
Notre voyage sur la péninsule de Kii, l’âme du Japon authentique
Un voyage au Japon authentique, c’est toujours magique ! On peut quitter les mégapoles éclairées la nuit comme à midi pour se perdre dans une campagne semblable à celle que connurent les samouraïs à l’époque d'Edo, à hauteur de tatami comme dans les films de Ozu. Méditation et contemplation. La péninsule de Kii, cernée par les eaux du Pacifique, est un miracle : celui de 7 routes de pèlerinage incarnant le syncrétisme japonais, rencontre et fusion du shintoïsme et du bouddhisme. Un « raccourci vers le paradis » où des monastères et des pagodes sont les demeures des dieux. Des onsens, bains d’eaux thermales puisées au plus profond des terres volcaniques, accueillent les pèlerins venus se purifier et guérir leurs maux ; des randonneurs pour une expérience hors du temps, agrémentée de nourritures terrestres et de spécialités locales.
1. A l’origine était Koya-san, un Japon authentique
L’épicentre du bouddhisme Shingon, la deuxième montagne sacrée de l’archipel après le mont Fuji. Perchés à 900 mètres, 117 temples (2000 sous l’ère Edo) et 700 moines perpétuent l’enseignement de Kobo Daishi, fondateur de l’école au IXème siècle : renoncement à l’ego et acceptation du monde tel qu’il est. Le Kongobu-ji, haut de près de 50 mètres, est le principal temple. Son jardin sec, 140 pierres de granit représentant des dragons émergeant des nuages, a de quoi faire pâlir ceux de Kyoto ! Une forêt millénaire de cèdres protège 200 000 sépultures. Elles racontent toute l’histoire du Japon. Il y a des tombeaux d’empereurs, de samouraïs, de lettrés, d’artistes, de gens du peuple. Des monuments dédiés à des corporations, à des entreprises … Depuis plus d’un millénaire, on se rend à Kōya-san pour effectuer le pèlerinage du Kumano Kodo, le « vieux chemin de Kumano » qui relie les temples, guidés par un corbeau à trois pattes. Il traverse des forêts de cryptomères géants, longe l'océan, franchit des collines pentues, des forêts sombres, emprunte des sentiers pavés et moussus, des ponts de bois peints en rouge, des ruisseaux enchanteurs.
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Le jardin de pierre du temple Kongobu, un Japon en dehors des sentiers battus
Des kamis, dieux tutélaires, peuplent les arbres, les pierres, les mouvements de l’air. On a l’impression d’être dans Princesse Mononoké, le film d’animation de Hayao Miyazaki. Avec celui de Compostelle, Kumano Kodo est le seul chemin classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. On tamponne son carnet à chaque étape. Le temple de Seiganto-ji est flanqué d’une cascade haute de 133 mètres, honorée comme une divinité. Encore faut-il escalader un interminable escalier bordé de cèdres gros comme des piliers de cathédrale pour l’atteindre. Celui d'Ise trône au sommet de la hiérarchie des sanctuaires shinto. « C'est l'âme du Japon ». Il a abrité les cérémonies d'intronisation du 126ème empereur du Japon en 2019. Un peu à l’écart, un bataillon d’échoppes propose chapelets et amulettes, dernière étape sans doute pour effacer les fautes du passé !
2. On pose sa valise
Dans un shukudo, au cœur de la vie monastique. A Kōya-san, une cinquantaine de temples proposent le gîte et le couvert, dans le respect des règles édictées par un moine hôtelier. A l’image de Hojo-in. Cloisons et portes coulissantes en papier, lanternes Odawara, tatamis à l’odeur de paille, table basse et chaises sans pied…, tout ce que l’on s’imagine de ces auberges traditionnelles est réel. On laisse ses chaussures à l’entrée, on revêt un yukata. Les chambres ouvrent sur un jardin dont seul le Japon authentique a le secret. Un futon est déroulé le soir, les oreillers sont garnis de noyaux de cerises. Un shojin ryori, repas végétalien traditionnel est servi au diner, agrémenté de bière ou de saké (si on le souhaite). Cuisine simple et aromatique, réveil à l’aube (6h30 !) pour une séance de méditation avec un moine, au rythme du taiko, le tambour japonais. Le site eng-shukubo.net regroupe une soixantaine d'adresses, de 50 à 75 euros la nuit.
