Visiter AlUla, un conte des Mille et Une Nuits dans le désert d’Arabie
Novembre. Vêtu d’une dishdasha immaculée et coiffé de la ghutra rouge et blanche traditionnelle, Sulaiman conduit un imposant 4x4 sur une route impeccablement asphaltée, au milieu d’étendues de sable ocre. Quelques stations-services flamboyantes rythment le paysage, rappelant que nous sommes en territoire pétrolier ! Au nord-ouest de l’Arabie, à 200 kilomètres des rives de la mer Rouge. Le crépuscule embrase le paysage, le souffle du désert est doux. D’immenses monolithes aux formes extravagantes surgissent, taillés dans le grès par les vents. Ils s’entremêlent à des canyons sablonneux. Des coulées de basalte ont figé des édifices.
Ce décor, grand comme la Belgique, est habité depuis des millénaires. Par les Nabatéens au tournant de notre ère. Leur capitale Pétra, en Jordanie, a fait leur renommée auprès des voyageurs contemporains. Sa « petite sœur » est dans la vallée d'AlUla, une longue oasis verdoyante perdue dans les sables du Hedjaz. Le carrefour est stratégique, sur la route de l’encens et de la myrrhe, la nappe phréatique généreuse. On cultive cédrats, oranges, citrons doux, dattes, on élève des chameaux. Les Saoudiens vont longtemps se désintéresser de ce site. On le dit frappé par une malédiction. Terrain de jeu quasi exclusif des archéologues, il est aujourd'hui promis à une nouvelle fortune, scellé par une coopération franco-saoudienne créée en 2018 et baptisée Afalula (Agence française pour le développement d'AlUla). Ce projet, culturel et touristique, est l’occasion pour les Saoudiens de se réinscrire dans leur histoire ; et l’un des accélérateurs de l'ouverture au monde voulue par Mohammed ben Salmane, désormais prince héritier.
En toile de fond, la préparation de l’après-pétrole. L’Arabie saoudite tient ici sa vitrine, son oriflamme. Adieu poussière et oubli. On se faufile dans l'ancienne ville d'AlUla, on se repose dans un bivouac de luxe en contemplant des œuvres d'art contemporaines, sous un ciel étoilé comme nulle part ailleurs.
1. Visiter Alula au sommet de l’« instagrammabilité »…
Il était une fois… les Nabatéens. Leur signature ? Des mausolées sculptés dans des monolithes rocheux de la taille d'immeubles. À une trentaine de kilomètres de la ville d’AlUla, Hegra est souvent comparée à Pétra, sa « grande sœur » jordanienne. Mélange de styles mésopotamiens, égyptiens, gréco-romains et arabes, cette nécropole concentre plus d’une centaine de tombeaux aux façades monumentales ornées d'inscriptions. Elle cristallise en grande partie la fascination pour ce territoire. À l’entrée, son Siq étroit évoque Pétra. Hegra fut le premier site saoudien classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Il n’en fallait pas plus pour révéler aux yeux du monde ce joyau.
2. On survole Hegra en ballon
Une expérience inoubliable lorsque l’on visite Alula est de monter à bord d’une montgolfière pour survoler Hegra au lever du jour. La roche se pare de teintes dorées, le ciel de teintes rosées, la vallée se révèle à flancs de falaise. L’émerveillement est au rendez-vous, le spectacle saisissant. On nous raconte l’histoire, la culture de la région, des récits d’un autre monde. Le soleil illumine le paysage. Même le bruit intermittent des brûleurs participe à un profond sentiment de paix et de sérénité.
