Interview de Glenn Viel, le chef 3 étoiles de l'Oustau de Baumanière
YONDER : Bonjour Glenn Viel, cela faisait 2 ans que nous n'étions pas venus à Baumanière, donne-nous de tes nouvelles, qu’est-ce que tu as changé ou fait évoluer en cuisine ?
Glenn Viel : Ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que je suis dans une cuisine beaucoup plus personnelle, poétique, presque philosophique ! Je réfléchis beaucoup afin de progresser et d’essayer d'être toujours meilleur. Je m'efforce de séduire les gens avec une approche de la cuisine sans cesse plus poussée. Notre métier est très compliqué car il est impossible de réussir à séduire tout le monde... j’ai bien compris cela ! On doit l’accepter. Donc on rentre dans une ligne de conduite et une recherche qui exprime une vraie personnalité. Quand tu es conventionnel, tu passes partout. Nous, on essaie de créer un maximum de dynamisme, une originalité, pour éviter le côté répétitif.
Cette évolution est-elle due à l’obtention de la troisième étoile (en 2020 NDLR) ?
Non, c’est mon évolution personnelle, j’ai toujours envie de créer, de m’amuser, de prendre des risques aussi.
Comment vois-tu ton métier de chef, comment le définirais-tu ?
En vérité, je crois que la création est la clef de tout. À un moment, quand tu restes cantonné au même endroit, à faire la même chose, tu brides ta créativité. Aujourd’hui, ce n’est plus moi qui lève les poissons, ce n’est plus moi qui fais les sauces. Quand je ne suis pas là, il se passe la même chose que quand je suis en cuisine. En fait, mon rôle ici se résume à suggérer des idées, les mettre en place et m’assurer qu’elles soient réalisées le mieux possible, et ce au quotidien.
Cette créativité, que tu places au centre de ton métier, tu trouves qu’elle le rend plus stimulant ?
Oui et je dirais même que c'est nécessaire. Cela fait 7 ans que je suis à Baumanière, c’était ma prochaine étape d’aller chercher d’autres choses à d’autres endroits pour cultiver la création, c’est extrêmement important pour moi. Certaines personnes préfèrent manger une belle huître nature, normale... moi je préfère la complexité, comme s'il s'agissait d'une carte postale, avec en petit, derrière, l’adresse de la maison. Je crois aujourd’hui que ce qui qualifie le mieux ma cuisine, c’est la poésie. Je veux raconter une histoire à travers chaque plat.
Comment cela s’exprime-t-il ?
Par des choses peut-être plus pointues, particulières : ce qui me touche ne touche pas forcément tout le monde, il y a des produits standards, simples et d’autres plus compliqués comme la sardine, le muge, l’anchois... À Baumanière, on essaye de composer des plats avec la classification suivante : 60 % de goût, 30 % de psychologie et 10 % de hasard. On pensait qu’on pouvait tout maîtriser sauf le hasard. Les 10%, c’était quelque chose qu’on ne pouvait pas diminuer : si tu as passé une bonne journée, s’il pleut... cela conditionne ton moral et du coup l'ambiance à table ! On le sait, quand il fait beau et qu’on capte les rayons du soleil, c’est tout de suite réconfortant. Il faut que les gens soient ouverts pour venir sans aucun a priori. C’est une certitude !
Pour revenir sur les 10% de hasard, on a réussi à les comprimer un peu finalement : c’est-à-dire que toutes nos bouchées apéritives comportent une touche d’humour. Par exemple, on a créé « les trois petits cochons », un livre en cuir dans lequel on mange une oreille de cochon revisitée, avec une petite tartelette de boudin à l’intérieur. Quand tu ouvres le livre, il y a une bande dessinée ! Cela rappelera tout de suite un souvenir, même à un adulte. On a aussi créé la « pêche à pied, les pieds sous la table ». On essaye de diffuser de la bonne humeur en apportant un petit rocher avec une carte postale qui montre des pêcheurs à pied. Normalement, sur la carte postale, ça aurait dû être nous, l'équipe de cuisine, mais avec la Covid, on n’a pas pu aller faire la photo en bord de mer !
