saint-Pierre-de-Mons, Burrata fumée et Vanille © Michael Boudot
    Tomates de Saint-Pierre-de-Mons, Burrata fumée et Vanille © Michael Boudot

Meilleur Ouvrier de France et deuxième étoile au Guide Michelin… 2022 a été riche en émotions pour Jérôme Schilling. « J’étais un peu anxieux car je fêtais également mes 40 ans cette année-là, mais finalement toutes ces bonnes nouvelles ont fait que ces derniers mois ont été fabuleux », se réjouit le chef du Restaurant Lalique au Château Lafaurie-Peyraguey, près de Sauternes., un hôtel du sud-ouest hors pair. Il faut dire que Jérôme Schilling a travaillé dur toute sa vie pour en arriver là.

Cet Alsacien d’origine, qui a toujours eu la fibre manuelle, a commencé la cuisine à l’âge de 15 ans. « Mon frère était plutôt cérébral et a fait des études de biochimie moléculaire tandis que moi, je préférais participer aux tâches de la maison », se souvient le chef. « Aussi, ma grand-mère a vécu chez nous durant les deux dernières années de sa vie, elle cuisinait très bien et elle a appris tout ce qu’elle savait à ma mère. Dès 6 h du matin, je me réveillais avec des bonnes odeurs de salé… Je pense que tout est parti de là ! »

  • Chef Jérôme Schilling © Adriana Tripa
    Chef Jérôme Schilling © Adriana Tripa

 

Après un premier apprentissage dans un petit restaurant local apprécié de ses parents, Jérôme Schilling poursuit sa formation auprès des chefs Hubert Maetz, Joël Robuchon puis Roger Vergé, tous Meilleurs Ouvriers de France et à la tête de restaurants étoilés. « C’était totalement volontaire de me former auprès d’eux car cela correspondait à mes valeurs, à savoir la rigueur, le savoir-faire, la transmission », nous explique le chef, qui a lui-même décroché son col bleu-blanc-rouge fin 2022. Seule “entorse” à son parcours : ses années passées à Pauillac auprès de Thierry Marx. « Avec tout ce que me racontait mon frère sur les réactions chimiques en cuisine, j’ai tout fait pour apprendre auprès de Thierry Marx et Jean-Luc Rocha pour en connaître toujours plus », se souvient-il.

  • Le sarment de vigne Saint-Jacques fumées panais et truffe blanche © Anne Emmanuelle Thion
  • Saint-Jacques et topinambour sauce matelote © Michael Boudot

 

C’était fascinant car c’était la première fois que je pouvais tout choisir, des producteurs à la vaisselle en passant par ma carte bien sûr.

Après un passage de sept ans à Chasselay auprès de Guy Lassausaie, Jérôme Schilling débute enfin l’aventure de la Villa René Lalique avec Jean-Georges Klein, avant de prendre les rênes du Restaurant Lalique - Château Lafaurie-Peyraguey dès son ouverture, en 2018. Le chef nous en dit plus sur tout ce qu’il a accompli et nous donne envie de nous rendre au Château pour un week-end autour de Bordeaux.

 

Pouvez-vous nous parler un peu de votre restaurant doublement étoilé au Guide Michelin ?

J’ai pu participer à l’ouverture, avec des travaux qui ont débuté en 2017 pour une ouverture en juin 2018. C’était fascinant car c’était la première fois que je pouvais tout choisir, des producteurs à la vaisselle en passant par ma carte bien sûr. Au bout de six mois, nous avons décroché notre première étoile, ce qui nous a permis de nous faire connaître car nous sommes tout de même à 40 minutes de Bordeaux, au milieu des vignes. 

  • Restaurant Lalique © Agi Simoes Reto Guntli
    Restaurant Lalique © Agi Simoes Reto Guntli

 

Le restaurant est installé dans un hôtel château viticole. C’est d’ailleurs la première fois que le domaine accueille un restaurant. On cohabite avec le monde viticole, c’est toute une organisation pour que l’endroit soit le plus hospitalier possible. La table est bien sûr très marquée par cet environnement, avec une vue imprenable sur les vignes les plus anciennes, mais aussi des feuilles de vigne accrochées au plafond, du mobilier Lalique et de magnifiques lustres Champs-Élysées.

 

Vous êtes d’ailleurs appelé le “cuisiner des vignes”...

