À Essaouira, le festival électronique Moga fait danser le Maroc
Essaouira, Maroc. Cette « ville de bout du monde », ancien comptoir portugais devenu point de chute de la communauté hippie à la fin des années 1960 — Jimi Hendrix et Cat Stevens y avaient alors leurs habitudes — est bien connue des voyageurs. Qu’ils y viennent depuis Marrakech ou fassent le voyage spécialement, tous apprécient la douceur de vivre de ce port de pêche aux attraits multiples : médina inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, festivals de classe mondiale (lire notre encadré), artisanat, marché aux poissons, nature préservée ou immenses plages où l'on pratique le windsurf et le kitesurf. Sur la côte atlantique, la ville est connue pour être balayée par les alizés, ce qui lui garantit une fraîcheur certaine tout au long de l’année.
Puis il y a les remparts. Ce sont eux qui rendent Essaouira si pittoresque. Édifiés par les Portugais au XVIème siècle, repensés au XVIIIème par l’architecte français Théodore Cornut, un disciple de Vauban, ils ont été immortalisés dans la saison 3 de Game of Thrones, où des scènes se déroulant dans la cité imaginaire d’Astapor, ont été tournées. Ce qui ne pourrait être qu’un détail marque le point de départ de l’histoire du Moga Festival.
L'équipe de Panda Events, l’agence niçoise qui produit l’événement depuis 2016, ne sont en effet pas arrivés à Essaouira par hasard. Après le succès des Plages Électroniques à Cannes, Benoît Géli et son associé Matthieu Corosine lancent Les Dunes Électroniques dans le désert tunisien. Et pas n’importe où. Les dunes d’Ong Jmel ont servi de décor à la plus grande saga cinématographique de l’Histoire, Star Wars. De là à marcher sur les traces de la série TV la plus populaire du monde, il n’y a qu’un pas que le duo a franchi sans hésitation.
« Un festival international à destination des Marocains »
Matthieu Corosine se souvient. « Après les Dunes, on est partis en repérage. On est immédiatement tombés amoureux de la ville qui a une vibe incroyable. On s’est installés dans le lobby de notre hôtel et on a commencé à prendre des contacts et imaginer le festival sur un coin de table ! ». La rencontre avec Abdeslam Alaoui, aka Daox, a également joué un rôle déterminant. Figure de la scène électronique marocaine, à l’origine de la première Boiler Room dans le pays avec Floating Points, James Holden et des musiciens Gnaouas, il fédère autour de lui nombre d’artistes et DJs locaux. Pour les équipes de Panda Events, c’est une opportunité qui leur permet d’affirmer le positionnement du festival.
« On produit un festival international à destination des Marocains. Ce n'est pas forcément le cas d’autres événements électroniques, à Marrakech notamment, qui visent plus explicitement la clientèle étrangère » explique Matthieu, rappelant que 80% des festivaliers viennent du pays. Ce qui semble logique est pourtant loin d’être une évidence. « Ce n’était pas le choix le plus facile car Essaouira est une destination relativement isolée ». Comptez trois heures de route pour rejoindre la ville depuis Marrakech ou Agadir, 4h30 depuis la capitale économique Casablanca, où vit une grande partie de ce public prêt à faire la fête comme à Ibiza, Amsterdam ou Tulum. « Beaucoup de Marocains ne connaissaient pas ou peu Essaouira avant d'y aller ou d'y revenir pour Moga. Ils y redécouvrent un Maroc plus tranquille, plus authentique. Eux aussi profitent de l’atmosphère de la ville ».
65 artistes bookés, une programmation éclectique
Au Sofitel Essaouira Mogador Golf & Spa, luxueux resort où se déroule le festival à proprement parler, une trentaine des 65 artistes bookés pour l’édition 2019 sont ainsi originaires du Royaume, à l’instar d’Amine K, Driss Skali ou Mr ID. « C’est fondamental pour nous car chaque DJ vient avec son crew, sa bande de fans ». Cette émulation permet de renforcer l’ancrage local de Moga, un festival où défilent par ailleurs des têtes d’affiches internationales (Behrouz, Blond:ish, DJ W!ld, Enzo Siragusa, Kenny Dope, Konstantin Sibold, Oxia, Satori...) aux styles variés.
Sur les différentes scènes (Pool Stage, Garden Stage, Terrasse en extérieur, So Lounge en indoor), il était possible d’écouter le même jour de la house déclinée sous toutes ses variantes (deep, desert, micro, tech, etc.), du disco et du funk, du hip-hop — marocain bien entendu — de la techno ou de la trance. Si les sonorités atmosphériques et planantes, celles qui résonnent pendant le légendaire Burning Man dans le Nevada, dominaient la programmation, les sous-genres de musique électronique représentés à Moga étaient aussi nombreux que les sourires sur les visages des festivaliers, tous ravis de ce melting-pot musical, qu’ils ont pu vivre dans des conditions optimales.