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Hojo In © Alain Maurice
Plus chic : le Kumano Club est un ryokan au bord du Pacifique. On est dans un village avec des maisons (une quarantaine) éparpillées. Espace salon, espace couchage, espace extérieur avec baignoire en bois. On apprécie l'esprit « cottage zen », les larges baies vitrées, les bains en intérieur et en plein air provenant d'une source thermale volcanique. Environ 500 € la nuit.
Le Kumano-bettei Nakanoshima est posé tranquillement sur une petite île au large de Nachi-Katsuura, entouré d'une verdure luxuriante. Les chambres sont traditionnelles, minimalistes ; l’hospitalité, l’atmosphère et l’esthétique 100% japonaises. Les marées fournissent la bande son, des sources chaudes sont en plein air. Inattendue, la cérémonie des « adieux ». Le staff de l'hôtel nous salue avec la main jusqu'à ce que le bateau accoste sur le continent. A partir de 350 € la nuit.
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© Hiroyo.726
Beaucoup plus chic. En haut d'une falaise surplombant la baie de Toba et l'océan, Oyado The Earth personnifie les contours de La Terre. The Earth est une luxueuse retraite cachée du monde par la forêt vierge du parc national d’Isa-Shima. Les seize suites mélangent design et composants traditionnels, mobilier en bois blond et tatamis. Elles disposent chacune de leur propre onsen en plein air, pour se détendre et regarder la mer. Luxe, bain et volupté… Pour préparer son corps à la nuit, on lit quelques pages de l’Éloge de l’ombre. Junichirô Tanizaki y évoque les jeux d’ombre et de lumière des habitats de l’archipel, sommet pour lui du raffinement. A partir de 700 € la nuit.
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Oyado The Earth - Suite Relaxation - Bain en plein air
3. On plonge dans le bain
Kii est la péninsule des onsens. Autrefois l’apanage des moines shintoïstes, ils sont un passage obligé. Y plonger est une expérience avant tout contemplative. On est nu dans l’eau (entre 40 et 50 degrés…), les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. On purifie son corps en même temps que son esprit. Découverte il y a environ 1 800 ans et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, la source de Yunomine Onsen est un moment apprécié dans la longue course aux temples. Ses eaux changent de couleur sept fois durant la journée.
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Le Yunomine onsen
4. Gastronomie & Terroirs
Si la péninsule de Kii est une terre de spiritualité, elle est aussi une région de traditions culinaires, connue pour son bœuf de Matsusaka (plus rare et plus cher celui de Kobé), ses poissons, ses fruits de mer et son riz. Pour goûter à l’omotenashi, savoir-recevoir honoré depuis des siècles, rien de mieux que de sonder la subtilité de la cuisine kaiseki. Une expérience digne d’une pièce du kabuki ! On est assis sur le sol, autour d’une table basse, dans une salle à notre usage exclusif. Les plats se succèdent, frits, rôtis, bouillis, à la vapeur, goûteux et délicats. Nouilles aux agrumes Kabosu ou Bungo Nabe (fondue aux fruits de mer), champignons shiitake…, ils célèbrent les produits alentours. Les sushis sont cuisinés à base de maquereau, de saumon, de dorade, enveloppés dans des feuilles de kaki.
Le petit-déjeuner est un autre voyage dans le Japon authentique : soupe miso, riz et légumes marinés, poissons grillés, nattō (graines de soja fermentées), servis avec un thé hojicha, grillé puis moulu, aux notes douces et aromatiques. Le terrain de jeu de la cuisine japonaise est celui des textures ; et de l’umami, une mystérieuse cinquième saveur après le sucré, le salé, l’acide et l’amer. Comme dans tout ryokan et beaucoup d’hôtels au Japon, une nuit implique de dîner et de petit-déjeuner sur place. Ceux de nos hôtels étaient à la hauteur : le Kumano Club, Kumano-bettei Nakanoshima et Oyado The Earth.
À Owase, l’ICHIJU (9-3 Nanyocho, Owase 519-3614) est célèbre pour ses sushis. On vient de loin. Il est même répertorié au Michelin ! Façonnés en douceur, assaisonnés de gari, condiment préparé à partir de lamelles de racines de gingembre marinées, ils fondent en bouche. Une approche old-school, héritée d'Edo ! Les ingrédients, pêchés dans le port, varient selon les jours : œufs de mulet, thon obèse, huîtres, calamar, congre, palourdes, tokobushi… Tout est frais, délicieux, généreux.
