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Emmanuel Laveran, Léa Levavasseur, le mardi 11 mars 2025
Interviews

Notre interview de Sandra Pinturault : une vie au rythme de Courchevel

Inauguré en 1974 par la famille Pinturault, l’Hôtel Annapurna est une affaire de famille. En 2019, c’est Sandra Pinturault, petite-fille de Claude Pinturault, fondateur de l'établissement, qui reprend la tête de cette institution de la capitale mondiale du ski. Dans cet entretien, Sandra nous partage son parcours et son quotidien étroitement liés à l'Hôtel Annapurna qui l’a vu grandir.
  • Hôtel 5 étoiles à Courchevel © Annapurna
    Hôtel 5 étoiles à Courchevel © Annapurna

Yonder : Bonjour Sandra, racontez-nous votre parcours, comment êtes-vous tombée dans l'hôtellerie ?

Sandra Pinturault : comme Obélix, je suis tombée dans l'hôtellerie quand j'étais petite. Je suis née en plein hiver à Chambéry et je n'avais que quelques jours quand je suis montée dans notre hôtel de Courchevel, que mon père gérait déjà et où mes parents habitaient. On fête aujourd’hui les 50 ans, mes grands-parents ont ouvert en 1974. 

  • Sandra Pinturault © Foudimages
    Sandra Pinturault © Foudimages
     

Comment s'est passée votre enfance ?

Avec mes frères, Alexis et Cédric, on a grandi dans l’hôtel, c'était notre maison. On jouait avec les clients, on allait à la piscine, on mangeait à l'appartement ou en room service. On y habitait l'hiver, et l'été, on vivait à Annecy. On voyait très peu nos parents en saison car ils travaillaient, mais ils étaient présents le reste de l'année. 

Avez-vous fait des études en liaison avec l’hôtellerie ? 

Comme j'ai toujours baigné dans l'hôtellerie, je voulais faire une école de commerce. Je me suis spécialisée en finance d'entreprise et de marché. J’ai un peu travaillé dans ce domaine et je suis revenue à Genève pour chercher un job. Je faisais une saison ici en parallèle. C'est à ce moment-là que mon père m'a demandé de rester. J'ai commencé comme réceptionniste, puis responsable de réception, responsable d’hébergement, assistante de direction avant de prendre la direction en 2019.

Est-ce compliqué de travailler avec ses parents ?

Au début, non. Mais lorsque je suis devenue adjointe, mon père et moi n'avions pas la même vision des choses. J’avais 31 ans, et lui était à la tête de notre hôtel dans les Alpes depuis plus de 35 ans. 

  • La famille Pinturault
    La famille Pinturault
     

Sur quels sujets vous opposiez-vous?

Par exemple, sur l'éco-responsabilité, la décoration ou le management. C’était différent à l'époque, ça ne parlait pas trop à mon père. Mais à partir du moment où j’ai assuré la direction, il a pris du recul. 

Comment la transition s’est-elle matérialisée ? 

J'ai pris la direction en septembre 2019. La maison-mère, qui s'appelle la société anonyme (SA) Annapurna Développement, est propriétaire de l'Hôtel Annapurna et appartient à mes deux frères, mon père et moi. 

Alexis est, pour le moment, toujours dédié à sa carrière. Son projet est de s'investir sur le Praz, c’est-à-dire l’Hôtel Les Peupliers, les chalets, les deux restaurants et l’épicerie. De mon côté, je supervise l'ensemble et sur certains points stratégiques, comme un gros investissement, j'en discute avec lui. Nous avons des visions très alignées, parfois avec un léger décalage car Alexis n’est pas dans l'opérationnel, il a un œil extérieur qui est intéressant. Il est très présent dans l'hôtel, notamment sur le sujet de la décoration. Le lieu est assez incarné par la famille. 

  • Epicerie du Praz © Unduo
    Epicerie du Praz © Unduo
     

Quel est votre quotidien ici ?

Tout dépend des périodes. Je n’ai pas forcément les mêmes tâches à l'intersaison qu'en hiver. Lorsque l’hôtel est ouvert (5 mois par ans), je m'occupe plutôt de l'opérationnel, a contrario, durant les périodes de fermeture, je me concentre sur la stratégie. Une journée comme celle-ci, je lis mes mails, les rapports des différents établissements, ensuite, je regarde les chiffres d'affaires réalisés dans chaque service puis je vais faire le tour de l'hôtel pour voir si tout est OK. Je descends au ski room et je vérifie que les skis sont bien installés sur la terrasse. Je passe par la réception pour saluer les équipes, puis je me rends au bar et au restaurant pour inspecter le buffet et la cuisine. 

