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Florence ValencourtFlorence Valencourt, Le mercredi 01 mars 2023
Chefs

Entretien avec Stéphanie Le Quellec : « j’ai envie de m’inscrire dans la tradition des mères Lyonnaises »

Alors qu'est diffusée aujourd'hui la nouvelle saison de Top Chef, dont elle fût l'une des premières gagnantes, Stéphanie Le Quellec, rare cheffe deux étoiles en France, évoque pour Yonder son actualité, le chemin parcouru et ses nouvelles aspirations. Rencontre.
  • Stéphanie Le Quellec
    Stéphanie Le Quellec

YONDER : ll y a peu de temps encore, vous vous décriviez comme un chef-patron. Maintenant que vous êtes à la tête de trois lieux et bientôt plus, diriez-vous que vous êtes devenue une patronne-chef ? Autrement dit, votre vocation de cheffe d'entreprise prend-elle le dessus ?

Stéphanie Le Quellec : « Non, je reste profondément cheffe de cuisine, même si on se développe grâce aux gens qui nous entourent. Il n'y a pas d'inversion de priorités. Je suis toujours en cuisine et j'assure tous les services à La Scène ». 

 

YONDER : Pouvez-vous nous raconter une journée type dans la vie de Stéphanie Le Quellec ?

Stéphanie Le Quellec : « Je dépose le petit dernier à l'école à 8h30, puis je vais à La Scène, où je passe la matinée en cuisine. Il peut y avoir quelques rendez-vous dégustation, fournisseurs, presse. Il faut savoir se démultiplier. Je supervise le service du déjeuner. L'après-midi est consacré à la partie administrative. Si je peux, je passe faire un coucou à mes enfants à la maison, puis je reviens au restaurant pour le service du soir et je rentre vers minuit. Le rythme est soutenu, mais c'est celui de la passion. Il n'y a pas deux jours pareils. On tient grâce à l'adrénaline, aux nerfs parfois, mais surtout grâce à des collaborateurs géniaux. Sans oublier mon mari, David. Le fait qu'il soit dans le même bateau est essentiel car il me comprend et on partage les mêmes préoccupations ». 

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  • Le restaurant La Scène où Stéphanie Le Quellec passe ses matinées © DR
    Le restaurant La Scène où Stéphanie Le Quellec passe ses matinées © DR

 

Quels sont vos objectifs professionnels à présent ? Qu'est-ce qui vous porte ? 

Mon ambition actuelle est surtout de stabiliser les choses et de continuer à faire avancer mes maisons sereinement. La Scène reste le vaisseau amiral. J'ai encore beaucoup d'ambitions pour lui, à commencer par l'expérience client, que j'ai envie de pousser encore plus loin. Le propos aujourd'hui n'est plus dans la théâtralisation, qui était surtout un champ lexical, mais dans l'incarnation. J'ai envie d'en faire une maison familiale très habitée, avec une philosophie d'aubergiste, très nourricière, humaine, à la façon de La Mère Brazier à Lyon. Quant à Vive, David et moi l'avons pensée comme une adresse très libre, une cuisine de partage marine, joyeuse et vivante. Un lieu de vie où l'on peut venir et revenir régulièrement. MAM, enfin, c'est notre maison dédiée à la cuisine de maison. Tout est fait sur place et pensé pour des moments de consommation différents. Après la rue Fourcroy, deux nouvelles ouvertures sont prévues cette année : rue du Bac au printemps et une autre au 4ème trimestre, à une adresse que je vous dévoilerai plus tard. En tout cas, c'est mouvementé en ce moment, c'est sûr !

  • Vive © Antoine Marceau
  • Stéphanie Le Quellec © Stéphane de Bourgies

 

Vous voyez-vous un futur à la Ducasse, Piège ou Anne-Sophie Pic ? Ou avez-vous un autre modèle en tête ?

Je n'ai pas vraiment de modèle. Je pense que chacun se crée le sien en fonction de son rythme, de sa personnalité et de ceux dont il s'entoure. Moi, je me suis créé un groupe familial. Avec mon mari chez Vive, ma mère toujours chez MAM et une petite douzaine de mes collaborateurs qui sont devenus des proches. On est une petite famille, répartie sur les trois maisons. 