3. Une bibliothèque à ciel ouvert
De retour sur les voies caravanières, nous partons pour Dadan. Sept siècles avant l’arrivée des Nabatéens, le site accueillit deux royaumes, celui des Dadanites et des Lihyanites. Des « tombes aux lions », taillées à flanc de falaise, nous révèlent l’histoire de la vallée. D'impressionnantes statues de grès rose de 2,5 m de haut représentent les rois Lihyanites. Une route conduit aux montagnes de Jabal Ikmah. À l'entrée d’un canyon, des centaines d’inscriptions ont été gravées dans la roche, durant des siècles, par des voyageurs. Descriptions de rites religieux, transactions commerciales, scènes de chasse… Des pictogrammes évoquent des animaux, des outils, des charriots, des personnages. Tout cela en araméen, nabatéen, arabe, dadanitique… Dix types d’écritures ont été identifiés. On surnomme le lieu « la bibliothèque ».
4. Visiter Alula en sons et lumières
Direction Jabal Al Fil. Certains rochers se démarquent des autres, comme celui de l’Éléphant. Ce monolithe, de plus de 50 mètres de haut, veille sur le désert. Le vent l’a pourvu d’une silhouette de pachyderme. Une vision dont on profite le soir lors d’un spectacle son et lumière. AlUla Moments regroupe de septembre à juin une série d’événements et de festivals. Avec des instants forts comme Desert X Art Festival (dédié au land art), Azimuth (festival de musique électro), ou encore AlUla Wellness Festival pour les amateurs de bien-être. Ancient Kingdoms Festival célèbre l’histoire de la région, Winter at Tantora la saison des récoltes. Art, musique, théâtre, sport sont réunis. Des restaurants pop-up invitent les meilleurs Chefs du monde, des ballons colorés métamorphosent le ciel.
5. Les secrets de la cité perdue
La vieille ville d'AlUla est sans doute l'une des cartes postales les plus insolites. Fondée au XIIe siècle (après J.-C.), elle fut habitée jusqu’au début des années 1980 ; avant d’être désertée pour des logements dotés d’électricité et de sanitaires modernes. Cité perdue, elle est en train de ressusciter. Dans un lacis de ruelles, 900 maisons en terre crue sont ranimées avec le concours d'archéologues. Des rues sont redevenues accessibles, d’autres restent mystérieuses. Des boutiques d’artisanat et des restos cools ont ouvert. Un boutique-hôtel les a rejoints.
On se promène, on achète des souvenirs, de l'huile de moringa pour ses vertus hydratantes, on s’attable devant un jus de tamarin et un sahlab, lait chaud parfumé à l'eau de rose. A deux pas, AlJadidah est la ville nouvelle : food trucks, street art, boutiques branchées ; un Starbucks et un salon de beauté mixte… Des silhouettes noires flânent. Si beaucoup de femmes ne laissent encore voir que leurs yeux, elles ne sont plus obligées de porter le niqab. Une tenue couvrant les épaules et les genoux suffit. Elles se retrouvent, entre copines, à la terrasse d’un bar chic, à siroter un café du désert au lait de chèvre et à la cardamome, à croquer dans un kebbeh, à regarder un film sur un smartphone. Un petit chemin de six kilomètres, l’Oasis Heritage Trail, invite à vagabonder le long de dattiers, de fermes, d’anciens remparts…
6. Mirage ou réalité ?
Maraya (miroir ou reflet en arabe) est une prouesse architecturale déroutante à découvrir lorsque l’on visite Alula. Comment des architectes (italiens) ont pu déposer, en plein désert, un parallélépipède de 100 m x 100 m x 26 m sans altérer le site ! Élémentaire : en recouvrant l’extérieur de 9 740 miroirs, faisant « disparaitre » le bâtiment dans son environnement. Ciel, désert, monolithes se reflètent dans ce palais des glaces. L’illusion d’optique est parfaite, on dirait un mirage ! À l’intérieur, un auditorium abrite 500 sièges. L’arrière de la scène s’ouvre pour révéler des formations rocheuses qui s’illuminent la nuit. Des stars du monde entier viennent s’y produire, Alicia Keys, Mariah Carey, Andrea Bocelli, Lionel Richie, Bruno Mars, Renaud Capuçon… On dîne au restaurant en roof top.
