Alain Ducasse au Plaza Athénée poursuit sa « quête » de naturalité
À l'automne 2017, le documentaire La quête d'Alain Ducasse sortait en salles. Connaissant l’intelligence du chef landais, je m’étais précipité au cinéma, accompagné de ma fille de douze ans, pour partager un instant la vie du maestro. J’avais aussi l’objectif de transmettre le goût du bon, faire toucher l’exemple de cet entrepreneur à succès, globe-trotter infatigable et ambassadeur de la grande cuisine française. J’admire l’homme pour son parcours exceptionnel mais surtout pour sa sagacité. Toujours à la pointe, toujours en avance, c’est un vrai métier que d’avoir du talent.
La séance du mercredi après-midi au Gaumont Convention nous avait transporté. Nous avions voyagé le long des eaux douces du fleuve Amour d’où les Chinois tirent leur caviar Schrenki, réputé comme l'un des meilleurs au monde - et servi au Plaza Athénée - nous avions suivi Alain Ducasse au Japon dans ses expériences de kaiseki, la haute gastronomie nippone comme dans son Potager de la Reine à Versailles à superviser la pousse des légumes. La conclusion se faisait évidente : le chef, curieux impénitent, était en permanence à la recherche du goût, des goûts. L’homme parcourait le monde pour assouvir cette passion et cette nécessité de quête de produits toujours meilleurs et de saveurs nouvelles.
Nous nous étions laissés bercer et avions apprécié ce moment de cinéma comme un repas trois-étoiles. Ma fille était sortie de la séance émerveillée, la critique et les autres journalistes beaucoup moins. Tant pis pour eux. Le goût et le raffinement ne sont pas innés, ils se cultivent.
Alain Ducasse au Plaza Athénée, une table trois-étoiles
Quelques mois après, le nom d’Alain Ducasse revenant souvent à la maison, je décidais d’inviter ma fille au Plaza Athénée pour célébrer son anniversaire.
Plafond couvert de cristaux, mobilier lumineux, sièges cocon, au Plaza Athénée, l’élégance contemporaine se conjugue avec une forme de dépouillement et de simplicité. Imaginé par le tandem Jouin Manku [composé du designer français Patrick Jouin et de l'architecte canadien Sanjit Manku, NDLR], le restaurant est un écrin luxueux et minimal, radical, qui brise les codes de la haute gastronomie pour mieux les réinventer. Ici, pas de nappe superflue, mais une forme de perfection sensible dès l’arrivée à table.
En se remémorant les images des lacs chinois, impossible de résister aux entrées de caviar à la carte. Quitte à s'attabler dans un palace, autant jouer le jeu jusqu’au bout. Nous commandons donc les « Lentilles vertes du Puy et caviar, délicate gelée d’anguille » (190€) et les « Langoustines bretonnes rafraîchies, caviar doré, nage réduite » (195€). Si les tarifs peuvent paraître élevés, ils sont dans les faits raisonnables. Déguster une assiette comportant quatre-vingts grammes de caviar a un prix et les équipes du Plaza jouent le jeu. Les quantités sont impressionnantes et les préparations d’une inouïe délicatesse pour un rare moment d’opulence.
La « naturalité », nouvelle philosophie de cuisine ?
Les plats qui suivirent, ainsi que ceux d’un second repas, illustrent à merveille le nouveau positionnement du chef aux trois restaurants trois-étoiles.
Sa philosophie tient du « jamais vu ailleurs », proposant de mettre de côté les « bases classiques de la cuisine française ». « Nous avons décidé d’emprunter une route et nous continuerons sur cette route. martèle Alain Ducasse. Je ne sais pas si c’est la cuisine d’aujourd’hui ou celle de demain mais c'est celle que j’ai envie de faire, [...] dans un restaurant de très haute gastronomie ne travaillant que trois ingrédients : poissons, céréales et légumes ».
Comme dans son film, infatigable, il semble engagé dans un processus de recherche permanente. Les cuisines du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée, dirigées par son poulain Romain Meder, font office de laboratoire expérimental. Au-delà de la nécessité de se distinguer pour mieux exister, sa préoccupation majeure consiste à se rapprocher de la nature, et ce de plusieurs manières.
Valoriser le végétal
Auteur d’un menu « tout légume » dès 1987 au Louis XV, sa table de l’Hôtel de Paris à Monaco, la passion d’Alain Ducasse pour le végétal ne date pas d’hier. De rares cuisiniers, dont Jean-André Charial,chef-propriétaire de Oustau de Baumanière, s’intéressaient déjà de près aux potagers alors qu'Alain Passard n’avait qu’une étoile au Michelin et donnait encore du « choux braisé au foie gras » et du « haricot de pigeonneau » dans son restaurant parisien de l’Arpège.
Alain Ducasse, depuis longtemps, apprécie l’essentiel, le minimal, les produits bruts et les nourritures terrestres les plus simples. Salsifis, topinambours, betteraves, tomates, févettes, courges, choux… Son potager versaillais lui fournit aujourd’hui de beaux légumes qu’il valorise de la manière la plus originale. La preuve en est avec ces quelques plats goûtés lors de notre dernier déjeuner.