 

Vous qui avez participé à Top Chef parmi les premières, comment trouvez-vous la nouvelle génération ? Auriez-vous un conseil à lui donner ?

Ils sont très impatients. Mon conseil serait de leur dire de ne pas vouloir aller trop vite. Nous, on a connu des conditions plus dures, avec une attente parfois longue avant de gravir les échelons. Je trouve cela bien que ça aille plus vite, que les conditions de travail s'adoucissent un peu, mais on est passé d'un extrême à l'autre. Moi, j'aime bien quand c'est pondéré, car il faut quand même du temps, de la patine et de la régularité pour atteindre un certain niveau et le garder. 

  • MAM par Stéphanie Le Quellec © DR
    MAM par Stéphanie Le Quellec © DR

 

Je sais que vous n'aimez pas qu'on vous parle féminisme, mais quel est votre regard sur ce qu'il se passe actuellement en cuisine ? La nouvelle place des femmes, le metoo, etc ? 

Franchement, je trouve que les femmes cheffes de la nouvelle génération ont un vrai propos, un vrai engagement. Elles ne sont pas forcément étoilées, mais c'est plutôt par décision. Elles ont de la force de caractère. À titre personnel, je suis fière que mes effectifs soient à 50 % féminins et fière surtout en tant que cheffe de n'avoir rien sacrifié, ni vie professionnelle ni vie personnelle. Ma plus grande réussite c'est ça : les étoiles et une famille solide, avec un mariage qui dure depuis vingt ans et trois enfants. C'est drôle, j'en parlais hier avec Pierre Chomet et sa femme Christina. Ce que je peux faire à présent c'est ça, justement. Le partage d'expérience. Et si certaines femmes cheffes veulent venir me voir, du mentoring, ma porte leur est ouverte. 

 

Quelles sont vos attentes à présent en tant que cheffe vis-à-vis de vos brigades ? Ont-elles évolué ? 

Oui, elles ont clairement évolué. À présent, je cherche des cuisiniers qui vibrent, pas des gens qui me ressortent bêtement des fiches techniques. Je souhaite qu'ils apprennent dans l'intelligence, la sensibilité. À moi de les aider à se construire en tant qu'individus cuisiniers et pas en tant que petits soldats. Je veux qu'ils osent. Et j'entretiens avec eux des rapports humains très proches, très directs. Presque maternels. 

 

De la cheffe de palace qu'on a connue à la « mère Le Quellec » aujourd'hui, il y a un gouffre ! Comment expliquez-vous ce changement radical ? 

Ah oui, vous trouvez ? Ça me fait plaisir. C'est vrai ce que vous dites. Je pense que c'est le résultat de plusieurs choses. L'arrivée de mon troisième fils, la quarantaine ensuite, et enfin le passage du palace à ma propre maison. Auparavant, j'étais prise dans le carcan de la grande maison, à présent, je suis chez moi et ça m'a ramené à qui j'étais profondément, comme une évidence. 

  • Vive à la flamme, sucs des arrêtes tomatés © Antoine Marceau
    Vive à la flamme, sucs des arrêtes tomatés © Antoine Marceau

 

Vos dernières découvertes de restaurants à Paris et ailleurs ? 

Je vous parlais de Pierre et Christina Chomet. Donc, je citerai leur nouvelle maison à deux : Ambos. Récemment, je suis aussi allée voir Camille Saint M'Leux à la Villa9Trois et j'ai beaucoup aimé. 

 

Quels sont les jeunes chefs qui vous font vibrer ?

S'il faut n'en citer que deux, je dirais Manon Fleury et Adrien Cachot. D'une manière plus large, j'ai envie de découvrir des chefs, des endroits où il y a un propos qui vient me choquer un peu, où je ne vais pas forcément tout aimer, mais où ça va m'amuser et me déconcerter. C'est ça dont j'ai envie à présent, plutôt que d'aller dans des maisons plus classiques.