7. Trous de serrure et cerfs-volants…
Sur la route du retour, celle qui nous mène à l’aéroport de Médine, on ne cède pas à la tentation de faire un stop à Khaybar. Il y a peu, seuls les archéologues et les populations locales y avaient accès. Des promenades dans la palmeraie, des randonnées vers les volcans voisins sont désormais proposées dans cette oasis séculaire entourée de champs de lave. Les archéologues pensent que Khaybar est habitée depuis les IVe-IIIe millénaires avant J.-C. Le temps presse, on a choisi un tour en hélicoptère. On survole des structures ressemblant à des « cerfs-volants », des « trous de serrure », des triangles, des polygones, d’étranges portes en pierre allongées. Des « tombes pendantes » ont l’air à des pendentifs suspendus à une chaîne. Le désert est hérissé de volcans blancs, comme des gâteaux à la chantilly. Des villes anciennes, des châteaux, des forteresses, veillent sur la route de l'encens. Ici repose l'ancien royaume juif d'Arabie.
Visiter Alula | Des hôtels pour des séjours étoilés
Depuis l’ouverture de l'Arabie Saoudite au tourisme en 2019, des hôtels 5 étoiles sont sortis du sable. Avec la promesse d’un environnement magique au réveil.
Banyan Tree Alula
Toujours dans la vallée surnaturelle d'Ashar, Banyan Tree AlUla est un « campement », un « bivouac » aussi luxueux que les plus luxueux hôtel des Maldives ou des Seychelles, sans en avoir l’air. 79 villas, presque invisibles au premier coup d'œil. Leur architecture caméléon s’inspire elle aussi des techniques des Nabatéens. Coiffées de larges chapeaux en forme d'ailes de chauve-souris, couleur sable, accessibles via des sentiers creusés dans des dunes, elles sont éparpillées dans un espace grand comme les jardins de Versailles. En lévitation ! Un canyon monumental les protège, la vue embrasse le paysage jusqu'au fond de la vallée. Une immense terrasse prolonge chaque villa. La piscine, tout en longueur, est imbriquée entre les rochers d’une faille naturelle. Elle rappelle le Siq de Jabal Ithlib, non loin.
Our Habitas Alula
Blotti au milieu des rochers, dans la vallée d'Ashar, Our Habitas AlUla se fond littéralement dans le paysage. L’atmosphère est presque mystique. Chaque chambre est une villa offrant une vue panoramique sur le canyon. En hommage à l’architecture nomade nabatéenne, les villas d’Habitas AlUla, sans fondation, peuvent être déplacées. Le lever du soleil est impressionnant. On va de sa villa au restaurant ou à la réception en vélo électrique, on retrouve les codes chers à la marque ecofriendly : déco léchée, matériaux durables, piscine spectaculaire ; approche holistique avec yoga, méditation tranquille, bains sonores au crépuscule. Le site abrite d’anciennes gravures rupestres, et des œuvres d’art de la dernière exposition Desert X : trampolines, boules de couleurs, statues… Pour les amoureux de glamping, il est possible d’investir, dans le canyon voisin, une Caravan AlUla de la marque emblématique Airstream. Elles sont disposées autour d’espaces communs aux allures bédouines et de food trucks. Le soir, on assiste à des projections de films à même la paroi des falaises.
Dar Tantora
Une expérience hospitalière immersive dans la vieille ville d'AlUla. Ce boutique hôtel (de luxe) vient tout juste d’ouvrir ses portes, à l'emplacement d’un cadran solaire utilisé depuis des siècles pour annoncer le changement des saisons. Les chambres racontent toutes une histoire. Les éléments visuels et architecturaux ont été préservés, les techniques de construction d’autrefois retenues. Avec un peu d'ingénierie contemporaine toutefois ! Ventilation naturelle et feux de lanternes. Chaque chambre est à l'intérieur d'une maison, liée jadis aux autres pour former un mur de défense. Des ruelles étroites, labyrinthiques, serpentent. On est au pays des Mille et Une Nuits.