Une scénographie léchée, de l’espace pour danser, un soundsystem Funktion One puissant et réglé et avec précision, un système cashless pour payer ses consommations rapidement ou un staff souriant sont autant d’éléments permettant de profiter au maximum des performances de haut niveau des artistes qui se sont succédés pendant trois jours et trois nuits à Essaouira (lire ci-dessous notre top 5 des live et sets entendus pendant le festival). Si tout n’était pas encore parfait — l’attente pour obtenir son bracelet le premier jour, les bars en rupture de stock dès le milieu de la soirée, la gestion des commandes food… — l’organisation, après seuement deux éditions, était globalement bien rôdée.
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« Un hub pour la musique électronique au Maroc »
Alors, quel bilan tirer de cette troisième édition de Moga ? « On est super contents » résume Matthieu. « On a organisé des événements un peu partout et on a rarement vu un tel enthousiasme. Le public, les artistes, les prestataires, le staff, tout le monde était ravi ». Une réussite ressentie confortée par les chiffres. « 7,500 entrées au total [en comptant les événements en marge du Sofitel, NDLR] et jusqu’à 2,700 personnes le samedi au Sofitel, c’est notre meilleure année ». Même s'il concède que le festival, entièrement financé par des fonds privés, n’est pas encore rentable. « C’est normal, on est dans une logique d’investissement et de long terme ».
Car la team de Panda Events voit les choses en grand. « On veut occuper beaucoup plus massivement la ville d’Essaouira qu’on ne le fait aujourd’hui. Pas forcément avec des teufs supplémentaires mais à travers des cycles de conférences, de workshops, de MasterClass... On aimerait faire de Moga un hub pour la musique électronique au Maroc. Le pays est un carrefour entre l’Europe et l’Afrique » explique Matthieu, évoquant le BPM Festival comme source d’inspiration. Quant à la place de choix qu’occupe Moga dans le calendrier électronique annuel, entre les « closings » d’Ibiza et le grand raout annuel qu’est l’Amsterdam Dance Event, elle est une chance à saisir. « C'est aussi l’une des semaines de l’année où il y a le moins de vent à Essaouira ». Pour lui, c’est clair, « les planètes sont alignées » pour assurer au festival un succès durable sans en dénaturer l’esprit originel : intime, convivial, pointu. C’est tout le mal que l’on peut souhaiter à Moga.
5 performances parmi les plus marquantes de Moga Festival 2019
Avec plus de soixante artistes bookés, une amplitude horaire de 17 heures par jour et toujours au minimum deux scènes actives simultanément, impossible de tout voir. Sélection de quelques live et DJ sets ayant marqué les esprits.
1. Parallells & le maâlem Omar Hayat
La rencontre entre les deux frères français de Parallells et le maâlem (le maître) Omar Hayat, le « Jimi Hendrix du gumbri [l’instrument au cœur de la musique gnaoua, NDLR] » à en croire les connaisseurs, fut incontestablement l’un des temps forts du festival. Ou quand les rythmes électroniques se mêlent harmonieusement aux sonorités de cette musique de transe séculaire. Intense.
2. Sainte Vie (Live)
Alors que la Pool Stage se remplissait timidement le dimanche peu avant que le soleil ne se couche, le live hypnotique, mélodique et génialement progressif du Mexicain Sainte Vie, habitué à se produire à Burning Man, a mis tout le monde d’accord. Une heure trente plus tard, alors qu’il cède sa place au DJ néerlandais Matthew Dekay, le public est hystérique.
3. Daox b2b Bas Ibellini
Premier set réjouissant sur la Terrasse dans la nuit de samedi à dimanche puis seconde session inopinée pour clôturer la Pool Stage le dimanche soir après le passage de Satori, le duo constitué du cofondateur du festival Daox et de son pote londonien Bas Ibellini a fait des étincelles. Grâce à une complicité évidente et une énergie communicative.
4. Satori (Live)
Sa performance en clôture du festival le dimanche soir a littéralement retourné la foule compacte massée devant la Pool Stage. Dégaine de rock star et live ultra efficace, le Néerlandais, résident depuis cette année au HEART Ibiza avec son concept Maktub, a été comme toujours l’un des meilleurs ambassadeurs de la scène « desert house ». Une prestation à la hauteur de son statut de headliner.
5. Oxia b2b Nicolas Masseyeff
B2B explosif le DJ et producteur grenoblois Oxia, pilier de la scène électronique française et son pote Nicolas Masseyeff pour un set tout en puissance et mélodie. Imparable.
Les festivals rythment l’agenda culturel d’Essaouira, où l’art a toujours occupé une place importante.
Si le Festival Gnaoua et Musiques du monde est le plus important d’entre eux, réunissant chaque année en juin plus de 100,000 personnes dans les rues de la ville, de nombreux autres genres musicaux (classique, jazz, musique judéo-arabo-andalouse…) ont droit de cité dans l'ancienne Mogador.