Les 50 meilleurs restaurants de Paris #6 : Le Taillevent (chef Alain Solivérès)
Changement d’arrondissement et changement radical d’ambiance. Après vous avoir fait découvert la cuisine identitaire du très inspiré David Toutain la semaine passée, on traverse la Seine pour nous poser, le temps d’un déjeuner, dans l’un des temples de la grande gastronomie française, le mythique Taillevent.
L’occasion pour nous de goûter la cuisine d’Alain Solivérès, le discret chef en place depuis 2002 mais aussi de revenir sur l’histoire de cette adresse qui incarne à elle seule le grand restaurant à la française.
Le pitch : une institution de la haute gastronomie française
Il faut remonter aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour découvrir les origines du Taillevent. À l’époque, la banque d’affaires Worms souhaite créer un restaurant de prestige pour recevoir ses clients. André Vrinat est choisi pour mener à bien la mission. Vrinat, qui a perdu son affaire pendant la guerre n’est pas un cuisinier mais un restaurateur. L’un des rares à Paris à ne pas être chef de cuisine. Doté d’une vision du métier sans sa globalité, il considère que l’excellence d’une table ne passe pas seulement par la qualité de l’assiette. Son ambition est de proposer ce qu’il y a de mieux, et ce dans tous les domaines : l’accueil, les arts de la table, le service en salle, les gestes de découpe sans oublier la carte de vins.
Le succès est tel pour l’adresse de la rue Saint-Georges que quatre années après son ouverture, le Taillevent, nommé ainsi en hommage au cuisinier médiéval Guillaume Tirel, dit Taillevent, déménage dans un fastueux hôtel particulier du 8ème arrondissement, ancienne résidence du Duc de Morny entre les Champs-Elysées et l’avenue de Friedland.
La légende du restaurant va s’écrire au cours des décennies suivantes. Le célèbre critique culinaire Curnonsky, le « prince des gastronomes » a ses habitudes dans le restaurant de la rue Lamennais. André Vrinat, en véritable passionné des vins, introduit les grands crus bourguignons sur les tables parisiennes, à l’époque monopolisées par les flacons bordelais. Le Tout-Paris et les grands de ce monde se pressent alors au Taillevent pour déguster les mets d’exception qui y sont servis. Et les gastronomes du monde entier se bousculent pour avoir une table à cette adresse désormais devenue synonyme d’un certain art de vivre à la française. En 1973, le Taillevent est récompensé d’une troisième étoile par le Michelin. La consécration ultime pour ce restaurant qui a toujours visé le sommet.
Les décennies passent et le succès ne se dément pas, malgré la perte de la troisième étoile en 2007. Cette année là, le Taillevent apparaît même au générique de Ratatouille. Les équipes de Pixar sont en effet venues visiter les cuisines du célèbre restaurant pour trouver l'inspiration pour produire le film d'animation. C’est dire si le lieu, bien plus qu’un simple restaurant, incarne la haute gastronomie française, son savoir-faire et son excellence.
La fin des années 2000 marque un tournant dans l’histoire du restaurant. Moins d’un an plus tard après la perte de la troisième étoile, la disparition de Jean-Claude Vrinat, qui avait repris le flambeau paternel, plonge le monde de la gastronomie parisienne dans le deuil.
En 2011, le rachat du restaurant par les frères Gardinier déjà propriétaires du Domaine Les Crayères (à Reims) et du Château Phélan Ségur (Saint-Estèphe) donnent à la Maison une nouvelle dynamique. La fratrie multiplie les initiatives pour faire rayonner Taillevent au-delà de son vaisseau amiral. L’Angle du Faubourg, l’adresse « casual », est transformée en un restaurant au concept novateur, Les 110 de Taillevent où sont proposés 110 vins au verre, un record à Paris. Le concept est décliné outre-Manche à Londres tandis que Les Caves de Taillevent, véritables vitrines de la viticulture française s’exportent à Beyrouth.