  • Alpage, restaurant de l’hôtel Annapurna © Paul Brechu
    Alpage, restaurant de l’hôtel Annapurna © Paul Brechu
     

Chaque matin, on organise un brief des équipes sur les arrivées du jour, les problèmes rencontrés, les solutions à apporter et les événements particuliers. Je remonte à mon bureau et à ce moment-là, je peux aussi bien travailler sur de l'opérationnel que du stratégique : marketing, ressources humaines, amélioration des processus... Je redescends ensuite pour vérifier la mise en place du service du midi et, s'il y a des clients, je discute un peu avec eux. 

  • Suite de l'hôtel Annapurna © Paul Brechu
  • Piscine intérieure de l'Annapurna Couurchevel © Paul Brechu

 

Vous évoquez l'écoresponsabilité, quelles actions concrètes mettez-vous en place ?

On vit du tourisme, mais c’est aussi l’un des plus gros émetteurs de carbone. On essaie donc que le fonctionnement de l'hôtel soit aussi écoresponsable que possible. 

Le bâtiment est très épais car c'est une construction des années soixante-dix, et nous retravaillons l’isolation à chaque phase de travaux. Tout est en double ou triple vitrage. De plus, nous avons essayé de supprimer complètement le plastique, et toutes les amenities en chambre sont made in France ou Europe. Les coûts sont plus importants, certes, mais j’y tiens. Pour la nourriture, on privilégie les circuits courts. On essaie d'être au maximum écoresponsables, mais typiquement, on a une piscine extérieure qui est chauffée, dont on essaie de réduire au maximum l'impact en la fermant la nuit avec un volet. 

Même si on a réussi à insuffler du changement, il reste beaucoup à faire. Le bâtiment est cinquantenaire, il a des problématiques structurelles. On se pose plusieurs questions : allons-nous basculer vers la géothermie, installer de nouveaux panneaux solaires ? Ces deux options présentent des contraintes et nécessitent de nombreuses études pour envisager leur faisabilité.

  • Hôtel 5 étoiles à Courchevel © Annapurna
    Hôtel 5 étoiles à Courchevel © Annapurna
     

Arrivez-vous à mesurer l'impact de ces initiatives ?

Nous travaillons avec la société Carbo qui réalise des bilans carbone : ils nous évaluent et nous proposent des recommandations. On vit à la montagne, en pleine nature : il faut la respecter et réduire au maximum notre impact sur l'environnement. On pourrait dire que le ski ce n’est pas très écolo, mais s'il est bien fait, on peut honnêtement améliorer les choses. 

Quelle est l’histoire derrière le rachat de l’Hôtel Les Peupliers ?

Les Peupliers, c'était aussi une famille de Courchevel, installée depuis 70 ans. Nous les connaissons très bien, c'est un lieu incontournable de la station depuis des générations et qui est ouvert presque toute l'année. Pour mon mariage, nous avons fait le dîner et le déjeuner à l'Hôtel Les Peupliers. Nous l'avons acheté en mai 2022.

  • © Chalets Altaï
    © Chalets Altaï
     

Pourquoi la famille a décidé de vendre ?

Leur fille ne souhaitait pas reprendre, et eux ne voulaient plus continuer. C'est un hôtel de montagne très chouette mais qui a pas mal de problématiques. Il est central, mais un peu au bord de la route du Praz, un village agréable qui n'a plus sa notoriété de 1850. Son altitude relativement basse, seulement 1 300 mètres, fait que l’enneigement y devient de moins en moins important. Mon père a toujours refusé le rachat : c’est délicat de reprendre à des gens que l’on connaît. C’est lorsque mon frère Alexis a commencé à s'intéresser à l'hôtellerie que l’on y a réfléchi. 

Quels sont vos projets pour cet hôtel ?

On souhaiterait tout d'abord augmenter la capacité d'accueil. On a pu acheter des terrains pour faire un projet plus global avec une offre plus intéressante, rénover l'hôtel principal et la maison voisine. Nous avons également des bâtiments dans le centre du Praz, qui pourraient être retapés en appartements haut de gamme et mis en location.

