Luberon : rencontre avec Gatien Demczyna, nouveau chef du Couvent des Minimes
Aux fourneaux du Couvent des Minimes, repaire feutré à l’écart du Triangle d’or du Luberon en Provence, le chef Gatien Demczyna joue une partition épicurienne, respectueux des produits et des saisons, attentif au mariage des saveurs et à la précision des cuissons. Une passion qui l’anime depuis l’enfance et qu’il développe depuis cet été au bistrot Le Pesquier et au restaurant gastronomique étoilé Le Cloître.
Gatien Demczyna : de la cuisine de sa grand-mère à la deuxième étoile
YONDER : Vous avez grandi dans la culture de la cuisine. Racontez-nous vos débuts.
J’ai été élevé par mes grands-parents charcutiers-traiteurs à Lyon, car ma mère travaillait dans le médical, donc était peu disponible. J’ai toujours vu ma grand-mère mitonner des plats que j’aimais goûter. Mon grand-père m’a initié aux beaux produits comme une leçon de vie. J’ai baigné toute mon enfance dans cette ambiance, qui m’a aidé à me construire. À 14 ans, je voulais être cuisinier.
Une vocation précoce qui m’a conduit à 16 ans en école hôtelière à Lyon, mais j’ai interrompu cette scolarité après deux années car je trouvais que l’apprentissage en cuisine était un peu léger. Entre les cours et les stages d’été, j’avais bien assimilé les bases et je souhaitais poursuivre ma formation en cuisine. Je voulais être chef de partie pour manager des équipes. J’ai décroché un premier poste de commis dans une brasserie de luxe lyonnaise avec un chef qui venait de chez Georges Blanc.
Ce premier job vous a permis de vous orienter vers les étoilés.
Après une saison d’hiver à Méribel, Jean-André Charial m’a donné ma chance dans les cuisines de l’Oustau de Baumanière. J’avais 20 ans. Je lui en serai toujours reconnaissant. À l’époque, le restaurant des Baux avait deux macarons Michelin. J’étais un peu stressé, mais enthousiaste. Pendant trois années, j’ai été sensibilisé aux secrets de la grande cuisine française et à l’art des cuissons.
En 2003, j’ai rejoint le bistrot d’Eygalières Chez Bru (une étoile au Michelin) au poste de second de cuisine. Auprès du chef Wout Bru, j’ai beaucoup appris sur le goût, les équilibres, le plaisir de communiquer une émotion et aussi le management des hommes. Deux ans plus tard, nous avons obtenu la deuxième étoile.
J’ai poursuivi ces expériences formatrices dès 2006 aux côtés de Nicolas Sale, en qualité de chef de cuisine, d’abord au Monte-Cristo, le restaurant de l’hôtel du Castellet, puis à la Maison du Pêcheur du Cap d’Antibes Beach Hôtel (tous deux avaient une étoile au Michelin).
Ce parcours jalonné de macarons Michelin était enrichissant, mais très accaparant. À la naissance de ma fille, j’ai eu envie d’avoir un peu plus de temps libre. Je me suis lancé dans l’évènementiel, notamment avec un groupe qui travaillait pour le Festival de Cannes. Mais la vraie cuisine me manquait. J’aimais les mets que je préparais, mais je ne m’épanouissais pas. Le quotidien avec des extras, qui tournent tout le temps, ne me satisfaisait pas.
Vous avez quitté le soleil méridional pour les montagnes enneigées.
Nicolas Sale, qui ouvrait un deuxième restaurant à Courchevel au Kilimandjaro, avait besoin d’un chef. J’ai accepté de prendre le poste pour maintenir les deux étoiles pendant trois ans. Mais les choses se sont un peu compliquées au bout de deux ans, lorsque Nicolas Sale est parti pour le Ritz. C’était en mai, l’hôtel était fermé jusqu’à l’été. J’ai été promu chef exécutif du Kilimandjaro.
Le directeur du Guide Rouge, Michael Ellis, est alors venu nous expliquer qu’il nous rétrogradait d’une étoile, non pas pour nous sanctionner, mais parce que nous étions étoilés sous la houlette de Nicolas Sale. Il préférait sécuriser à une étoile par respect pour les clients du Michelin.
Durant les mois qui ont suivi, nous avons été inspectés quatre fois. Et en février 2017, après les colossaux travaux qui venaient de métamorphoser le Kilimandjaro en palace K2 Altitude, nous avons récupéré la deuxième étoile au restaurant Le Montgomerie. J’y ai découvert une autre dimension du métier, la recherche de l’excellence dans les moindres détails. En deux mots : l’hôtellerie de luxe !
