La cuisine de Xavier Mathieu : une histoire de famille et de terroir
Bonjour Xavier Mathieu, pouvez-vous d’abord nous parler de l’histoire de ce lieu, le Phébus, et comment vous en avez fait l’un des plus beaux hôtels 5 étoiles de Provence ?
C’est une histoire de famille. Nous sommes arrivés ici avec mes parents il y a presque quarante ans. Nous avons créé ce lieu après avoir acheté ce terrain sur lequel il n’y avait que des ruines et des vieilles pierres. Nés à Marseille, mes parents fabriquaient des luminaires dans une entreprise familiale qui n’a rien à voir avec la restauration. Mon père a voulu créer une auberge à la campagne et ils ont trouvé ce lieu à une époque où le Lubéron n’était pas encore vraiment mis en lumière. Par la suite, ils ont commencé à bâtir des maisons et quelques chambres d’hôtes.
Quand le restaurant est-il né ?
Le restaurant existe depuis le début, car nous étions loin de tout et nous ne pouvions pas nous permettre d’offrir un logement sans le couvert.
Comment êtes-vous devenu chef ?
J’ai toujours été passionné de gastronomie. J’ai commencé dans les années 1985, 1986… L’école ne m’intéressait plus, je voulais apprendre la cuisine. Ça s'est fait simplement. Au début, je cuisinais avec ce que j’avais, je me débrouillais seul…
Quand avez-vous commencé à être seul en cuisine ?
Quasiment dès le début ! Les premières années, il y avait un cuisinier et mon arrière-grand-mère. C’était une histoire familiale. Parfois, mon père donnait un coup de main en cuisine et on faisait ce qui nous semblait bon.
Êtes-vous autodidacte ou avez-vous suivi une formation ?
J’ai passé un CAP à Avignon, parce qu’il le fallait bien. J’ai eu de la chance. Dans les années 1980-1990, le chef Roger Vergé, du Moulin de Mougins, avait acheté une maison dans notre village et avait remarqué les travaux ici. Par la suite, il a sympathisé avec mes parents et m’a demandé ce que je voulais faire plus tard. Quand je lui ai dit que je voulais devenir cuisinier, il m’a proposé de venir chez lui. On fermait toujours l’hiver pendant quatre ou cinq mois, donc j’allais passer ce temps-là chez Monsieur Vergé. Son restaurant marchait très bien et était ouvert toute l’année, contrairement au nôtre.
Qu’avez-vous appris chez Monsieur Vergé ? Quels souvenirs en gardez-vous ?
J’apprenais la cuisine du soleil ! Quand je revenais chez moi, je tentais de reproduire ce que j’avais appris là-bas. Monsieur Vergé m’a inspiré et m’a donné encore plus goût à la gastronomie. J’en garde beaucoup de souvenirs, car le monde de la restauration a bien changé depuis : autant ce que l’on propose aux clients que les attentes de ces derniers et des équipes. C’était une autre époque.
Qu’est-ce qui vous a vraiment marqué chez Monsieur Vergé ?
Des plats que je fais toujours. J’ai appris les bases chez lui, des bases qui demeurent dans ma cuisine. Par exemple l’artichaut à la barigoule du Moulin de Mougins, un artichaut violet cuit à l’huile d’olive avec un petit peu de carottes et des oignons, du thym et de l’ail. Un bouquet garni déglacé au vin blanc sec, puis des légumes provençaux et à la fin, du basilic. C’est un plat simple mais savoureux, qui plaît toujours.
Il y a des recettes et des bases anciennes qui n’ont pas changé. Cependant, la façon de construire le menu et les offres ont évolué. À l’époque, la carte était imprimée à l’imprimerie et restait la même pendant six mois. Aujourd’hui, elle est remaniée pratiquement tous les jours.
Après votre passage chez Vergé, vous avez rejoint les cuisines de Joël Robuchon à Paris. Comment votre approche culinaire a-t-elle évolué entre ces deux maisons ?
Mon père m’a laissé très jeune les clés de la cuisine, donc j’ai dû apprendre très tôt à gérer le restaurant, à créer des plats ou à faire des cartes. Ma cuisine a évolué de plusieurs manières : lorsque j’étais chef, je copiais, je ne faisais quasiment rien par moi-même. Quand j’avais vingt-cinq ans, j’allais chez Vergé l’hiver, je prenais des idées, des recettes, puis je venais les reproduire chez moi. J’adaptais pour que cela convienne à mes clients. Un jour cependant, je me suis dit que moi aussi, je voulais faire ma propre cuisine.
Quand vous est venue cette idée ?
Avant les années 95, ma cuisine était inspirée de toutes les personnes avec lesquelles j’ai pu travailler. Puis un jour, je me suis demandé qui j’étais et j'ai décidé de créer la mienne. Quelles étaient mes origines ? Quelle était mon histoire ? Qui était Xavier Mathieu ? J’ai eu ce déclic lorsque j’ai eu l’étoile, parce que je ne fais pas partie des chefs qui ont travaillé dans le but de l’obtenir. Lorsqu’elle est arrivée, je ne savais même pas comment elle était tombée ! J’œuvre avant tout pour mes clients et pour ma maison. Quand on travaille chez des chefs étoilés, en tant que chef de partie par exemple, on ne sait pas ce qui se passe de l’autre côté. Mais, lorsque l’on obtient l’étoile, on se rend réellement compte de ce que cela signifie. On reçoit des lettres de grands chefs qui nous félicitent, on va dans des endroits où l’on nous serre la main, on voit des choses que l’on ne pensait jamais voir… J’ai eu cette étoile la même année que le Phébus est devenu Relais & Châteaux. J’ai très vite été propulsé dans la cour des grands, sans vraiment savoir ce que c’était.