  • Chalets Altaï © Unduo
    Chalets Altaï © Unduo

 

Comment avez-vous financé ce projet ?

Le projet a été autofinancé. Mes grands-parents sont partis de rien et ont fait beaucoup d'emprunts. Ma grand-mère est née dans une famille à très faibles revenus, elle a dû commencer à travailler à 16 ans. Mon grand-père lui vient de la classe moyenne. Mes grands-parents ont dû faire appel aux banques et emprunter, ce qui a généré du stress et une forte aversion à l'endettement chez mon père. Désormais, nous sommes un groupe très sain financièrement : on gagne de la trésorerie pour ensuite l'investir. 

Comment imaginez-vous le futur du groupe ? Pensez-vous acquérir d’autres hôtels dans la station ?

Je ne pense pas au vu des prix sur Courchevel. L'idée est de continuer à faire évoluer nos établissements. On aimerait s’atteler à la refonte du centre bien-être, créer un vrai pôle soin avec une annexe au bâtiment actuel. Une surélévation a été faite en 2004 qui a permis de créer un toit-chalet sur la partie du 2e étage et des grandes Suites Signatures. On a pour projets de surélever au-dessus du 4e étage et de construire des chalets autour de l'hôtel.

Que pensez-vous de l'évolution de la station ?

Je ne sais pas si je suis objective, mais c'est l’une des plus belles stations en termes de domaine skiable. Ici, tout est relié : vous n’avez pas besoin de prendre de bus ou de téléphérique pour passer d’une station à une autre. Tout se fait à ski.

  • Les 3 Vallée Station à Courchevel
    Les 3 Vallée Station à Courchevel
     

Que pensez-vous de l'évolution de l’offre hôtelière et du positionnement de la station ?

À Courchevel, nous sommes sur un positionnement luxe voire ultra luxe : on répond à une demande. Courchevel n’était pas comme ça avant mais elle a évolué pour répondre aux attentes. Une population plus aisée a commencé à venir ici parce que le domaine skiable est incroyable et qu'il y a une grosse offre de table.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

J’aurais préféré qu'il y ait encore des familles comme la nôtre, mais financièrement, ce n’est pas toujours évident. On ne peut pas faire les mêmes investissements, avoir la même gestion et autant de personnel que les gros groupes. On doit être rentable. Certaines familles ne veulent plus travailler dans l'hôtellerie car ce sont des métiers durs, des métiers passion mais très chronophages. On a peut-être perdu un peu d'authenticité, mais il reste tout de même des établissements familiaux comme la Saulire, le Génépi, le Lana, les Cherpas.

Courchevel a répondu à un besoin, elle a évolué. On a également gagné une clientèle différente parce qu’on offre du luxe. On trouve ici toutes les plus belles boutiques du monde, les clients sont ravis de pouvoir, en 100 mètres, passer de Louis Vuitton à Dior, à Hermes, à Chanel.

  • Courchevel en hiver
    Courchevel en hiver
     

Qu'est-ce que le vrai luxe pour vous ?

Si vous m'aviez posé la question il y a dix ans, ma réponse aurait peut-être été différente. Maintenant, ma définition du luxe, c’est avoir le temps de profiter de ceux que l'on aime.

Où allez-vous en vacances ?

J'essaie maintenant de rester en France ou en Europe, en quête de nature plutôt que de grandes villes. Cette année, je suis allée en Norvège et j’y retourne cet été. Ma mère est Norvégienne, elle a un chalet dans le sud du pays.

Quels sont vos hôtels préférés ?

J’aime beaucoup Lily of the Valley sur la Côte d’Azur. On y est toujours bien accueilli et je le trouve très paisible, dans une partie calme, proche de Saint-Tropez. Ils vont d’ailleurs bientôt s'installer à Courchevel. Sinon j’adore aller à Megève. Je me suis mariée là-bas.  

Le mot de la fin : que retient-on de l'Hôtel Annapurna ?

Que l’on y est bien accueilli, qu’on s’y sent chez soi, et qu'on a envie d’y revenir ! 

Pratique

Hôtel Annapurna

734 Rue de l'Altiport, 73120 Courchevel

67 clés à partir de 550 € la nuit

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