Amantani : le Lac Titicaca vu autrement
Amantani, une île aux traditions ancestrales
Sur l’île péruvienne d’Amantani, au milieu du grand Lac Titicaca, une vingtaine d’hommes se tiennent assis sur la grande place. Tous sont vêtus d’un pantalon et d’un veston noir en coton épais par dessus une chemise blanche; sur la tête, un chapeau en feutre type Borsalino. L’un d’entre eux, porte une étole de couleurs aux motifs incas sur l’épaule, c’est le chef du conseil. Il préside et tranche sur les sujets abordés lors du conseil : dispute à propos d’un terrain, maladie, décès, naissance, phénomènes surnaturels observés, tous les sujets sont abordés, discutés et solutionnés ce jour, lors du conseil mensuel.
Ici, pas de police, pas de représentant de l’Etat, pas de tribunal. Tout est géré oralement, pas d’écrit, par et pour la communauté, et ce depuis des siècles.
Ils parlent un mélange d’Aymara et de Quechua, les langues de l’antique empire Inca. Ils sont les descendants de Lampaya et Kanturi, les amants mythologiques Aymaras qui fondèrent le grand règne Qolla, il y a plus de 500 ans. Ils ont gardé leurs coutumes ancestrales : pêchent, cultivent leurs champs terrassés, taillent la pierre, fabriquant des tables, des pots et diverses céramiques et constructions, à la manière des anciens.
L’île d’Amantani est située trente-huit kilomètres à l’est de Puno sur le Lac Titicaca. Seulement accessible en bateau, elle fait face à la péninsule Capachica et à l'île de Taquile. Débarquer à Amantani c’est comme voyager dans le temps. Revenir un demi-millénaire en arrière. C’est aussi réapprendre à écouter la nature, à la respecter et à vivre en son sein comme le font les insulaires voyant en chaque pierre, dans la brise du vent ou les flots du lac un esprit protecteur, un signe de fortune ou un avertissement.
Arrivés dans la matinée par la navette quotidienne depuis Puno, nous rejoignons notre hôte Eduardo Jatari. Il nous attend à l’embarcadère. L’homme, âgé d’une cinquantaine d’années, se tient, là, face nous. Frêle et petit, il se détache pourtant de tous les autres insulaires présents. Une espèce d’aura et d’élégance s’en dégagent. Un Borsalino de feutre vissé sur une chevelure épaisse d’un noir ébène, des traits à la fois très doux et marqués par, on le devine, une rude vie et l’âpreté du climat andin. Deux billes sombres et scintillantes me fixent et en quelques fractions de secondes, me mettent à nu.
Il s’avance vers moi et s’exclame solennellement mais avec une surprenante timidité « Bienvenida a Amantani. Es un honor. » puis nous invite à le suivre.
La rencontre avec Eduardo et Juana
Nous le suivons. Le chemin est pentu. A plus de 3 800 mètres, le moindre effort se ressent immédiatement. Pendant que nous marchons, nous faisons connaissance. Eduardo vit aujourd’hui essentiellement du tourisme, grâce à un petit gîte adossé à sa maison et la vente de son artisanat : bonnet, écharpe et gants en alpacas. Il produit ses propres fruits, légumes et céréales et possède quatre moutons et un âne. Il n’a besoin de rien d’autre. De temps en temps, il va s’approvisionner à Puno pour ce qu’il ne peut pas produire, vendant un mouton ou quelques légumes. Sa femme et sa belle-mère vivent avec lui à Amantani. Sa mère veuve, quant à elle, vit à plus de 95 ans, seule, dans une autre communauté sur l’île. Ses quatre enfants sont partis vivre à Puno et Juliaca, les deux villes les plus proches.
Pendant qu’il parle, je l’observe : pas une goutte de sueur ou le moindre signe de fatigue, il se déplace avec une vigueur et une légèreté surprenante. Après une demi-heure de marche, nous voici arrivés : au fond d’un petit jardin agricole en pente, une modeste demeure blanche de plain-pied surplombe le village sur les hauteurs de l’île et fait face à l’immensité bleue du lac Titicaca. Nous prenons une minute pour reprendre notre souffle et admirer le paysage. Une brise fraîche caresse notre visage, pas le moindre signe de modernité. Seuls quelques moutons et le bruit du vent dans les arbres perturbent le silence. Si le paradis est dans le ciel, les 3 800 mètres d’altitude de Amantani nous en rapprochent considérablement.
Soudain, un petit bout de femme nous rejoint dans le jardin. Elle porte une longue jupe rouge vif complétée d’un épais gilet en laine d’alpaga, un large chapeau en paille et de deux longues tresses noires finissent d’entourer un visage tout sourire, tanné par le soleil et plein de gentillesse. Elle marche péniblement, s’appuyant sur deux béquilles en bois. Il s’agit de Juana, la femme d’Eduardo. Elle ne parle que quechua, à peine quelques mots d’espagnol et paraît encore plus timide et pudique que son mari. Plus tard, Eduardo nous expliquera que Juana boîte ainsi depuis plus de cinq mois, suite à un accident. Le médecin venant une fois par mois sur l’île aurait diagnostiqué une grave entorse voire une fracture de la cheville. Cependant, les soins médicaux étant trop chers, elle n’a pu faire les examens ni les soins nécessaires à Puno. Son seul traitement consiste à appliquer chaque jour un cataplasme d’herbes. A ce jour, pas d’amélioration. Edouardo, semble très préoccupé et en même temps totalement impuissant.
