Entretien exclusif avec Jérôme Faure, chef sommelier inspiré chez Constance Hotels & Resorts
À la tête de 96 sommeliers répartis dans les huit établissements de Constance Hotels & Resorts, Jérôme Faure dirige le pôle vin du groupe et mène son équipe avec une passion contagieuse. Né au cœur de la vallée du Rhône, berceau de grands vins, il a rejoint la marque hôtelière de luxe en 2004 avec une mission ambitieuse : faire vibrer les papilles et élever l’île Maurice au rang des destinations gastronomiques incontournables. Avec la plus grande cave de l’océan Indien abritant plus de 450 000 bouteilles, le groupe Constance et ses hôtels de luxe à l'île Maurice, Madagascar et aux Seychelles peuvent revendiquer avoir relevé le défi avec brio. Nous avons rencontré cet ambassadeur de la sommellerie dans l'océan Indien pour évoquer les plaisirs de la dégustation, les trésors des vins sud-africains et sa manière unique d’insuffler l’amour du vin dans ce coin de paradis tropical.
YONDER : Bonjour Jérôme, qu’est-ce qui vous a poussé à développer l'offre de vins à l'île Maurice au sein de Constance Hotels & Resorts ?
Jérôme Faure : À mon arrivée à Maurice, aucun importateur n’utilisait de conteneurs réfrigérés. Les vins étaient donc mal conservés. Nous avons pris la décision d’effectuer nos propres sélections et d’importer les vins dans des conditions optimales. Cela nous a permis de constituer une offre de vins de qualité.
Quelle était votre vision pour la sommellerie à l'île Maurice lorsque vous avez rejoint Constance en 2004 ?
En 2004, tout restait à faire. Mon objectif était de mettre en place un service classique de sommellerie. J'ai rencontré des Mauriciens motivés et désireux d’apprendre, ce qui a naturellement contribué à l’essor de la sommellerie sur l’île.
Comment la création de l'Association des Sommeliers en 2008 a-t-elle soutenu cette vision ?
L’association nous a permis d’organiser des dégustations régulières, favorisant l’apprentissage du vin à Maurice. À l’époque, la connaissance de l’œnologie y était très limitée. En 2010, nous avons lancé le concours du Meilleur Sommelier de Maurice, ce qui a encore renforcé l’engouement des jeunes pour la sommellerie.
Quels impacts concrets avez-vous observés ?
Cette soif d’apprendre a permis à de jeunes Mauriciens d’introduire la culture du vin dans leur vie quotidienne. Je me souviens d’un jeune homme qui m’a contacté un samedi soir pour savoir quel vin choisir avec un cari de fruits de mer qu’il partageait en famille.
Quels défis rencontrez-vous pour introduire la culture du vin dans un pays non producteur comme l'île Maurice ?
Il faut d’abord comprendre les goûts locaux. Les épices, omniprésentes, ne se marient pas avec tous les vins. Il est crucial d’adopter des références locales. Parler de cassis ou de tilleul à un Mauricien n’a pas toujours de sens ; en revanche, évoquer l’ananas, le jamblon ou les feuilles de carripoule est bien plus pertinent. Heureusement, les Mauriciens abordent le vin sans a priori, ce qui est un atout.
Y a-t-il des vins français qui vous marquent particulièrement ? Pouvez-vous partager certains de vos coups de cœur ?
Les vins du nord de la Vallée du Rhône, notamment les Syrah, se prêtent particulièrement bien aux climats chauds et humides comme celui de Maurice. J’ai un faible pour la Côte-Rôtie Maison Rouge du Domaine Vernay, élaborée par Christine et Emma. J’apprécie aussi le travail de jeunes domaines comme Julie et Graeme Bott, ou encore Eymin Tichoux.
Quels sont vos meilleurs souvenirs de dégustation et les vins qui les accompagnent ?
J’ai eu la chance de déguster de nombreuses bouteilles exceptionnelles. L’un de mes plus beaux souvenirs remonte à une dégustation chez Bouchard en Bourgogne, avec un Chevalier-Montrachet 1948 : un moment magique. Je suis également passionné par les liquoreux. Julie Gonet-Medeville m’a fait découvrir un Château Gilette 1935, un instant hors du temps.
Y a-t-il des vignerons en France que vous aimez particulièrement soutenir et recommander ? Dans quelles régions et pourquoi ?
Je tiens en haute estime le Domaine Le Pas de l’Escalette, dirigé par Delphine et Julien Zernott, situé sur les Terrasses du Larzac. Ils produisent des vins élégants en altitude.
Je suis également admiratif de Thierry Germain, du Domaine des Roches Neuves à Saumur. C’est un maître de la biodynamie, profondément connecté à la nature et aux hommes.
Quelles spécialités mauriciennes recommanderiez-vous d’accompagner avec des vins spécifiques ?
Pour les plats épicés mauriciens, des vins avec un léger sucre résiduel sont idéaux pour adoucir le piquant. Par exemple, un carry poulet crevettes se marie à merveille avec un Pinot Gris Hengst 2020 du Domaine Albert Mann.
Quels sont les vins d’Afrique du Sud que vous admirez ? Pensez-vous que cette région a encore du potentiel pour les amateurs de vin ?
J’adore les vins sud-africains. Depuis plus de vingt ans, je visite chaque année la région du Cap, et j’ai pu observer l’évolution des domaines et des techniques de vinification. J’apprécie particulièrement les vins de Rall Donovan, Mullineux, Sadie Family, David & Nadia, et Chris Alheit. Le potentiel de découverte en Afrique du Sud est encore immense.
Comment envisagez-vous l’évolution de la sommellerie à l'île Maurice et dans l’océan Indien ?
De plus en plus d’hôtels recrutent des sommeliers. La prochaine étape serait de créer une école de sommellerie dans la région. Cela profiterait à l’industrie du tourisme en renforçant la qualité. La jeunesse mauricienne, seychelloise et malgache s’intéresse de plus en plus au vin, et la sommellerie ne peut que croître dans l’océan Indien.