Sharaan Resort, by Jean Nouvel
On l’attend comme le clou du spectacle. Attendu pour la fin de l’année 2024, le projet de l’architecte français, un habitué du Moyen-Orient (le Louvre Abu Dhabi et le National Museum of Qatar), est de construire, au cœur de la réserve naturelle et archéologique de Sharaan, là où viennent d’être réintroduits gazelles et léopards d’Arabie, un palace à même la roche, à l’image des tombes nabatéennes. Une démarche « contextuelle », si chère à l’architecte, visant à combiner géographie, lumière et espace. Le resort prévoit quarante suites, trois villas et quatorze pavillons à la hauteur de la beauté et de l'héritage d'AlUla. Des balcons profiteront du spectacle. Une large cour circulaire sera creusée dans la roche pour accueillir les hôtes, un restaurant gastronomique installé au sommet. Un ascenseur en verre traversera la montagne, habitée d’œuvres d’art. Les murs intérieurs seront laissés dans leur matière et teinte naturelles, un grès couleur ocre. Rien n’arrête Jean Nouvel.
Quelques adresses gourmandes que nous avons testées
- Le Heart of Oasis, au milieu d’une forêt palmiers immanquable lorsque l’on visite AlUla. Les repas, « de la ferme à l’assiette », valorisent une cuisine locale préparée au feu de bois. Au menu, rouleaux d'aubergines et bœuf mandy (viande, riz, mélange d'épices). Ce restaurant est un incontournable. On y va aussi pour l'ambiance.
- Toujours dans la vieille ville d'AlUla, sous une terrasse ombragée, Daimumah (« durabilité » en VF), propose des saveurs inspirées du patrimoine saoudien, et des plats plus internationaux. Il s’engage également à n’utiliser que des ingrédients de saison provenant directement des fermes alentours. On opte pour un rouleau de bœuf aux aubergines et chou-fleur, un poulet juteux et glacé sur un lit de salade ; agrémentés de jus de fruits locaux.
- Entre palmiers et murs de terre, le Pink Camel est à quelques pas de la vieille ville. Un QR code accède à un menu qui propose des options végétariennes et végétaliennes, de délicieuses pâtisseries maison, un brunch et un menu pour le déjeuner, fraîchement préparés. Le cadre est paisible, parfait pour savourer des pâtes au citron et un gâteau aux dattes épicé. Le petit déjeuner est magnifique : pain perdu au chocolat, omelette et café noir. Pink Camel est aussi une authentique boulangerie.
- Nous sommes dans l’oasis de Khaybar. Tout en haut, sur la plate-forme Al Rawan. Au loin, le sentier des oasis, les villages perchés de Nizar et Munifah. On prend vite des photos avant de s’attabler au Takya. La cuisine y est patrimoniale, avec une touche de modernité : soupes copieuses, viandes mijotées, saleeg, mutabbaq au fromage… Les mets sont fins et délicieux, le succès du lieu en témoigne.
Visiter AlUla
Plus d’infos sur AlUla sur : experiencealula.com
Y aller
Du 18 février au 10 mars, puis du 7 au 28 avril, les vols directs reprennent entre Paris CDG et l’aéroport international d’AlUla au rythme d’un vol par semaine, les dimanches. Cette ligne, assurée par la compagnie Saudia, permettra aux voyageurs de rejoindre AlUla en seulement 5 heures. Le vol décollera le dimanche à 22h25 pour une arrivée à 5h40 lundi matin. La meilleure période pour découvrir AlUla s'étend d’octobre à mai. En dehors de ces mois, le climat désertique peut se révéler difficilement supportable en raison de chaleurs parfois extrêmes.