Dans tes intitulés, tu essaies de mettre un peu de poésie ?
Oui, soit c’est poétique, soit régressif parce qu’on parle beaucoup de technique, mais l’émotion demeure indispensable. La technicité enlève la régularité, le problème, c’est que quand tu es jeune, tu veux montrer que tu es un bon cuisinier et moi, je pense que plus tu montres dans l’assiette plus il y a de l’attente au palais. Si tu fais un plat sublime, magnifique, le cerveau est automatiquement dans l’attente de quelque chose de bon. Alors qu’un plat d’apparence banale, tu as moins d’attente, mais au moment de goûter, si tu prends une gifle parce que tu trouves le plat excellent, le pari est gagné.
Il y a un plat que j’aimerais travailler bientôt et qui pourrait s’intituler « tellement peu mais tellement tout »... une seule cuillère, je ne sais pas encore comment exactement la travailler mais l’idée est d’avoir beaucoup de saveurs, beaucoup de textures avec du chaud et du froid. Ton cerveau part sur quelque chose qui va être chaud...mais non, c’est quelque chose de froid… d’où le nom du plat. Ce sera un condensé de tout ce que l’on travaille à travers nos assiettes, mais en une seule bouchée.
On a sorti aussi « une fleur pas comme les autres », une compression de fleurs de courgettes. Je les serre très fort en faisant comme un petit boudin, dans un film. La fleur est déjà assaisonnée, puis je la coupe et cela représente un cœur de fleur. En dessous, je mets des courgettes brulées, puis un peu de purée brûlée et je dispose des pétales de fleurs de différentes variétés, avec la sauce au milieu. Visuellement, cela crée « une fleur pas comme les autres ». C’est assez poétique. Face à l’assiette, les gens analyseront comme ils peuvent. Ils trouveront les goûts ou pas, comprendront la philosophie ou pas, la poésie ou pas. Quand on lit un poème, on ne le comprend pas tous de la même manière. C’est pareil devant le tableau d'un peintre...
Tu essayes de stimuler le client, à travers autre chose que le goût ?
L’année prochaine, je vais créer un plat qui n’aura pas d’appellation, ça sera au client de trouver le nom ! C’est-à-dire qu’il y aura un point d’interrogation dans la petite carte postale à ouvrir dès que toutes les personnes de la table auront trouvé l’appellation, tous ensemble. C’est drôle, car c’est une forme de challenge, chacun aura envie de donner la bonne réponse. Ce qu’on fait aussi beaucoup chez nous, ce sont les découpes en salle, elles stimulent le client. Le geste, la mise en scène, tu les extrais du repas tout en les conservant dedans mais c’est une espèce de récréation. C’est pour cela qu’on a créé des séquences avec de la poésie : « la volaille dans la cage » par exemple.
La poésie vient de ton histoire personnelle ? Familiale ?
Oui certainement, on a tous des histoires communes, on est tous allés un jour chercher un nid d’oiseau dans une haie. C’est pour cela que je présente une branche d’arbre et un nid avec mon pigeon par exemple. « La pêche à pied », c’est parce que j’en ai fait beaucoup quand j’étais gamin, on sortait pour les grandes marées avec mon père, c’est culturel.
Qu’est-ce qui t’inspire quand tu crées un plat ?
Ce qui m’inspire c’est de trouver et réaliser une idée un peu folle. Maintenant, je travaille les aliments comme j’en ai envie, je ne vais pas mettre un légume juste pour avoir un légume dans mon plat par exemple. Je me pose la question du sens. Il ne faut pas que ce soit une obligation même si certains clients peuvent faire une remarque. Je n’ai pas envie d’être contraint à travailler un aliment, ou à ne pas le travailler. J’ai récemment créé un plat intitulé « tomate ancienne, ADN modifié ». Je parle des tomates, de l’agriculture moderne et tout ce qu’on veut faire avec. Transformer pour mieux cultiver, pour que l’espèce devienne plus résistante… Donc je travaille une tomate ancienne, que je brûle, que je fume à l’intérieur avec du thym, puis je travaille d’autres tomates différemment.
Quand tu dis que tu travailles d’autres tomates différemment, c’est-à-dire ?
