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Florence ValencourtFlorence Valencourt, Le vendredi 07 octobre 2022
Chefs

Entretien avec Hugo Bourny, chef du mythique Lucas Carton

S'il n'est pas évident de reprendre une maison aussi mythique que le Lucas Carton, le chef Hugo Bourny semble y avoir trouvé l'écrin idéal pour gagner encore en maturité. Rencontre.
  • Le chef Hugo Bourny © lephotographedudimanche
    Le chef Hugo Bourny © lephotographedudimanche
  • Lucas Carton — pigeonneau © lephotographedudimanche
    Lucas Carton — pigeonneau © lephotographedudimanche
  • Lucas Carton © lephotographedudimanche
    Lucas Carton © lephotographedudimanche
  • Lucas Carton © lephotographedudimanche
    Lucas Carton © lephotographedudimanche
Anne-Sophie Pic a une facilité déconcertante à créer des plats dans sa tête. C'est comme un « nez » qui créerait un parfum

YONDER : Pouvez-vous nous raconter vos débuts aux fourneaux ?

Hugo Bourny : « Ça remonte à loin ! Il est vrai que cela peut sembler étrange alors que je n'ai que 38 ans, mais j'ai quand même plus de vingt ans d'expérience. C'est ça quand on choisit la voie de l'apprentissage, on est tout de suite dans le bain ! En ce qui me concerne, j'ai commencé en Charente-Maritime, où mon père militaire avait été muté. Mes toutes premières expérimentations en cuisine, c'est auprès de Johan Leclerre, MOF, à la Maison des Mouettes, aux Gollandières sur l'Île de Ré, puis auprès du chef Nicolas Isnard, que j'ai suivi à L'Auberge de la Charme, près de Dijon. J'ai été son sous-chef pendant quatre à cinq ans et c'est lui qui m'a présenté Arnaud Donckele.

Comment décririez-vous Arnaud Donckele, votre chef à la Vague d'Or pendant une saison ?

C'est la personnalité la plus bienveillante que j'ai rencontrée. C'est quelqu'un d'habité et qui sait vous transmettre sa passion. Un chef qui travaille toujours plus que les autres. Je me souviens qu'au briefing du matin, il nous expliquait tous les plats un par un, en détail. Ses inspirations, les petites histoires autour des produits et le reste. C'est vraiment une rencontre déterminante pour moi.

  • Le chef Hugo Bourny © lephotographedudimanche
    Le chef Hugo Bourny © lephotographedudimanche

 

À propos de « rencontre déterminante », comment s'est passée celle avec Anne-Sophie Pic, auprès de qui vous avez fait la plus grande partie de votre carrière jusqu'à présent. Et votre collaboration ?

En fait, vous ne me croirez pas, mais c'est un concours de circonstances. Ma compagne de l'époque avait été prise là-bas et je l'ai suivie. C'est la première fois que je ne choisissais pas mon poste. Et, pour autant, ce qui ne devait n'être qu'une étape est devenu un pivot dans ma carrière. En neuf ans, j'ai gravi tous les échelons. Je suis entré chef de partie. Puis, j'ai été sous-chef et chef, jusqu'à devenir chef exécutif du groupe. Une véritable aventure.

  • Lucas Carton © Lephotographedudimanche
    Lucas Carton © Lephotographedudimanche


Anne-Sophie Pic a une facilité déconcertante à créer des plats dans sa tête. C'est comme un « nez » qui créerait un parfum. Elle a une bibliothèque de saveurs dans laquelle elle puise pour combiner des goûts et créer des plats qu'elle peut coucher sur le papier directement. Malgré tout, elle est d'une grande humilité. Elle a le souci constant de savoir si c'est bon et si on peut mieux faire. D'ailleurs, elle est toujours derrière la casserole en train de goûter. Si je devais résumer comment elle fonctionne, son moteur, ce serait ça : goûter et douter. Cela a été très douloureux de partir de chez elle car il y avait beaucoup d'affect, mais je sentais qu'on était arrivés à la fin d'un cycle, de notre histoire. Le groupe devenait très international, mon poste de plus en plus managérial et moi j'avais envie d'autre chose...

À lire : On a testé la table du Lucas Carton, sublimée par la fougue de son jeune chef, Hugo Bourny

Ma cuisine est paradoxalement très intuitive. Beaucoup d'associations d'idées, ce n'est pas ultra-intellectualisé

Après Pic, Darroze. Que pouvez-vous dire de votre travail aux côtés de cette autre grande femme cheffe ?