C’est à ce moment-là, alors que j’ai côtoyé tous ces grands chefs qui paraissaient presque comme des copains que je me suis rendu compte que ce que je faisais n’était pas ma propre cuisine. J’ai donc effectué un travail sur moi-même et j’ai décidé de ne plus m’inspirer de personne. C’est mon histoire, qui passe par ma grand-mère, par les souvenirs de ma vie et de mes voyages.
Depuis vingt ans, la cuisine que je propose est vraiment la mienne et, lorsque je vois un plat qui ressemble à l’un des miens dans un autre restaurant, je l’arrête tout de suite ou je le retravaille. Je me mets dans la peau du client qui va d’un restaurant étoilé Michelin à un autre ; si c’est pour goûter quelque chose de similaire, ça ne m’intéresse pas. Surtout, ne pas copier et ne ressembler qu'à soi, c’est la devise que j’applique !
Vous parlez de votre mère et de votre grand-mère. Qu’en gardez-vous ? Une recette emblématique ? Deux ou trois produits ?
Ma mère ne cuisinait pas beaucoup. Mon arrière-grand-mère, en revanche, était cuisinière de métier et, au début, elle cuisinait avec mon père et moi. Elle était née autour de 1900 et sa cuisine n’était pas actuelle, mais les goûts, les associations, les produits et le final, c’est toujours ce que l’on recherche aujourd’hui ! Il y a un plat que je mangeais chez elle tout petit : la morue aux poireaux. Elle faisait une fondue de poireaux, avec un peu de safran, dans un plat à gratin et puis, par-dessus, elle réalisait une brandade de morue avec des pommes de terre écrasées et de la chapelure. Je reproduis ce plat depuis quelques années maintenant. La présentation est différente, mais les goûts, l’émotion et le plaisir qu’on y trouve sont exactement ceux que j’ai gravés dans ma mémoire d’enfant. L’année dernière, une cliente m’a dit « Votre plat est délicieux, il est presque aussi bon que celui de ma grand-mère ! ». Elle l’appelait “la raïte” et j’ai repris cet intitulé.
Pourriez-vous nous parler d’une autre création emblématique ?
Il y en a plein ! Par exemple cet amuse-bouche que j’ai commencé à servir récemment : nous avions commencé à fabriquer notre propre huile d’olive sachant que l’on possède quelques oliviers sur la propriété. Lorsque nous ramassons nos olives, nous en gardons une partie pour l’apéritif. L’année dernière, on en avait beaucoup, j’ai donc inventé un tian aux olives. Il n’existe pas de recette de grand-mère mais le fait d’avoir des olives m’a donné l’inspiration : c’est local, les olives sont issues de notre propriété ! Le tian aux olives est composé principalement d’œufs et d’olives... Ce n’est pas un tian comme on peut l’imaginer en Provence où les légumes sont bien rangés. Celui-ci est préparé avec un appareil et ça plaît beaucoup.
Quels voyages vous ont particulièrement marqué ?
Tous mes voyages m’ont énormément appris : la culture, la cuisine… Je ne peux pas dire que j’ai préféré un voyage plutôt qu’un autre. Toutes mes découvertes m’ont apporté quelque chose. Si je devais choisir, le Japon est un pays qui m’a particulièrement marqué. Au début, lorsqu’on arrive, on se sent comme sur une autre planète. Dans le traitement des produits, les Japonais ne prennent que ce qu’il y a de mieux, ils transforment les ingrédients le moins possible. J’ai adopté beaucoup de techniques de là-bas. Aujourd’hui, par exemple, la technique de conservation, la fermentation, utilisée afin d’apporter de l'acidité, est devenue commune... Le Japon adopte une attitude plus rigoureuse et sérieuse quant au traitement des aliments. Par exemple, le tri des aliments et le compostage sont très importants ; les Japonais ne se posent même plus la question, c’est une habitude de vie.
Est-ce quelque chose que vous avez intégré ?
Oui, c’est crucial pour moi. Les jeunes aussi l’ont déjà intégré. Ceux qui arrivent des écoles sont sensibles au tri. C’est totalement intégré dans leur manière de faire la cuisine.
Y a-t-il des choses que vous avez mises en place afin d’éviter le gaspillage ?
Oui, par exemple tout le pain, c’est la bergère qui vient le chercher pour le donner à ses chèvres et ses moutons, les épluchures passent au compostage. On trie les cartons, les verres, les plastiques... Lorsque la dame qui nous fait le fromage vient ici, elle repart avec le pain dans un sac de farine qu’on a mis de côté pour elle !
Le Phébus
22 Route de Murs, 84220 Joucas
Ouvert tous les jours de 19:30 à 21:30 et du vendredi au dimanche de 12:30 à 13:30
Réservations en ligne
Informations par téléphone : +33 (0)4 90 05 78 83