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« Visqueux, herbacé » fait ainsi office de première entrée du menu « Aspérités et Saveurs » de printemps proposé au Plaza Athénée. Les tout petits pois, tièdes et croquants, sont recouvert d’un collagène de turbot nature et escortés d’un jus cresson-petits pois extractés avec citronnelle, verveine, gingembre et raifort lié au kuzu. Une entrée inattendue et légère, fraîche, subtilement épicée.
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Pour poursuivre la célébration des légumes, le « Soyeux épuré » est composé d’une brunoise d’asperges blanches fermentées, assaisonnées de jus de citron et huile d’olives avec une émulsion de souchets, citron caviar et poudre de laurier. Le pain aux céréales moelleux s’accorde avec dignité à cette nouvelle création très réussie.
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« Rassis, iodé » associe des soba froides (pâtes japonaises faites maison à base du pain rassis de la veille) à la puissance fumée de la poutargue (œufs de poissons salés et séchés) et à la douceur d’un yaourt au pain brûlé. L’assaisonnement est réalisé avec une poudre de pain toasté au piment d’Espelette et des copeaux de poutargue. La modernité de ce grand plat est sans concession.
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Le « fruité/cireux » qui suit mêle navets, cerises, fanes et fleurs de cerisier, poussant le curseur un cran plus loin encore dans l’inédit. Les navets, boule d’or et glaçons, sont cuits à couvert dans la cire d’abeille avec des noyaux d‘olives et des rameaux d’oliviers. Âpre, tannique, terreux, vinaigré, le jeu de goûts et de textures est savant, infiniment contemporain.
Comment ne pas apprécier ni saluer cette cuisine de partis pris et d’expérimentations habiles, complexes, maîtrisées, qui mène si loin des sentiers battus.
Encourager une cuisine durable et responsable
Comme au Clos des Sens, le nouveau trois-étoiles Michelin (millésime 2019) de Laurent Petit qui a banni la viande, le végétal se décline avec des produits issus de la pêche durable. Lacustres du côté d’Annecy, ils proviennent de l’Atlantique ou de la Méditerranée au Plaza Athénée. La sole de Groix côtoie le homard du Cotentin mais aussi des espèces moins nobles comme le poulpe de Sanary-sur-Mer.
Nous avons goûté, à la carte, à un homard gourmand ancré dans les canons de la grande cuisine française et à une sole déclinée à l’amer de toute pureté. Au menu printanier, le « Végétal / Epicé - maquereau, asperges vertes et orge » fait office de plat principal. Pour accompagner le maquereau juste snacké, version nature, aux saveurs et textures incomparables, un pralin a été réalisé à base d’arêtes chauffées liées à la farine d’asperges et à l’orge toasté. Quelques asperges vertes sautées colorent le décor et un jus asperge/cumin/gingembre relève l’ensemble. Voici le point d’orgue de ce repas d’anthologie. Le meilleur des poissons bleus en habit de verdure, allongé au jardin.
Ne rien jeter, tout cuisiner
On le ressent au travers des recettes et des intitulés précédents, l’idée centrale du chef consiste à tout cuisiner. Les sucs et les parures sont transformés en collagène ou en hure de turbot. Les arêtes servent à façonner un pralin. Le jus de cuisson de céréales une marinade, le pain de la veille est recyclé sous forme de pâtes fraîches… L’imagination est sans limite quand on veut bien se donner la peine. Ne rien jeter, c’est bien sûr d’abord respecter la nature et réduire l’empreinte de l’homme. C’est aussi, pour les équipes du Plaza, un moyen d’aller chercher des goûts nouveaux. Les épluchures de légumes bio contribuent ainsi à la concentration des décoctions et des bouillons.
La fermentation, bien utile à la conservation quand arrive la pleine saison et l’abondance de végétaux, donne de nouvelles opportunités de saveurs.
Grâce à un sourcing précis, des partis pris et des inspirations fulgurantes, Alain Ducasse fait vivre un voyage singulier qui reflète, pour qui sait lire et écouter, une quête d’idéal, d’exemplarité et de responsabilité.
L’approche est holistique, elle vise à re-situer l’homme, en recherche de perfection, dans un tout où rien n’est laissé au hasard. « Le cuisinier est porteur d’un message. Cette planète a des ressources rares qu’il faudra partager. Aujourd’hui, on ne peut plus être déconnecté du fait que la manière de se nourrir est cruciale pour l’environnement et les individus. Il faut consommer différemment avec moins de sucre, moins de sel, moins de gras, moins de protéines animales. Si cela est bénéfique pour la santé, c’est aussi nécessaire pour notre Terre. Tout cela est lié » conclut le grand chef, plus que jamais défricheur dans l'univers très codifié de la haute cuisine française.
PRATIQUE
Alain Ducasse au Plaza Athénée
Hôtel Plaza Athénée
25 Avenue Montaigne
75008 Paris - FRANCE
Horaires
Déjeuner : le jeudi et le vendredi de 12h30 à 14h15
Dîner : du lundi au vendredi de 19h30 à 22h15
Contact & Réservations
Tél : +33 (0) 1 58 00 22 43
Email : adpa@dorchestercollection.com
Site Web officiel d'Alain Ducasse au Plaza Athénée
Autres
- Voiturier Privé
- Dress code : Pour les hommes, le port de la veste est exigé.