Aujourd’hui, et plus que jamais, le restaurant de la rue Lamennais se veut être un fleuron. Celui de la Maison Taillevent dans son ensemble. Mais également celui d’une culture gastronomique française intemporelle. Et comme les Vrinat avant eux, les Gardinier veulent jouer leur rôle de passeur. Jean-Claude Vrinat voulait que son restaurant soit le trois étoiles le plus accessible de Paris. Les Gardinier ont conservé la volonté d’afficher des bouteilles à des prix très accessibles. On trouve encore aujourd’hui au Taillevent des bouteilles à une trentaine d’euros. C’est l’heureux paradoxe de ce restaurant unique qui proposait, il n’y a pas si longtemps, un menu ultra exclusif (1 200 € par personne) construit autour de cinq vins blancs exceptionnels, les préférés de Curnonsky. La passion, la recherche permanente de l’excellence certes mais aussi la transmission au cœur des valeurs de la Maison Taillevent : une belle vision de la gastronomie.
Dans l’assiette
C’est Alain Solivérès qui est aux commandes des cuisines du Taillevent depuis 2002 avec une lourde responsabilité : perpétuer la tradition de la grande cuisine française tout en la modernisant. L’évolution dans la continuité. Dépoussiérer sans brusquer.
Aux côtés des attendus menus dégustation on retrouve donc une carte proposant six entrées, quatre poissons, quatre viandes et six desserts. Des produits nobles au service d’une cuisine forcément bourgeoise, histoire oblige. Le choix offert aux clients est conséquent à l’heure des menus carte blanche. La philosophie du restaurant instaurée par les Vrinat père et fils est respectée : faire plaisir à ses convives en leur proposant ce qu’ils aiment, quoi qu’il arrive.
Pour avoir un bel aperçu de la cuisine d’Alain Solivérès, on opte finalement pour le Menu Quintessence en huit services, véritable odyssée dans l’univers culinaire du chef.
La mise en bouche, un feuilletée de langoustine, annonce la couleur. Alain Solivérès, ancien Ducassien et fervent défenseur d’une cuisine méditerranéenne, se place en héritier de la cuisine d’Escoffier !
Le véritable début des hostilités est constitué par l’arrivée des deux entrées froides : le caviar accompagnée de cresson de fontaine et la rémoulade de tourteau à l’aneth. Visuellement époustouflantes (on n’ose imagine le temps passer pour dresser ces assiettes) et d’une précision redoutable dans les saveurs, ces deux assiettes montrent le niveau d’exigence qui est aujourd’hui celui d’Alain Solivérès au Taillevent. Des assiettes toute en légèretés dignes des plus grandes tables trois étoiles.
On poursuit avec l’un des plats signatures d’Alain Solivérès, l’épeautre cuisiné comme un risotto et servi avec ses copeaux de truffe noire, saison oblige.
Accompagné d’un verre de Puligny-Montrachet Domaine Leflaive qui ne fait que souligner l’onctuosité, la subtilité et la gourmandise du plat, on vit là un véritable moment de grâce. Un grand plat, un grand vin : un instant de magie.
Place aux plats et avec eux le contraste de la cuisine du chef. D'un côté, la modernité avec ces Saint-Jacques dynamisées par l’acidité de la pomme et du cidre. De l'autre, la tradition avec cette tourte feuilletée au canard sauce rouennaise dans la droite lignée des recettes d’Auguste Escoffier. Dans les deux cas, une exécution sans faille, cela va sans dire, mais l’émotion et la surprise de l’assiette précédente - l’épeautre - laissent place à un sentiment plus rationnel. Difficile de ne pas être dans la comparaison face à deux plats que l'on a déjà pu goûter ailleurs.
Après le plateau de fromages – sensationnel tant par le choix que par la qualité des fromages affinés proposés – on finit sur un joli duo de dessert articulé sur la même dichotomie que l’assortiment de plats qui a précédé. Une assiette très contemporaine, à l’esthétique soignée, avec ce dessert très frais autour du pamplemousse immédiatement suivie d’une version modernisée d’un grand classique des restaurants français, le chocolat liégeois. Et encore une fois, la technique est au service d’une gourmandise imparable.
