Florence ValencourtFlorence Valencourt, Le mercredi 04 septembre 2024
Chefs

Rencontre avec Fabien Ferré, le plus jeune triple étoilé de France

Consacré par le Michelin en mars 2024, le jeune Fabien Ferré a toujours la tête dans les étoiles, mais les pieds bien sur terre, quand on le rencontre à nouveau à l’Hôtel du Castellet après ce « tsunami » qui marque non pas un aboutissement mais une nouvelle étape dans sa carrière. 
  • Rencontre avec Fabien Ferré, le plus jeune triple étoilé de France
    Rencontre avec Fabien Ferré, le plus jeune triple étoilé de France

Yonder : six mois se sont écoulés depuis le 18 mars et cette folle annonce des trois étoiles. Que s'est-il passé depuis ? Quel est votre état d'esprit aujourd'hui ? 

Fabien Ferré : « C'est drôle, à la fois, tout a changé et rien n'a changé. J'ai plus de demandes pour nous rejoindre en cuisine, plus de réservations au restaurant, la Table du Castellet, mais mon envie de cuisiner est intacte et mon équipe conserve la même ossature forte. Ils sont fiers, heureux d'être là ; et c'est ce qui compte le plus pour moi. À titre personnel, je me sens libéré et prêt à oser encore plus de choses »

    • Fabien Ferré © Lydia Roussel
      Fabien Ferré © Lydia Roussel


Certains de vos mentors, dont Jean-Michel Carrette, disent que le plus difficile c'est maintenant. Qu'il faut « tenir la barre ». Sentez-vous une nouvelle pression ? 

Je contourne le problème. Je suis à l'aise avec ça. Je sais bien que les étoiles, ce n'est pas pour la vie. Mes équipes et moi, on surfe sur une belle énergie, on en profite. Quant à ceux qui disent que mes trois étoiles, c'est juste un « coup de com' du Michelin », je les invite à venir goûter, tout simplement. Moi j'avance, les critiques, je les laisse derrière. Je sais bien qu'on ne peut pas faire l'unanimité. Ma passion, c'est la cuisine et ce qui compte pour moi, c'est le client. 

  • Fabien Ferré © Lydia Roussel
    La Table du Castelet © Lydia Roussel

 

Vos amis et vos clients fidèles ont l'impression que vous êtes trop modeste à ce sujet, limite que vous avez ce « syndrome de l'imposteur » très à la mode dans les magazines de mode et de développement personnel... Qu'en dites-vous ? 

Ce n'est pas totalement faux. Pour autant, je n'ai pas l'impression d'usurper quoi que ce soit. C'est mérité, mais j'ai à cœur de le prouver. Je ne suis pas trop modeste, non, je suis juste un gars simple et je fais de la cuisine. Je sais que je n'ai pas l'aura ni la carrière d'un chef comme Éric Frechon, par exemple. Je reste à ma place. 

Quels sont les nouveaux « chantiers », comme vous les appelez, que vous avez mis en place, aussi bien en cuisine qu'en dehors ? 

Cela peut paraître original alors que les autres tables ont tendance à réduire leurs nombres de couverts pour atteindre les étoiles, moi je viens de l'augmenter pour passer de 25 à 40 couverts. Cela me frustrait de devoir refuser trop de monde. Et, comme ma brigade en cuisine est solide, j'ai la chance de pouvoir me le permettre. Question cuisine pure et dure, je teste des choses que je ne me serais peut-être pas autorisé à faire encore l'an dernier. Je travaille sur une romaine pour l'automne et je viens de mettre à la carte une salade de haricots verts, la même que celle que ma grand-mère agricultrice me faisait quand j'étais petit. Elle est présentée avec du géranium, des graines de moutarde et des noisettes. C'est tout simple. 

  • © C. Dutrey
    © C. Dutrey

 

Vous accordez une place centrale à vos producteurs/fournisseurs, que vous avez même remercié chaleureusement lors de votre discours à Tours. Quels sont ceux dont vous êtes le plus proche ? 

Incontestablement, Jean-Christophe Jiol (ndlr : Les Coquillages Jiol, à la Seyne-sur-Mer). Avec lui, on a presque développé une relation père-fils. Je pars pêcher avec lui dès que je peux. Cela a été moins possible cette saison et clairement cela me manque. En tout cas, je suis très fier de mettre ses produits à la carte. D'autant plus qu'a priori on pourrait se dire que l'huître ou surtout la moule ne sont pas ultra gastronomiques, mais ses coquillages sont si extraordinaires que je n'ai presque rien à faire. Je sers l'huître en apéritif. Quant à la moule, elle est présentée crue/cuite. 

Je suis très proche aussi de mes maraîchers. J'ai à cœur que mes plats et que ma cuisine au sens large rassemble les acteurs locaux et soit ancrée dans son terroir. Un plat qui résume cela en ce moment : « Les moules de Tamaris, tomate, livèche, pancetta ».

