On a beau dire, même si les classements se multiplient depuis quelques années, dans le cœur des chefs, rien ne remplacera jamais le Michelin. Alors que la cérémonie du Guide Michelin 2024 France arrive à grands pas, on ne saurait pas bien l'expliquer rationnellement, mais c'est ainsi. D'ailleurs, un mois avant la date fatidique, la fébrilité se fait sentir dans les rangs. Tous les chefs des meilleurs restaurants gastronomiques de France et de Navarre ont le doigt sur la couture du pantalon et rajustent leur toque.
Car, oui, même si le Guide Michelin accélère son développement à l'international, la France reste un enjeu stratégique de premier plan pour l'entreprise de Clermont-Ferrand.
Et, qui plus est, la France des régions, celle d'où vient l'essentiel de l'inspiration gastronomique, selon le directeur Gwendal Poullennec qui souligne auprès d'un confrère leur prévalence dans le palmarès : « Un chiffre marquant : 84 % des nouveaux étoilés de la sélection 2023 y sont situés ».
Pour la troisième année consécutive, le Guide Michelin 2024 et son directeur ont donc choisi de remettre leurs étoiles en mars en dehors de Paris. Après Cognac il y a deux ans et Strasbourg l'an dernier, ce sera donc le 18 mars à Tours, en Centre-Val de Loire, région gastronomique s'il en est.
Guide Michelin 2024 : quel(s) sont les prétendant(s) à la troisième étoile ?
Difficile de savoir si le Michelin restera dans la sobriété comme l'an dernier en n'attribuant qu'une seule 3èmeétoile – à Alexandre Couillon (La Marine, Noirmoutier) – ou s'il se montrera plus généreux, mais une chose est sûre : nombreux sont les chefs à pouvoir prétendre à la consécration ultime.
Commençons par mettre les pieds dans le plat avec Yoann Conte (La Table de Yoann Conte, Veyrier-du-Lac), tout juste récompensé par le rival Gault&Millau. De deux choses l'une, soit le Rouge continue sa guéguerre contre le Jaune et le prive de sa troisième étoile méritée, soit il décide de se placer au-dessus de la mêlée, ce qui serait fair-play et un signal fort pour tout le monde. Pour la belle histoire, parce qu'on fête ses 100 ans cette année et parce que sa brigade d'élite se démène pour redorer le blason de la maison, on verrait bien Paul Bocuse récompensé aussi.
Yoann Conte
Côté outsiders - c'est-à-dire ceux qui ne squattent pas les plateaux de télévision et qui sont injustement sous le radar - plusieurs noms reviennent dans la bouche de nos informateurs... Retenons-en deux : Kazuyuki Tanaka (Racine, Reims) qui affirme sa personnalité avec des assiettes toujours plus précises et créatives. Xavier Beaudiment (Le Pré, Clermont-Ferrand), qui a fait de la simplicité un sacerdoce et permettrait au Michelin de rendre hommage à la région Auvergne, son fief historique.
Dans le genre indiscrétions, on nous assure qu'un chef parisien devrait être adoubé. Si un nom revient immanquablement sur toutes les lèvres des professionnels : Jérôme Banctel (La Réserve, palace à Paris), d'autres pourraient créer la surprise... En effet, on parle aussi de Stéphanie Le Quellec (La Scène, Paris), Amaury Bouhours (Le Meurice, Paris) et toujours de Jean-François Piège (Le Grand Restaurant, Paris).
Olivier Nasti en cuisine © Ilya Kagan
Quant à ceux dont les noms sont les plus attendus, il y a bien sûr Olivier Nasti (La Table d'Olivier Nasti au sein de l’hôtel Chambard, l’un des plus beaux hôtels d’Alsace à Kaysersberg), qui fait figure de grand favori à l'Est. Alexandre Gauthier (La Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil) est clairement en pole position aussi, mais avec ses récents déboires dus aux inondations répétées dans le Nord, on ne sait trop si le Michelin le récompenserait cette année, au risque de faire passer cette 3ème étoile plus que méritée pour un lot de consolation. Région hôte, la Loire pourrait également se voir distinguée en la personne de Christophe Hay (Fleur de Loire, à quelques encablures des Châteaux de la Loire à Blois). Bref, c'est vraiment très ouvert, mais ce qui est sûr c'est que la France peut s'enorgueillir d'avoir une armada de chefs si talentueux.
