Le Taillevent se réinvente avec maestria grâce à David Bizet, son nouveau chef
David Bizet, ancien chef de L’Orangerie au George V, entre en piste au Taillevent
Il est à peine plus de dix-neuf heures lorsque l’on pénètre dans les cuisines du Taillevent. En pleine préparation du service du dîner, alors que les premiers convives se pressent en salle, David Bizet s’active derrière les fourneaux. Arrivé il y a quelques semaines, le septième chef de la maison depuis son ouverture en 1946 par André Vrinat n’est pas là pour faire de la figuration, bien au contraire.
Architecte d’un menu entièrement réimaginé ou moitié d’un binôme d’excellence qu’il forme avec Antoine Pétrus, le Directeur Général de Taillevent Paris, débarqué il y a tout juste un an du Clarence, l’ancienne étoile montante du Four Seasons George V – où il resta près de vingt ans – n’en reste pas moins disponible. Pour sa brigade bien entendu. Mais également pour les convives du restaurant, avec qui il passe désormais du temps à la fin de chaque service. Ou enfin pour les journalistes, curieux de savoir comment se déroule la rencontre très attendue entre le Taillevent, monument de la restauration parisienne, et le chef à peine quadragénaire au visage poupin, unanimement considéré comme l’un des meilleurs espoirs de la haute cuisine hexagonale.
Des débuts prometteurs
À en juger par sa mine réjouie, tout va pour le mieux. « Taillevent a été ma première maison à Paris. Avoir l’opportunité de rejoindre cette institution mondialement connue, en tant que chef, est une chance immense » rappelle fièrement David Bizet en guise d'introduction.
Quel premier bilan, après seulement quelques semaines d’exploitation ? « Ce midi, on était complets. Ce soir, la salle en bas et les deux salons à l’étage le sont également. Demain, le restaurant sera plein, midi et soir ». En deux mots ? « Ça marche ! » Un succès public qu’il attribue autant à la fidélité des habitués, dont certains « viennent deux à trois fois par semaine depuis plus de quarante ans » qu’à l’attrait de la nouvelle carte. « Mûrement réfléchie » elle charme une clientèle plus jeune, qui se faisait plus rare dans l'enceinte du restaurant.
Une nouvelle carte parfaitement calibrée…
Mais que propose donc cette carte, entièrement renouvelée ? Aucun plat d’Alain Solivérès, le prédécesseur de David Bizet, resté 17 ans aux commandes des cuisines du mythique restaurant, n'ayant été conservé.
Pour un restaurant de cette renommée, la tâche n'est pas aisée. Au-delà de la saisonnalité, un non-sujet tant elle est aujourd’hui une évidence, il faut allier le yin et le yang. Ménager la chèvre et le chou. Rassurer les habitués et séduire les nouveaux venus. S'inscrire dans l'ADN Taillevent tout en soulignant l'identité du nouveau chef. Satisfaire la clientèle parisienne et française sans pour autant dérouter les convives internationaux, anglo-saxons en particulier, nombreux à plébisciter le lieu, qui a notamment inspiré Ratatouille au studio Pixar.
Dans les faits, cela se traduit par un équilibre, aussi fragile que complexe, dont l'aboutissement n'est déjà plus à prouver. Si la carte dans sa version physique a abandonné son format XXL un brin désuet, elle conserve une rare ampleur. Une demi-douzaine d’entrées, et autant de desserts, y côtoient une dizaine de poissons et de viandes aux intitulés alléchants.
Le terre/mer Poulette du Perche et homard bleu en croûte de son, émulsion de Tokaji (servi pour deux personnes) est un clin d’œil à son maître d’apprentissage Philippe Legendre, lui-même ancien chef du Taillevent et toque triplement étoilée au George V. La combinaison de deux produits phares de la cuisine française assure de plaire au plus grand nombre.
À l’inverse, d’autres assiettes s’adressent aux palais les plus avertis. L’incontournable Lièvre à la Royale est proposé dans l’interprétation qui fit gagner à David Bizet le premier championnat du monde du genre en 2016. Un fabuleux Rouget Barbet confit, concentré torréfié, butternut, foie gras a été imaginé par le chef comme une sorte de miroir marin au fameux lièvre. À n'en pas douter, le plat restera dans les annales du Taillevent.