Avez-vous de nouveaux fournisseurs depuis l'annonce de votre troisième étoile ? Avez-vous découvert de nouveaux produits ? 

J'avoue que je suis beaucoup plus démarché qu'avant, mais je préfère consolider ma base. Question produits, le géranium dont on parlait plus tôt, me plaît beaucoup. J'ai également découvert un miso de pois chiches très intéressant. C'est une vraie chance et un vrai plaisir de travailler avec le terroir autour de moi. Ici, on est gâtés, le terrain de jeu est incroyable.  

  • La Table du Castelet © Lydia Roussel
  • La Table du Castelet © Lydia Roussel

 

Justement, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos inspirations, votre processus créatif, votre manière de jouer avec ces produits ? 

Franchement, je ne fais pas une cuisine alambiquée. Si elle peut être surprenante, elle reste plutôt simple. En tout cas, toujours lisible, j'espère. Je respecte un triptyque produit/jus/condiment. On peut faire du très très bon et très gastronomique avec un artichaut, par exemple (ndlr : Artichaut-livèche-anchois). Ce qui compte, c'est l'équilibre parfait. En voulant faire plus, on tombe dans la démonstration. Moi, je veux être dans la maturité. Par exemple, avant, je mettais tout le temps des 'satellites' autour de mes plats (soit des petits trucs en plus), maintenant, presque plus du tout. 

  • L’Artichaut © C. Dutrey
    L’Artichaut © C. Dutrey

 

Certes, mais si on approfondit, un plat signature comme « l'Encornet à la provençale, marjolaine » ou encore le « Pagre, cazette, verveine », comment cela vous est venu ? 

C'est difficile à dire précisément. Ce que je cherchais avec l'encornet, c'était clairement la texture. Ce qui vient lui donner une autre dimension, c'est le jus de volaille.  Quant au pagre, c'est un poisson de Méditerranée. J'ai essayé d'être ingénieux avec la tête du poisson, récupérer tout le collagène et réinterpréter une sauce pil-pil à ma manière, avec la cazette qui est de chez moi (ndlr : la Bourgogne). Quant à la verveine, elle fonctionne super bien avec l'exsudat de poisson. 

En fait, avec nos années d'expérience de cuisinier, on a une vraie base de données dans la tête. On a fait tellement de tests pendant notre formation, qu'on sait ce qui fonctionne ensemble ou pas. On a comme une trame, ou une palette de peintre, avec laquelle on compose. 

  • L’Encornet © C. Dutrey
    L’Encornet © C. Dutrey

 

À l'inverse, si ce n'est pas le produit qui me porte, cela peut aussi être le contenant. Pour l'encornet, c'est clairement l'assiette qui a fait tilt dans ma tête. Je travaille avec un couple de céramistes qui habite juste à côté d'ici, à Ollioules (Tandem Céramique). Là, en ce moment, on peaufine ensemble des assiettes d'attente. Je leur fais part de ma vision, ils me proposent des choses, ils y mettent leur patte artistique et on affine jusqu'à obtenir un résultat qui nous satisfait tous. 

On vous décrit parfois comme quelqu'un de très technique, limite insatisfait perpétuel. Êtes-vous d'accord avec cela ? 

Je ne pense pas avoir une cuisine technique, mais c'est sûr qu'avoir été formé par un MOF et avoir été finaliste du concours deux fois, cela laisse des traces ! Je ne suis pas un  insatisfait, mais je suis un gros bosseur. Je suis fils d'agriculteur, c'est l'exemple qu'on m'a donné et j'en suis fier. Je veux bien faire. 

Qu'est-ce qu'on peut encore vous souhaiter à présent ? 

Plein de choses, heureusement ! Faire briller les étoiles le plus longtemps possible, avoir des enfants, prendre toujours autant de plaisir... 

Et que le 4 mains qu'on organise le 29 septembre avec mon ami Frank (ndlr : Franck Pelux, chef deux étoiles à la Table du Lausanne Palace, ami d'enfance et meilleur copain d'apprentissage du chef) soit un succès et un super moment de partage. Je suis heureux, il est venu il y a trois semaines et a apprécié. Il m'a dit texto « Il n'y a pas de sujet, tu es loin, tout est laser et gourmand ». Venant de lui, cela vaut tous les inspecteurs de guide du monde ! 

Pratique

Restaurant ouvert au déjeuner samedi et dimanche, au dîner du mercredi au dimanche. Service de 12h00 à 13h00 et de 19h30 à 21h00.

La Table gastronomique 
Hôtel du Castellet 

3001 Route des Hauts du Camp, 83330 Le Castellet
Tél.: +33 4 94 98 37 77

hotelducastellet.net

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