Nicolas Carro : “Nous sommes le trait d’union entre le producteur et le client”
Avec ses plages de sable blond, ses îlots et sa mer d’un bleu profond, la baie de Morlaix est un petit coin de paradis. C’est d’ailleurs ici, à Carantec, que Nicolas Carro a élu domicile depuis 2019. Le jeune chef, aujourd’hui âgé de 34 ans et originaire de Gausson près de Loudéac (Côtes d’Armor), a repris il y a quatre ans le mythique Hôtel de Carantec de l’ancien chef doublement étoilé Patrick Jeffroy pour y composer sa propre partition, teintée par ses expériences passées - il a longtemps été le bras droit d’Olivier Nasti au Chambard, élu chef de l'année Gault et Millau 2023 et propriétaire de l'un des plus agréables hôtels spa d'Alsace - et inspirées par les produits de sa Bretagne natale. C’est en tournant quelques artichauts que Nicolas Carro, aujourd’hui récompensé d’une étoile au Guide Michelin, nous en dit plus sur son univers.
YONDER : Quel a été votre parcours avant de reprendre l’Hôtel de Carantec ?
J’ai toujours été passionné par la cuisine ! J’ai donc choisi très tôt de suivre des études dans ce domaine, d’abord à l’école hôtelière de Dinard puis à La Réunion, car j’avais envie d’ouvrir un peu mes horizons. Dès le départ, je ne vivais que pour les restaurants étoilés ! C’est ce qui me faisait vibrer ! J’ai commencé par quelques expériences chez Jean-Luc Rocha à Cordeillan-Bages, puis Michel Guérard, Alain Passard, Arnaud Bignon au Green House à Londres et enfin, ma plus grosse expérience, chez Olivier Nasti au Chambard, à Kaysersberg (Alsace). Je suis arrivé en tant que chef de partie avant de finir second.
Quels souvenirs gardez-vous de cette dernière expérience ?
J’ai énormément appris à ses côtés, notamment à travailler la viande. C’est bête mais comme je suis Breton, on me confiait tout le temps les postes de poisson ! Un jour, j’ai dit à Olivier Nasti que j’aimerais reprendre la viande. À l’époque, je savais simplement parer un filet de bœuf, mais il m’a fait confiance car j’étais motivé et surtout, je voulais maîtriser tous les postes avant d’évoluer dans la hiérarchie. À la fin, je savais travailler du veau ou même du cerf de A à Z !
Puis l’appel de la Bretagne a été trop fort…
Oui ! Le Breton est un oiseau migrateur qui revient toujours aux sources ! Quand j’ai visité en l’Hôtel de Carantec, j’ai eu un vrai coup de cœur pour cet endroit. La vue est à couper le souffle, la mer est juste là, c’est vraiment magnifique ! Et puis il faut dire que la Bretagne fournit tous les produits dont j’ai besoin pour faire une bonne cuisine. J’ai sillonné la Baie de Morlaix pour rencontrer les maraîchers, les pêcheurs… Les opportunités sont infinies dans cet hôtel de Bretagne.
Comment décririez-vous votre cuisine ?
Je suis encore jeune donc je n’ai pas envie de me verrouiller dans une identité culinaire qui me bloquerait. Je préfère osciller au gré des saisons, je change un plat à la carte toutes les six semaines. Je pense qu’il est important de se renouveler pour ne jamais s’endormir. Cependant, certains marqueurs restent : j’aime beaucoup travailler sur l’acidité, les fermentations, le kombucha, le kéfir… Si aujourd’hui je cuisine peu de viande, mon expérience chez Olivier Nasti m’a tout de même apportée car je traite aujourd’hui le poisson comme une viande, avec de longues maturations par exemple. Aussi, je valorise toujours le poisson de A à Z, dans le but de réduire nos déchets. Avec le temps on optimise, on réfléchit mieux, on comprend que certains déchets sont en fait des ressources ! C’est important de bien valoriser le travail des producteurs passionnés.
Vous avez vous-même grandi dans une famille d’agriculteurs. Cette proximité avec la terre a joué dans votre respect du produit ?
Forcément. Tous mes oncles et tantes sont agriculteurs, j’allais à la ferme tous les mercredis, j’avais déjà cet amour de la terre, mais je n’ai jamais eu l’envie d’en faire mon métier. Mon envie a toujours été de faire le trait d’union entre le producteur et le client.
Au restaurant Nicolas Carro, vous proposez une formule déjeuner à 35 euros. C’est important pour vous de rendre la cuisine gastronomique accessible ?
Je me bats pour ça depuis le début ! Peu de temps après l’ouverture, nous avons connu le Covid et nous avons alors proposé des menus entrée, plat, dessert à 25 euros à emporter. Grâce à cela, beaucoup de gens ont pu découvrir notre cuisine sans se ruiner et ont eu envie de venir une fois le restaurant réouvert. L’idée, c’est que tout le monde puisse manger dans un étoilé Michelin, face à la mer, en profitant de la même qualité de service afin de vivre un bon moment.
Comment travaillez-vous avec vos équipes ?
J’essaye de faire en sorte que tout le monde se sente bien ici. Cela commence par accorder deux jours de repos consécutif à tout le monde, quelle que soit la saison. Chacun pointe aussi ses heures pour que les heures supplémentaires soient comptabilisées, les pourboires mensuels tombent directement sur le compte des salariés pour valoriser leur travail… On fait tous des efforts pour apporter du confort aux équipes, je n’ai rien inventé.
Vous avez participé à de nombreux concours depuis que vous êtes en cuisine. Pourquoi ?
Le concours du Meilleur Ouvrier de France m’a toujours attiré. J’ai donc participé à neuf concours pour me préparer à cela car j’ai l’esprit de compétition. Les concours permettent aussi de toujours se remettre en question, de nous tester dans des situations inédites. C’est très important de se tester !
Vous êtes à votre tour devenu jury de plusieurs concours, c’est comment de passer de l’autre côté ?
Je trouve cela très important car on a souvent de belles surprises, on découvre beaucoup de choses et surtout on transmet. Je suis jeune mais j’ai déjà plus de quinze ans d’expérience et il est important de la partager pour donner envie aux autres de rejoindre notre milieu. Aujourd’hui, beaucoup de métiers sont en difficulté et je pense qu’il est essentiel de former pour donner la fibre. Je fais également beaucoup de formations dans des écoles, comme celle où j’étais à Dinard ou encore à Ferrandi, et les gens peuvent venir faire des ateliers culinaires à l’Hôtel de Carantec, on n’a rien à cacher !