La Grouse à l'étouffée de bruyère, praliné, betterave, café grillé a, elle aussi, les attributs d’une assiette que l'on n'oubliera pas de sitôt : délicatesse de la cuisson, intensité des goûts, équilibre subtil des saveurs. La grande technicité s’efface, comme par magie, derrière l’émotion.
Le Poireau en croûte de sel truffé, mimosa de cèpes, essence sauvage poivrée ou la Langoustine à la nage, tartare d'algues, crémeux iodé, consommé, déjà une signature de David Bizet du temps de L’Orangerie au George V, témoignent de son aisance à sublimer indistinctement chaque produit, du plus simple (le poireau) au plus noble (la langoustine). Du grand art.
… et une vitrine du savoir-faire gastronomique de la maison
Au-delà de cette carte, soigneusement imaginée pour satisfaire tous les publics, David Bizet s’enthousiasme à l’idée de pouvoir travailler librement, à la demande des clients les plus fidèles ou des fins connaisseurs. « Ce soir, une table de dix m’a demandé un menu uniquement constitué de plats à la découpe : de beaux gigots, des homards entiers... Ce n’est pas à la carte mais on accepte ces commandes hors carte avec plaisir ; on est en plein dans l'esprit de la maison ».
Ce savoir-faire, propre aux grands restaurants français, le nouveau patron des cuisines du Taillevent tient à le faire vivre. « C’est un challenge pour l'équipe mais c’est avant tout un moyen de faire plaisir au client, de lui offrir quelque chose qu’il ne trouve plus ailleurs ». Sans pour autant surjouer la tradition, l’une des marques de fabrique du restaurant, qui a pu peser sur sa capacité de renouvellement par le passé.
« Ce n’est pas parce qu’on découpe un plat en salle que l’on est vieille France ». Un point de vue rejoignant logiquement celui d’Antoine Pétrus, farouche partisan d’un service modernisé, sans pour autant perdre en excellence.
La reconquête de la troisième étoile en ligne de mire ?
Alors quelles ambitions pour la « cuisine bourgeoise profonde dans les goûts, moderne dans l’esthétique et la fraîcheur » méticuleusement mise au point par le septième chef du Taillevent ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. David Bizet n’en est pas là. Il préfère évoquer sobrement le maintien de la deuxième étoile à l’horizon 2019 et mettre l’accent sur le « retour client », « l’effervescence de la maison » ou le « travail main dans la main avec Antoine Pétrus ».
Pourtant, force est de constater que la réussite en termes de fréquentation s’accompagne d’un véritable succès critique. La totalité des chroniqueurs gastronomiques a salué l’arrivée de David Bizet au Taillevent. Et certains, tout comme de nombreux clients emballés, y voient des bases solides en vue d’une reconquête, celle de la troisième étoile perdue par le restaurant en 2007. Difficile de ne pas être d’accord avec eux.
Le Taillevent
15 Rue Lamennais
75008 Paris - FRANCE
Horaires
Ouvert du lundi au vendredi, au déjeuner et au dîner.
L'addition
- Menu Déjeuner à 90€ (110€ avec deux verres de vins, eau minérale et café)
- Menu dégustation Quintessence en six services, à 198€. Accords mets et vins sur demande.
- À la carte : Entrées de 52 à 95€ ; Plats de 68 à 110€ ; Desserts de 22 à 32€.
Contact
Tél : + 33 (0) 1 44 95 15 01
Site Web officiel du Taillevent
Chaque année, Le Taillevent invite une personnalité des arts et lettres, à raconter cinq vins qu’il rêve de réunir en un repas.
Travaillé en accord avec Antoine Pétrus et David Bizet, les « Cinq » de l'auteur Yann Queffélec mettent à l'honneur deux vins blancs (Sancerre « Les Amoureuses » 2011 et Chambolle Musigny 1er cru) et trois vins rouges (Saint-Emilion Grand Cru 2012, Château Figeac ; Pomerol 2010, Château La Conseillante ; Rivesaltes Ambré 2012, Mas Delmas) servis en accord avec les créations culinaires de David Bizet (dont le Rouget Barbet et le Lièvre à la Royale).
Menu « Les Cinq de Yann Queffélec »
375 € avec l’accord mets et vins (230 € hors vins)
À partir du 11 octobre jusqu’au 21 décembre 2018.