Le chef Christophe Hay à Fleur de Loire © C. Jamet
Deux étoiles Michelin en 2024 : les jeux ne sont pas faits
Commençons cette fois-ci par Paris, avec plusieurs chefs qui nous ont récemment tapé dans l’œil. Tout d'abord Eugénie Béziat (Le Ritz, Paris et son restaurant gastronomique Espadon) qui pourrait les décrocher directement sans passer par la case première étoile. Sa proposition culinaire différente au sein d'un palace classique enthousiasme critique et public, pourtant réputés difficiles. Tom Meyer (Granite, Paris), précis et régulier comme personne, devrait également facilement accéder à la seconde marche. Tout comme Hugo Bourny, qui livre une partition des plus rafraîchissantes, modernes et abouties dans le cadre mythique du Lucas Carton. À Paris toujours, on verrait bien le Guide Rouge récompenser le chef Yuichiro Akiyoshi (Chaikaiseki Akiyoshi, Paris) pour sa proposition unique en France autour de la cérémonie du thé. Ou encore Thomas Boullault (L'Arôme, Paris), salué par tous pour sa cuisine raffinée.
Eugénie Béziat au Ritz Paris © Studio PAM
En région, moins de suspense (il nous semble) avec une seconde étoile attendue pour quatre chefs remarquables : Romain Meder (Les Chemins, Domaine de Primard en Normandie, notre destination préférée pour un week-end proche de Paris), Florent Pietravalle (La Mirande, le meilleur restaurant à Avignon), Julien Roucheteau (La Table des Rois à la Réserve de Beaulieu) et Fabien Ferré (Hôtel et Spa du Castellet, mythique table et hôtel du Var) qui a relevé le défi de la passation de Christophe Bacquié avec grand succès. Mais le Guide Michelin a l'habitude de sortir des surprises de son chapeau, alors on reste en haleine... Et on ne serait pas trop étonnés de voir quelques Savoyards atteindre ce deuxième sommet : Benoît Vidal (Maison Benoît Vidal, Sur les Bois, Annecy-le-Vieux), Clément Bouvier (Ursus, Tignes), Jean-Rémi Caillon (Alpage, Maison Pinturault, Courchevel) si les inspecteurs ont eu le temps d'aller le voir, ou encore Antoine Gras (La Table de l'Ours, Barmes les Ours, Val d'Isère), qui a réussi à bluffer Arnaud Donckele lors de son repas là-haut, rien que ça !
Les Chemins © Philippe Vaurès Santamaria
La première étoile Michelin : à discrétion ?
Autant, de l'aveu général, le passage de la première à la seconde est des plus ardus, autant l'obtention de la première étoile semble plus certainement relever du fait du prince. Pas que l'on veuille dire que c'est arbitraire, juste que les critères sont plus flous, ou ouverts, c'est selon.
Ceci dit, dans les chefs et tables dont on parle, voici celles et ceux qui reviennent à nos oreilles le plus souvent : Manon Fleury (Datil, Paris), Thibault Nizard (L'Aube, Paris), Adrien Cachot (Vaisseau, Paris), Maxime Bouttier (Géosmine, Paris), Benjamin Schmitt (ex Hectar, Paris), Flavio Lucarini (Hémicycle, Paris). Et on espère le retour de l'étoile à l'Agapé, avec son nouveau chef des plus prometteurs, Yoshi Nagato.
Manon Fleury © Thomas Smith
Ailleurs en France, on attend cette reconnaissance pour Thomas Benady (L'Auberge Sauvage, Normandie), Christophe Chiavola (Le Prieuré, Baumanière), Matthieu Hervé (Le Cèdre de Montcaud, Château de Montcaud, Sabran) le nouveau MOF Louis Gachet (Le Feuillée, au Couvent des Minimes, Mane), Florencia Montes et Lorenzo Monti (Onice, Nice), Hugues Mbenda (Kin, Marseille) ; et bien sûr Christophe Bacquié pour sa nouvelle table d'hôtes (La Table des Amis, Le Mas des Eydins, Bonnieux). Sans oublier tous les Nordistes qui montent, comme Ismaël Guerre-Genton, revenu sur ses terres avec Inès Rodriguez (Empreinte, Lambersart), Edouard Chouteau (La Laiterie, Lambersart) qui, selon nous, aurait dû l'avoir depuis belle lurette ou encore Valentina Giaccobe qui fait déjà des étincelles (Ginko, Lille). Mais, la vraie pépite, c'est près de Rodez qu'on l'a trouvée, en la cheffe Alix Pons-Bellegarde (Table 42, Bézonne). Après avoir sillonné le monde avec son mari anthropologue, elle s'est installée dans la ferme aveyronnaise millénaire de celui-ci et y propose une cuisine locavore (pas plus de 42 km alentour) radicale, expérimentale et surtout géniale, qui attire déjà les gourmets éclairés du monde entier. Un diamant brut.
Pour conclure, ce pronostic, même s'il est très extensif, est tout sauf exhaustif. Il ne reflète que l'avis de la rédaction, fonction des restaurants testés cette année et des échos qui nous sont faits au fil de l'eau. Pour le reste, on est conscient qu'il y aura des surprises, bonnes comme mauvaises. Le Guide Michelin France 2024 ne manquera pas, c'est certain, d'avoir plus d'un Tours dans son sac…