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© Ichiju
5. Pour accroître l’umami
À la pointe de Nakiri, près du sanctuaire Ise-jingu, se trouve un atelier de fumage de bonite en dehors des sentiers battus. Le procédé a été mis au point au milieu de la période d’Edo, encore lui ! Il consiste à fumer, environ un mois, des bonites empilées au-dessus d’un foyer nourri de bois de chêne ubamegashi. Elles sont ensuite mises à fermenter au contact de moisissures… pour accroître l’umami. Les bonites sont prêtes lorsque le vent d’automne se met à souffler, en septembre. Parsemées sur les plats, les fines lamelles (à peine 0,01 mm), frétillent. La visite de l’atelier dure deux heures, avec dégustation.
Katsuo no Tenpaku (Maruten Ltd.)
545-15 Nakiri, Daio-cho, Shima-shi, Mie-ken
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Katsuo no Tenpaku - hangar de fumage
6. Miso et mochi
A Ise, un sanctuaire nous attend, plus insolite. Une manufacture de miso, aux allures de musée, tenue par la même famille depuis 6 générations. Si on peut visiter l’usine, la boutique propose une grande variété de produits qu’on goûte avant d'acheter. Un miso aux cacahuètes, au yuzu, aux noix, une crème glacée molle au sésame et au miso… Un mochi maison, pâte de haricot au sucre brun saupoudré de Kinako, une poudre de soja grillé ! Nikenchaya, 6-8-25, Jinkyu, Ise-shi
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Miso & Mochi © Alain Maurice
7. Une histoire de boîtes à bento
Le magewappa est un artisanat traditionnel qui consiste à courber une fine planche de bois pour en faire une boîte à bento. Elle transportera tout un repas, au bureau, dans le train, à l’école, sous les cerisiers en fleurs… Les vivres des pèlerins évidemment. En bois clair et en courbes, l’objet est apaisant. Nous sommes des apprentis d’un jour. On coupe des lamelles de bois de cèdre qu’on fait bouillir. Le bois est séché, cintré, fixé à l’aide d’écorce de cerisier selon la forme désirée, laqué. Il contrôle le niveau d'humidité, le riz et les sushis gardent toute leur saveur. Si on en prend soin, un bento magewappa peut être utilisé pendant des décennies.
Nushikuma #12 of 30 Shopping in Owase
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© SHOKO Photography
8. Belles dames vêtues de blanc
Autre curiosité de la région, les Ama. Littéralement les « femmes de la mer ». Ces plongeuses en apnée, parfois octogénaires, sont une institution au Japon, un patrimoine vivant. Depuis des siècles, été comme hiver, elles disparaissent sous les flots, deux fois par jour, vêtues de blanc. Comme leurs ancêtres (il y a 4000 ans dit-on), elles pêchent des fruits de mers, coquillages et crustacés qu’elles cuisinent le soir au coin du feu, dans un chalet de bois faisant office de restaurant. Homards et poissons sont grillés devant nous. Inoubliable et délicieuse plongée dans un Japon authentique, en dehors des sentiers battus !
Ama Hut Satoumian
2279 Shimacho Koshika, Shima 517-0704
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Ama Hut Satoumian
9. Des perles du Japon façon pendentif
La péninsule de Kii cache dans ses eaux tranquilles des fermes perlières. L'archipel nippon a longtemps été le premier producteur de perles de culture dans le monde. Depuis que Kokichi Mikimoto, enfant du pays exalté par les perles sauvages d'Ise, parmi les plus convoitées au monde, inventa en 1893 le procédé. Une histoire et un trésor à découvrir à Ise-Shima, dans la région côtière de Toba. On choisit une huître (Akoya), on l’ouvre … on découvre une perle. Elle garnira, dans un atelier voisin, un pendentif ou des boucles d’oreilles. Souvenir unique.
Pearl Miki, 517-0705 Mie, Shima, Shimacho Goza
isesima.info/pearl-miki
10. Sayonara
Il est temps de rallier l’aéroport international d’Osaka depuis la gare de Kintetsu Ujiyamada. On choisit l’objet de notre repas dans un kiosque. L’ekiben fait partie intégrante de l’art de vivre et surtout de voyager au Japon. Il en existe plus de 1000 variétés ! Chacun est le reflet de la saison et des régions traversées. Ce sera un bol de riz garni « à la Enoshima » : poulet, œuf et lamelles d’algue nori… Un contrôleur en gants blancs nous salue d’une courbette. Une femme confectionne des figurines en origami, l’art ancestral de plier le papier. On dévore Le gourmet solitaire, un manga de Masayuki Kusumi. C’est l’histoire d’un gastronome averti qui apprécie par-dessus tout la cuisine simple des quartiers populaires...
Ed. Casterman, 200 p., 18,95 €.