Oui, car j’ai toujours à cœur de m’inspirer au maximum du lieu où je suis. C’est du bon sens. Ma cuisine s’articule autour de la faune et de la flore. On retrouve un marqueur du vin dans chaque assiette, que ce soit une feuille de vigne, du verjus, du moût de raisin, de l’huile de pépin de raisin… Parfois, je récupère les notes gustatives d’un millésime et je les retranscris dans le plat sans y mettre une goutte de vin.

  • Jérôme Schilling en cuisine © Michael Boudot
    Jérôme Schilling en cuisine © Michael Boudot

Les accords avec les vins du domaine ont aussi leur importance !

Oui, nous faisons un très gros travail avec le chef sommelier. Régulièrement, nous nous rassemblons avec lui mais aussi ma sous-cheffe et mon chef adjoint. Ces réunions ont toujours lieu à 11 heures, à jeun, pour arriver avec la faim. C’est là que les idées et la gourmandise se développent ! Cela permet également au chef sommelier de comprendre ma réflexion et le sens d’un plat, pour qu’il en parle le mieux possible aux clients, avec ses mots. Grâce à cela, il a également une certaine sensibilité pour choisir le vin qui s’accordera le mieux avec l’assiette. 

 

Pourriez-vous nous donner quelques exemples de plats qui traduisent cette philosophie ?

En ce moment, nous avons le merlu de Saint-Jean-de-Luz confit dans l’huile de pépins de raisin, accordé avec une vinaigrette au sureau et pépins de raisin, ainsi qu’un condiment bergamote.

Un autre plat marquant est le pigeon mariné 48 heures dans la lie de vin. Le pH acide de la marinade, qui contient encore des levures, provoque une réaction qui permet de parfumer la peau et le gras. On le fait ensuite rôtir au beurre, on le laisse reposer, on lève les poitrines et on sert le tout avec des pommes de terre fondantes, des lentins de chêne (type de champignon), un condiment à la framboise et un jus de verveine.

  • © Château Lafaurie-Peyraguey
    © Château Lafaurie-Peyraguey

Les desserts suivent également cette ligne directrice ?

Tout à fait. On utilise beaucoup le Sauternes, qui est un vin sucré, pour réduire l’ajout de sucre. On en fait des marinades, des réductions, des compotées… En ce moment, on sert par exemple des fraises marinées 72 heures dans le Sauternes, ce qui leur donne une puissance aromatique très forte.

Je pourrais également vous parler d’un pré-dessert qui illustre parfaitement notre environnement. Ici, nous avons un cours d’eau appelé le Ciron. Son eau chaude se jette dans la Garonne et crée beaucoup d’humidité et un brouillard quasi permanent. C’est grâce à cela que se développe un champignon appelé botrytis cinerea sur nos vignes. Dans ce pré-dessert, on retrace le parcours de la brume du Ciron avec du citron, des herbes locales et le côté salin du caviar, car nous avons une pisciculture de la maison Asturia juste à côté. L’assiette arrive avec une brume reconstituée en salle pour un bel effet visuel.

  • Brouillard de citron au yuzu et caviar © Michael Boudot
    Brouillard de citron au yuzu et caviar © Michael Boudot

 

Cet été, vous rouvrez la Terrasse de Lafaurie. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Cette terrasse a été créée en 2021, au moment où les restaurants ne pouvaient recevoir qu’en terrasse à cause du Covid. On y servait une cuisine du monde, sur le principe de l’ancien et du nouveau monde, comme dans le vin. L’ancien monde, c’est le vin et la cuisine venus d’Europe, tandis que le nouveau monde nous emmenait en Californie, Amérique du Sud ou encore Afrique du Sud. Du coup, chaque été, on mélangeait les cuisines de deux pays.

Cette année, les choses sont différentes. J’ai installé un brasero au milieu de la cour et on propose des légumes à partager, servis au milieu de la table, avec 13 variétés différentes, du chimichurri, des herbes fraîches… Les convives partagent et peuvent aussi commander des fruits de mer et des coquillages. On a aussi un peu de viande, comme le cochon noir de Bigorre, confit à la lie de vin de Sauternes.

Pratique

Château Lafaurie-Peyraguey, Hôtel & Restaurant Lalique

10 chambres et 3 suites, à partir de 400 € la nuit

Lieu-dit Peyraguey – 33210 Bommes

Site Web du Château Lafaurie-Peyraguey Lalique

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