Pourquoi ce retour en Provence ?
Après six années à Courchevel, le froid, la neige et le rythme saisonnier ne me convenaient plus. En station, on fournit un travail intense dans un hôtel qui tourne à plein régime durant l’hiver. C’est passionnant pour un chef. Mais, dès la fin de la saison, la brigade s’éparpille vers d’autres sites pour l’été et ne revient pas forcément l’hiver suivant.
J’ai 42 ans, je souhaitais me poser avec ma femme et mes enfants dans le Sud que nous aimons. Ma fille est née à Antibes. L’offre de Fabien Piacentino, le directeur du Couvent des Minimes, m’a séduit car ici je peux avoir une brigade à part entière avec moi à l’année ; ce qui va me permettre de construire quelque chose de plus solide et de faire évoluer ma cuisine. Je la veux contemporaine, respectueuse des produits et des saisons, privilégiant le jeu des textures et des saveurs.
Le Couvent des Minimes, un nouveau challenge
YONDER : Vous avez officiellement pris vos fonctions le 1er novembre. Mais le confinement a compliqué votre implantation. Vous avez rouvert le bistrot Le Pesquier le 24 juin et la table gastronomique Le Cloître le 29 juillet.
Arrivé fin octobre 2019 après le départ de Jérôme Roy qui a regagné sa Touraine natale, j’ai dû mettre en place ma façon de travailler et reconstituer une équipe. J’ai fait venir un collaborateur de Courchevel, Nicolas Guillot, qui est aujourd’hui mon second. Au début, nous avons continué à faire vivre Le Pesquier et mi-février, nous avons accueilli les premiers clients au Cloître avec une nouvelle carte. Mais le confinement est arrivé et tout a été suspendu.
Comment avez-vous vécu cette période ?
Mon épouse a dû s’absenter pour des raisons familiales. J’étais donc seul avec mes deux enfants de 4 et 7 ans. Nous avons passé de bons moments ensemble à faire la cuisine et particulièrement les gâteaux. Je me suis même improvisé maître d’école. J’étais un heureux papa à la maison. Mais j’avoue que j’ai repris avec joie le chemin des fourneaux.
Quel est le rôle d’un chef exécutif ?
Je chapeaute les deux restaurants dans une seule cuisine avec une seule brigade, ce qui sous-entend un esprit d’équipe. J’établis les cartes, les menus, les prix et je vais sourcer les produits locaux.
Avez-vous gardé les mêmes fournisseurs ?
Selon mes envies et mes besoins, j’ai fait du tri parmi les anciens fournisseurs pour ne garder que ceux qui me plaisaient. J’en ai trouvé d’autres, par exemple Sandrine Faucou à Vachères, productrice de céréales, une référence depuis des générations, car je veux mettre en avant pois chiche et petit épeautre.
Et aussi les jardins agrobiologiques du Pont du Pâtre à Villeneuve. Un circuit très court, sans stockage. Je passe la commande le dimanche, les légumes sont ramassés le lundi et livrés le mardi.
Et également un champignonniste italien installé à Forcalquier, Rossano Baldaccini, qui cultive les champignons de Paris, sans engrais ni pesticide. Dès septembre, après les grosses chaleurs, il me fournira aussi de jeunes pousses d’endives croquantes.
J’aime aller voir comment les gens travaillent. Ça en dit long sur leurs produits.
(Re)lire notre article complet consacré au Couvent des Minimes.
Pour imaginer un nouveau plat, partez-vous d’une idée graphique ou de l’offre des champs environnants ?
C’est plutôt une rencontre qui me motive. Chez Adeline Pincet à Forcalquier, j’ai trouvé un safran très qualitatif qui m’inspire.
En Savoie, je cuisinais beaucoup avec des herbes sauvages que j’allais cueillir. Ici, je continue à aller en chercher d’autres en altitude. J’utilise peu le thym, le romarin, le fenouil et autres herbes de Provence trop attendues. Je préfère celles qui sont moins connues, que l’on peut aisément ramasser et qui apportent des parfums nouveaux, tels le mélilot, l’achillée millefeuilles et la berce. J’aime particulièrement cette plante au goût d’agrume. D’ailleurs je la réserve pour le plat signature du Cloître : le Ris de veau rôti au thym frais, tête et pied en cylindre croustillant, piémontaise de légumes bio liée de berce et jus acidulé. Un chaud-froid qui plaît beaucoup.
Comment concevez-vous les cartes ?