Elle m'a approché alors qu'elle venait de rouvrir Marsan, à Paris. Je me souviens avoir été surpris par sa force de travail et très impressionné par sa capacité à gérer toutes ses entreprises de front. J'y suis resté jusqu'à l'obtention de la deuxième étoile. J'ai encore beaucoup appris à ses côtés, mais sa cuisine est très marquée, très terroir et je sentais que je ne me retrouvais plus dans le rôle de chef pour quelqu'un, même d'Hélène Darroze. J'avais la volonté de voler de mes propres ailes. Et c'est alors que j'ai rencontré la famille Vranken (Lucas Carton), chez eux à Reims et tout s'est passé très vite. Je me souviens d'y être allé en famille aussi, avec ma femme Anaïs et notre fils, et que le « feeling » entre nous tous a été immédiat. On s'est tout de suite mis d'accord et, à la faveur du Covid, on a pu travailler d'arrache-pied pour ouvrir la terrasse fin mai 2021 et le « gastro » fin août.

  • Le concombre confit au citron vert © lephotographedudimanche
  • Lucas Carton © lephotographedudimanche

 


Vous étiez impressionné de vous retrouver au Lucas Carton pour votre première place de chef en nom propre ?

Je vous mentirais si je ne disais pas que cela fait quelque chose, mais heureusement je ne réfléchis pas comme ça. J'essaie de faire de mon mieux. Je suis tout sauf une diva. J'agis comme si c'était ma maison, avec la même attention à tout. Je n'avais jamais géré un établissement dans sa globalité et je peux vous dire qu'en un an, ma brigade et moi avons beaucoup grandi !

Présentez-nous votre brigade ! Comment travaillez-vous ensemble, comment élaborez-vous les plats ?

Jérémy Riou est mon premier sous-chef. Je l'ai rencontré chez Pic. Quant à mon second sous-chef, Reynaldo Gastelum, c'est un ex de chez Darroze. Jordan Talbot, mon chef pâtissier, m'a été recommandé par Anthony Chenoz, qui travaille avec Tom Meyer (Granite). C'est un petit monde, vous savez... On est tous partie prenante du processus de création.

Ma cuisine est paradoxalement très intuitive. Beaucoup d'associations d'idées, ce n'est pas ultra-intellectualisé. Généralement, on goûte tous ensemble quand les produits sont livrés. Les premières idées arrivent, les ingrédients suivent. Mais l'inverse peut avoir lieu aussi, comme avec l'hydromel/asperge verte/verveine et persil, grillée au Binchotan. Rien n'est figé et on échange beaucoup en équipe. Pour la pâtisserie, Jordan a carte blanche. Moi, je ne fais que goûter !

  • Lucas Carton © lephotographedudimanche
    Lucas Carton © lephotographedudimanche


Ceci dit, salé ou sucré, on a une ligne directrice pour tous les plats. On essaie de faire en sorte que chaque cuiller soit différente. Que la dégustation ne soit pas linéaire, mais « parsemée de petites surprises ». D'ailleurs c'est à Arnaud Donckele que je dois cette idée. Avec Arnaud, il y a toujours quelque chose qui lie. La dégustation se fait en plusieurs étapes. C'est à partir de là que j'ai eu la conviction que la 'sauce' était l'élément central du plat. Néanmoins, il faut que le tout reste lisible. Notre cuisine doit être identifiable, même si elle n'est pas classique à proprement parler dans son procédé de création.

 

Quel est votre sentiment, votre objectif, un an après avoir endossé ce tablier de chef ?

Monsieur et Madame Vranken viennent nous rendre visite trois fois par mois et ce sont nos plus grands fans ! Ça fait plaisir. Ils ne nous ont pas fixé d'objectif et je les en remercie. Leur souhait était simple : ils voulaient quelqu'un qui fasse tourner la Maison, qu'on y mange bien, qu'elle rayonne et qu'ils en soient fiers. On s'y emploie tous les jours et dans un avenir très proche on compte encore développer le restaurant dans son expérience. À titre personnel, je découvre ce que c'est d'aller voir les gens, d'avoir un retour en direct. On vit leurs émotions, on les transmet aux équipes. J'y prends beaucoup de plaisir et cela donne du sens à tout. C'est le plus important pour l'instant».

  • Lucas Carton © lephotographedudimanche
    Lucas Carton © lephotographedudimanche
 
 
Pratique

Lucas Carton

9 Place de la Madeleine, 75008 Paris

Du mardi au samedi : 12:00–13:30, 19:30–21:30

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