En résumé ? Si la première partie de déjeuner est absolument bluffante, la seconde est plus attendue, moins riche en émotions. Elle illustre toutefois parfaitement l’esprit du Taillevent : naviguer avec aisance entre le classicisme de la maison et une forme de modernité indispensable pour continuer à briller au firmament de la gastronomie française. Et dans ce registre, Alain Solivérès, fait des merveilles, en toute humilité.
Dans la salle
Le décor de Taillevent est à l’image de l’assiette imaginée par Alain Solivérès : un subtil mélange entre l’ancien (épaisse moquette, boiseries de chêne d’époque Louis XVI, tables nappées de blanc, rideaux opaques pour séparer le restaurant de la rue) et l’actuel (œuvres d’art, peintures ou sculptures, d’artistes contemporain et luminaires).
L’ensemble est harmonieux, chic, intemporel. Et parfaitement cohérent avec la cuisine servie, cela va sans dire.
Le service
21 personnes en cuisine et 22 en salle. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes quant à la qualité du service que le Taillevent souhaite délivrer à ses convives. Mais au-delà des chiffres et du professionnalisme irréprochable de l’équipe, le service du restaurant se distingue par la part importante qui est laissée aux maîtres d’hôtels. Découpe des viandes ou flambage de l’irremplaçable crêpe Suzette, le restaurant de la rue Lamennais reste l’une des rares adresses parisiennes à accorder une grande place au service en salle tel qu’on le pratiquait jadis. La tradition n'est pas un vain mot au Taillevent...
L’addition
Menus entre 88 et 218€ en fonction du moment de la journée (déjeuner ou dîner), du nombre de séquences et des assiettes elles-mêmes bien entendu. Le menu saisonnier « Essentiel » (148€ sans les vins, introduit en mars 2016) en quatre temps nous semble être le meilleur compromis pour découvrir la très belle cuisine d’Alain Solivérès autour de produits nobles sans pour autant se lancer dans une dégustation marathonienne.
La formule déjeuner, articulée autour d’une entrée, d’un plat et d’un dessert, « packagée » avec deux verres de vin, l’eau minérale et le café à 104€ par personne offre quant à elle un formidable rapport qualité-prix, permettant une initiation au Taillevent sans se ruiner.
Enfin, un mot sur la carte des vins. La cave du Taillevent, avec plus de 3 000 références, est considérée comme l’une des plus belles de France. Mais la spécificité assez unique du restaurant est de proposer dans chaque gamme de vin (terroir + couleur) des bouteilles à 34€. « On ne veut pas assassiner les clients sur le vin » confie Alain Solivérès à ce sujet, se plaçant dans la droite lignée de la famille Vrinat qui a toujours voulu ouvrir son restaurant à tous les passionnés, fortunés ou non.
Le mot de la fin
Peu importe que Le Taillevent n’ait plus sa troisième étoile. Depuis 70 ans désormais, le restaurant a su construire sa propre légende, se parant d’un statut iconique dont bien peu de tables dans le monde peuvent se targuer. S’offrir un déjeuner ou un dîner dans le mythique restaurant de la rue Lamennais va bien au-delà d’un simple repas, c’est un voyage dans un lieu intemporel incarnant à lui-seul le grand restaurant, celui que l’imaginaire collectif associe à la gastronomie française.
Que l’on soit un peu, beaucoup ou passionnément épicurien, il s’agit d’une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie. Ou pour reprendre une terminologie plus tendance, réserver au Taillevent est à mettre sur sa bucket list. Impérativement.
Pratique
Le Taillevent
15 rue Lamennais, Paris 8ème
Du lundi au vendredi, au déjeuner et au dîner.
- Menu déjeuner entrée, plat, dessert à 88€ par personne (104€ avec deux verres de vin, l’eau minérale et le café).
- Menu « Essentiel » à 148€ par personne en quatre services. Menu « Quintessence » à 178 et 218€ en respectivement six et huit services.
- Comptez de 160 à 250€ à la carte pour trois plats.
Le site Web du restaurant Le Taillevent.
Réservations au téléphone : +33 (0)1.44.95.15.01 ou par le formulaire en ligne.
Contact par e-mail : letaillevent@taillevent.com