Pour le Pesquier, j’imagine une cuisine de bistrot simple avec des assaisonnements et des cuissons maîtrisés, en ajoutant parfois une note transalpine, tel le Risotto de petit épeautre bio lié au parmesan, jus de volaille et herbes fraîches. Ou plus exotique comme le Ceviche de saumon de France, patate douce, crème d’avocat, coriandre et maïs au piment amarillo.
Je n’essaie pas de faire une cuisine provençale ou méditerranéenne. Il faut que le client qui reste quelques jours avec nous retrouve tout ce qu’il pourrait manger chez lui au quotidien. Néanmoins, j’adapte quelques recettes traditionnelles méridionales, telle la Ratatouille émulsionnée avec cristalline d'aubergine, barbajuan (sorte de ravioli monégasque) farci de poivron rôti.
Au Cloître, j’élabore une cuisine plus recherchée, plus réfléchie, plus sophistiquée, avec des mets audacieux déclinés à travers trois menus. Je joue avec les produits locaux de saison pour dévoiler leur âme, sublimer les saveurs jusqu’à ce que la magie opère dans l’assiette. En vedette cette saison une entrée autour de la tomate : la Cœur de bœuf bio de Villeneuve à cru, la green zebra émulsionnée à l’huile de romarin, fromage de chèvre frais, eau de tomate, feuilles et fleurs de tagette (sorte de rose d’Inde à la saveur du fruit de la passion).
En dessert, le chef pâtissier Alessandro Parodi, arrivé après le confinement, met en scène le Sureau de cueillette, un crémeux citron vert, accompagné d'une glace à la fleur de sureau, de pickles, de gel au basilic et chapeauté d'une fine meringue verveine et citronnelle.
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Y a-t-il un incontournable qui doit figurer sur vos cartes ?
À Mane, il est impensable de ne pas avoir de l’agneau de Haute Provence. Au Pesquier, c’est l’Épaule d'agneau confite, polenta crémeuse, champignon à cru, caramel de carotte au cumin. Au Cloître, il est décliné en Filet rôti au sautoir et poitrine croustillante, panisse à l’huile de sésame et caramel de carottes au cumin.
Hésitez-vous à cuisiner certains produits ?
Les poissons de l’Atlantique. C’est trop loin. Néanmoins, je travaille un peu avec la Bretagne pour le lieu jaune de ligne, très abordable pour le bistrot. Au Cloître, je privilégie les poissons de la Méditerranée : le Rouget en filet cuit à l’unilatérale avec artichaut violet en jeux de texture et réduction d’une marinière au safran. Et aussi le Thon rouge au dos mariné au vinaigre balsamique accompagné de jeune betterave bio, pomme rafraîchie au galanga, foie gras cru et jambon ibérique.
Y a-t-il ici des ingrédients inspirants que vous n’avez jamais utilisés auparavant ?
Je n’ai jamais mis d’alcool dans mes préparations. Mais cette région offre des liqueurs à base de plantes, thym, amande, génépi et même une sorte de pastis, le Bardouin, composé de 65 plantes et épices ! Ces breuvages très aromatiques méritent que je m’y attarde cet automne, peut-être pour les desserts. Je propose déjà un canapé à base de liqueur de thym avec un fromage de brebis.
Un chef doit-il se remettre en question ?
Comme dans tous les métiers que l’on fait avec passion, on se remet en question tous les jours pour rester au niveau souhaité. Le métier de chef de cuisine est stressant. Nous sommes sans cesse sous pression, et nous devons régulièrement nous réinventer. Le macaron impose d’être au top en cuisine comme en salle. L’excellence réclame travail, rigueur, attention de tous les instants. Il faut toujours garder à l’esprit que rien n’est acquis. Mais mon parcours, avec quelques années de deux étoiles derrière moi, m’a permis d’acquérir une certaine sérénité. Je suis confiant, boosté par le passé, qui me pousse à aller encore plus loin.
PRATIQUE Les restaurants du Couvent des Minimes
Le Pesquier (70 couverts)
Ouvert tous les jours pour le déjeuner et le dîner.
Menus : 45€ et 52€ / Menu du marché (au déjeuner et hors week-ends) : 35€
Le Cloître (35 couverts)
Ouvert tous les jours le soir. Ouvert le samedi et dimanche pour le déjeuner, fermeture hebdomadaire les lundis et mardis.
Menu Découverte : 95€
Menu Signature : 130€
Menu incontournable : 160€
(Re)lire notre article complet consacré au Couvent des Minimes.