Matka, enfin un restaurant polonais digne de ce nom à Paris !
Si Paris se vante à raison d'accueillir en son sein une grande diversité de cuisines mondiales, certaines sont beaucoup plus et mieux représentées que d'autres. On n'en détaillera pas les diverses raisons ici, mais toujours est-il que la gastronomie de l'Est n'est pas la mieux servie. Même si une étude The Fork nous annonçait récemment son réveil de en cuisine, on trouvait cela jusqu'ici vraiment timide. Il faut dire qu'on revient de loin, puisque le plus souvent, les gens confondent encore cuisine russe et polonaise, mettant les deux dans la même soupière de bortsch et arrosant le tout d'une rasade de vodka, pour faire plus couleur locale. Sauf que le plat national polonais, c'est le ragoût de Bigos (à base de chou et de saucisse épicée) et que les Polonais – contrairement à leur réputation – boivent beaucoup plus de bière que de vodka... Bref, en ouvrant le premier restaurant à Paris bistronomique et polonais, le chef Piotr Korzen a fort à faire ! Mais, gageons que ce n'est pas pour lui déplaire.
Une pépite pour un pionnier à la conquête de Paris
Pour corser encore l'affaire, Piotr s'est installé dans la rue Quincampoix, sorte de Far West gastronomique où on ne se risque pas sans une bonne raison. Pour autant, on comprend pourquoi le lieu et même l'emplacement ont séduit cet aventurier. Un quartier historique délaissé, une structure ancienne et modulable à l'envi, un vieux poêle dans la salle du fond, une verrière, une clientèle et une réputation à bâtir... Un vrai challenge à sa hauteur.
De fait, au-delà du nom Matka (la mère en polonais), le restaurant insolite a tout d'une maison de famille biscornue et attachante. Un brin désuète mais pas trop, des photos de famille au mur, des bibelots bien choisis, un beau miroir ancien et, surtout, un côté chaleureux qui vous prend aux tripes, quand on arrive dans son cœur, passé le couloir rouge vif et/ou les entrées au menu. Tout un symbole. La décoratrice Aurélia Chalier a su retranscrire l'âme slave sans céder à la facilité et sans trahir la sincérité du propos du chef.
Ce dernier, d'ailleurs, est ce qu'on pouvait souhaiter de mieux comme ambassadeur de la bonne cuisine polonaise à Paris. En effet, après avoir fait ses classes à Cracovie, il arrive en France en 2016. Une première expérience à l'Isle-sur-la-Sorgue et il monte à Paris en 2018 pour prendre un poste au Sur-Mesure, aux côtés de Thierry Marx. Il y reste cinq ans et gravit un à un tous les échelons, pour finir second. Un tour à la Machine à Coudes à Boulogne-Billancourt en 2023 - où la critique qui franchit le périph' remarque déjà son talent - et l'aventure Matka commence un an plus tard, au printemps 2024. Autant dire qu'il n'a pas perdu de temps pour mener à bien son projet, encouragé en cela par la dotation Gault&Millau. Une détermination et une vision qui forcent le respect.
Moderne tradition
Piotr Korzen n'a au fond qu'une ambition, mais elle est fort louable : renouveler les traditions de son patrimoine culinaire pour mieux les transmettre. Cela passe donc par une subtile réinterprétation des plats emblématiques de la cuisine polonaise, où rien n'est dénaturé, mais où tout est augmenté et sublimé. C'est le cas dès les entrées, avec les blinis de sarrasin soufflés originaux, une Chlodnik (soupe de betterave glacée, concombre, aneth) acidulée comme il se doit et surtout une salade de harengs sensationnelle : dressage poétique et gourmand, élégance des associations et des découpes, sans oublier des goûts ultra concentrés. Sûrement la meilleure jamais dégustée !
Pour suivre, les fameux pierogi - pas russes du tout - dans les règles de l'art, un Golabki (chou farci) qui renouvelle le genre avec une farce à l'agneau puissante et un montage en feuille à feuille laser. Sans oublier la Roladka (roulé de poulette jaune) au jus corsé et légumes acidulés ; ainsi que le réconfort d'un Sernik (sorte de cheesecake polonais) à la rhubarbe, très joliment dressé.
Le tout, accompagné d'une carte des vins bien sourcée en Pologne, Hongrie et Autriche, qui sont des pays viticoles qui gagnent à être (re)connus, de cidres polonais (les pommes du verger sont une fierté nationale) délicieux et d'un service en V.O. charmant.
Une vraie pépite donc, qu'on n'hésite même pas une seconde à donner à ses amis polonais, tant on est sûr que les goûts sont là et que cette version moderne de la cuisine de leur matka ne pourra que les émouvoir. Quant à tous les autres, soyez curieux, allez-y. En cuisine, la curiosité n'est pas un défaut, bien au contraire.
Menu déjeuner en semaine : entrée / plat ou plat / dessert à 24 € ; E/P/D à 29 €
Menu déjeuner le week-end : entrée / plat / dessert à 34 €
Menu dégustation en 5 temps tous les soirs en semaine et au déjeuner le week-end : 69 € Carte disponible tous les jours midi et soir (sauf mercredi midi) : Entrées entre 12 et 17 € Plats entre 23 et 34 € Desserts entre 11 et 14 €
Ce qu'il faut retenir
Une belle surprise que ce restaurant polonais qui met à l'honneur une cuisine trop souvent réduite à sa caricature pour touristes. Un chef qui sait allier sa passion pour son pays à des techniques culinaires contemporaines, pour le plus grand plaisir des fins palais parisiens. Sa « matka » (maman) peut être fière de lui !
MATKA
78 rue Quincampoix, 75003 Paris
https://www.matkarestaurant.fr/
Ouvert du mercredi au dimanche, le midi de 12h00 à 14h00 et le soir de 19h15 à 22h00.