C’est-à-dire que je mets à mariner des tomates avec des algues, je mets de la pastèque à l’intérieur, je fais des tomates confites, plein de tomates différentes. L’ADN, c’est l’intérieur. Je l’ai trafiqué comme pourrait le faire un chimiste, mais en mode « cuisinier ». L’idée est de retrouver cette dimension poétique.
Avec toutes ces idées, n’as-tu pas peur de t’éloigner de la dimension gustative des plats ? Par exemple pour l’ADN de la tomate ?
Non, tu ne perds pas le goût de l’aliment principal. Prenons ce plat : tu sens la tomate dans son authenticité. Au contraire, elle est très présente : je fais un petit bouillon avec beaucoup de tomates, des herbes, du sel... je prépare à côté un condiment de pulpe de tomate. Il n’y a pas de cuisson, je brûle toute la peau sur le côté, on récupère tous ces goûts et ces saveurs.
Tu peux me donner quelques exemples de ce que tu as créé dernièrement ?
Bien sûr. En ce moment, je conçois un plat qui s’appelle « le vol-au-vent ». On servira un canard avec un petit condiment, de belles sauces, mais l’idée c’est que l’on ne proposera que des choses volantes, par exemple du pollen, des choses qui expriment le survol, le volatile ! Je travaille aussi sur un plat qui s’appellera « c’est l’automne ». Tu auras une sorte d’arbre, des branches, avec de la truffe, de la châtaigne, des feuilles de différentes couleurs, et quand tu finis de manger, c’est l’automne, il n’y a plus de feuilles, plus d’arbres ! Il y a aussi une autre nouveauté qui s’appelle « entre le thon et le cochon, une histoire de ventrèche » avec la longe du thon et le gras de cochon, mariné au poisson bleu - NDLR : on a eu la chance de déguster ce plat innovant exceptionnel de textures et de saveurs -. Enfin, le muge, par exemple aussi - NDLR : poisson de mer aussi appelé mulet à grosse tête -. L’appellation est la suivante : « Quand l’amertume devient la douceur ». On comprend, à travers une phrase, ce qui va se passer. J’associe le muge avec de la poutargue. À côté, on propose un jus de pamplemousse et une poutargue affinée comme un tarama. En fait, je surenchéris l’amertume de la poutargue par du pamplemousse, ce qui fait que la poutargue, elle-même très amère, devient la douceur du pamplemousse...
-
D’accord, tu passes donc de l’amertume de la poutargue à l’amertume du pamplemousse en poussant un cran au-dessus, et la poutargue devient l’équilibre avec le pamplemousse ?
Exactement ! C’est très fort en goût et très marqué. La poutargue, je suis conscient que c'est un produit très compliqué, il ne fait pas l’unanimité... donc c’est un vrai risque, un parti pris assumé. Certains clients sont enthousiastes…et d’autres n’aiment pas. De mon côté, je crois que quand tu vas au restaurant, il faut accepter de se faire surprendre, n'arriver avec aucune attente particulière.
Au premier abord, tu sembles être un rentre-dedans avec ton physique de rugbyman...et puis quand on discute, ce n’est pas du tout le cas, ta personnalité vient en contraste avec ce que tu peux représenter.
Au fond, je suis un ultra-sensible. Quand j’étais petit en regardant des films, j’avais souvent les larmes aux yeux.
On retrouve certainement ce trait de caractère dans la fidélité de nos équipes. Mon équipe est la même depuis le début parce que j'essaye d'être à l'écoute, de leur donner au maximum. Joël, par exemple, est là depuis 15 ans. Stéphane était mon premier chef quand j’étais en stage et aujourd'hui il travaille pour nous. La plupart des cuisiniers sont là depuis 5 ans au moins... Cela signifie qu’ils sont bien ici. On a créé un équilibre.
L'Oustau de Beaumanière
900 Route d’Arles, 13520 Les Baux-de-Provence
Horaires : 12h-14h, 19h–21h30
Fermé les mercredis et jeudis
Réservations en ligne
Informations par email et par téléphone :
+33 (0) 4 90 54 33 07