Des pierres magiques
Après avoir pris nos quartiers dans la maison d’hôte, Juana nous prépare un excellent déjeuner, au menu : soupe de quinoa et fromage accompagnée d’une assiette de légumes du jardin : tomates, oignons et kumaras, sorte de patates douces. Pas de sauce, pas d’huile, peu de sel. En guise de boisson, une infusion de monia, une herbe utilisée pour lutter contre le mal des montagnes. C’est frais, c’est sain, c’est un régal. Nous profitons de la fin de journée pour parcourir l’île accompagnés d’Eduardo, qui nous ravi de ses histoires et légendes Aymaras, ainsi que de sa science des pierres magiques : «Les pierres qui vous entourent sont sacrées. Certaines sont sources d’énergie, en vous allongeant dessus vous pourrez ressentir leur chaleur. D’autres sont porteuses de mauvais sort, il ne vaut mieux pas vous en approcher ». Sur le retour, un coucher de soleil d’un autre monde, ne fait que confirmer la magie de ces lieux. Il fait nuit quant nous rejoignons la maison. « Si vous sortez la nuit, n’oubliez pas de prendre une lampe torche, les nuits sont très sombres à Amantani. » En effet il n’y a aucun éclairage public. « Il arrive que certains touristes se perdent et passent la nuit dehors ».
Dans la cuisine Juana s’active, le repas est presque prêt. Ça fume, bout, siffle dans les vielles casseroles en fonte noircies par le feu. Nous ne manquons pas un instant de la préparation experte de la soupe de quinoa. Tout comme nous ne laissons pas une miette dans nos assiettes lors du repas. 19h. L’heure de se coucher. Un froid glacial a, à présent, envahi la maison. La nuit s’annonce fraîche. Et humide : au loin le grondement sourd du tonnerre annonce de gros orages.
Une magie bien réelle
On petit-déjeune de crêpes de quinoa puis nous partons à la découverte d’une autre partie de l’île. Aujourd’hui, Eduardo nous explique les principes de l’agriculture andine. Absence de mécanisation, aucune utilisation de fertilisants chimiques, petites surfaces agricoles terrassées. Sur les basses altitudes, entre 2 500 à 3 500m : maïs et autres céréales. Plus haut, entre 3 500 à 3 900m : pommes de terre et autres tubercules andines (camote, oca, olluco...). Encore plus haut, au delà de 4000 mètres, c’est le royaume des lamas et des alpacas. La production de l’île est 100% organique, respectueuse de la nature et des saisons, elle ne s’exporte pas, ne se vend pas. Elle subvient uniquement aux besoins des insulaires.
Sans nous en apercevoir, nous arrivons au sommet du Cerro Pachamama, “Terre-Mère”. Un vent violent nous gèle jusqu’aux os. Le thermomètre ne doit pas dépasser les 10°C. Eduardo nous initie alors à un rite ancestral de communion avec la nature. Une cérémonie consistant à se purifier de toutes ondes négatives pour capter la force des éléments et en conserver leur énergie. Il nous invite à nous déchausser et nous asseoir face au Lac, les yeux clos, la paume des mains posés sur la terre, puis commence à réciter une incantation en Aymaras, nous présentant, Julie et moi, à la Pachamama, à la Pachatata « Terre-Père » et à la Mamacocha « Eau-Mère, le Lac Titicaca ». Ici, à 4150 mètres d’altitude, en haut de ce sommet face au vent, à ce moment précis, je n’ai pas eu froid, au contraire, je me souviens sentir la douce chaleur des rayons de soleil sur mes épaules ainsi que mes bras, mes mains et mes jambes comme si les rayons du soleil et la chaleur de la terre se rejoignaient à l’intérieur de moi. Ce jour-là j’ai appris que la magie existait, pour de vrai. Non pas la magie dans le sens où on l’entend habituellement, comme quelque chose de surnaturel, venant d’un tiers mystique mais une magie bien réelle, naturelle et intérieure, au sein et autour de chaque homme. Chacun a le potentiel d’être un vrai magicien, sans truc ni artifice, il suffit de savoir écouter et ressentir.
Les Aymaras l’ont compris. Nous l’avons oublié.
Le plus simple est de prendre le bateau-navette depuis la ville de Puno auprès des nombreuses agences de tourisme de la ville. Les agences proposent des prestations complètes : transports + hébergement + nourriture. Ne prenez pas ce package :
o Les temps de visite sont trop limité pour s'immerger dans l'atmosphère de l'île.
o Les familles qui vous hébergent sur l’île touchent moins de 15% de la totalité de ce que vous allez payer, la majorité revenant aux agences.
Contactez directement les familles.
La famille d’Edouardo Jatari sera heureuse de vous accueillir. Ses coordonnées :
Tél : 950-993308 / 951-664577
E-mail : titicacajatari@hotmail.com
C’est le fils d’Edouardo qui vous répondra depuis Puno.