Rencontre avec Adrien Cachot : « Ma grande inspiration, c'est la cucina povera »
YONDER : Vous êtes très attaché au « menu à l'aveugle » qui a pourtant de plus en plus de détracteurs... Pourquoi cela ?
Adrien Cachot : C'est très simple, le menu à l'aveugle permet de casser tous les a priori et me donne une plus grande liberté. Si je vous disais en amont qu'il y a de la cervelle ou du tendon, vous ne le prendriez pas à la carte. Et je serais obligé de travailler des produits classiques, ce qui m'intéresse beaucoup moins. Parce que, soyons clairs, je ne fais pas un menu à l'aveugle pour mettre du bœuf de Kobé, cela n'aurait aucun sens. J'utilise ce cadre pour anoblir des produits réputés peu nobles. Et surprendre aussi. Je le faisais déjà chez Détour [l'ancien restaurant d'Adrien Cachot dans le 9e arrondissement de Paris, NDLR], mais je m'auto-censurais car j'avais besoin de remplir mon restaurant, j'avais une grosse pression financière.
Soyons clairs, la médiatisation de Top Chef me donne plus de liberté à présent. Dans mon prochain restaurant, je compte d'ailleurs aller encore plus loin. Par exemple, j'ai très envie d'essayer la méduse. C'est gélatineux et craquant en même temps, je trouve ça génial comme texture, ça fait penser un peu au cartilage de l'oreille de porc. J'irai aussi vers des produits tripiers très oubliés. Les possibilités sont presque infinies et pas vraiment explorées. Je me suis servi du Perchoir comme laboratoire et c'est formidable, mais j'avais des contraintes car je n'étais pas chez moi. À l'avenir, j'aspire vraiment à pousser les curseurs.
À l'écran vous donniez l'image d'un Droopy un peu nonchalant, mais qui surprenait par sa créativité et sa force de travail. Pourriez-vous nous donner les moments clés de votre parcours qui pourraient expliquer cette personnalité hors-norme ?
Franchement, à la fin de la troisième, on ne donnait pas cher de ma peau et personne ne voulait de moi. Pourtant, j'ai quand même un peu de fierté et je ne voulais surtout pas inquiéter mes parents, qui sont tous les deux des bourreaux de travail. À Cenon, en banlieue de Bordeaux, il n'y avait pas beaucoup de débouchés pour des gars dans mon genre, mais mon père avait un ami qui connaissait Nicolas Magie, chef étoilé au restaurant La Cape. Un ovni, lui aussi. J'ai fait un stage d'été chez lui, poussé par mon père. J'ai failli arrêter au bout de trois jours, mais ma mère m'a clairement dit que « ça n'allait pas le faire », j'ai persévéré et j'ai eu le déclic. À la fin du stage, mon chef m'a dit : « on se revoit en septembre ». Il m'a pris en tant qu'apprenti, à quatorze ans.
Nicolas Magie, c'est mon chef, c'est lui qui m'a tout appris, qui m'a donné le respect de la cuisine et la créativité. C'est lui qui m'a emmené prendre une claque au restaurant Mugaritz. Il a toujours eu dix ans d'avance sur tout le monde. C'est ma famille. Il m'a donné les rênes de la brasserie au Rocher de Palmer alors que je n'avais que vingt-trois ans. Je n'étais pas prêt. J'ai fait beaucoup d'erreurs, à tous niveaux, je n'avais pas la maturité pour écouter, ni comprendre. Mais, avec le recul, c'est une expérience qui m'a endurci et qui m'a fait beaucoup progresser.
Hormis Nicolas Magie, quels sont vos autres mentors ?
Christian Etchebest, sans hésitation, chez qui je suis d'ailleurs allé grâce à la femme de Nicolas Magie. Il m'a appris tous les codes du troquet parisien. La pression, le rythme, l'humilité du travail bien fait tous les jours, le business, la gentillesse, la puissance. Christian, à mes yeux, c'est un « génie humble ». On est associés et je luis dois tout. Toute ma vie, je lui rendrai.
Le chef Vivien Durand, lui c'est un mentor aussi, mais c'est plus un grand frère. Avec lui, je peux parler de tout. On est dans une forme de partage et d'échange que je n'ai qu'avec lui ! Et sa cuisine est un modèle.
Le dernier, et c'est une heureuse surprise, c'est Paul Pairet. C'est une super rencontre. C'est quelqu'un d'entier, qui ne se prend pas la tête. Il parle avec tout le monde, est très accessible. Je suis ravi qu'il revienne en France au Crillon. C'est le moment pour lui d'avoir la reconnaissance qu'il mérite dans son pays. C'est une belle manière de boucler la boucle. Il m'a fait l'honneur de préfacer mon livre [Hors-piste aux éditions Flammarion, NDLR] et lui en suis très reconnaissant.
Un mot sur Top Chef ou on passe à autre chose ?
En un mot, oui, il y a clairement un avant et un après et c'est bien pour cela qu'on le fait. La médiatisation est un tremplin qui permet d'avoir plus de moyens financiers, donc plus de liberté. Pour Détour, aucune banque ne voulait me suivre. Maintenant, j'ai tout le monde derrière moi. CQFD. Après, côté humain, on était vraiment une bonne promo ! Mory, Diego, Jordan, Bastien, Martin, Mallou, on bosse tous à fond. Mallou, c'est vraiment comme mon petit frère, je ne lui donne pas de conseils car ça fait donneur de leçons, mais je lui donne tout ce que j'ai et il en fait ce qu'il veut.
À quoi ressemblera votre cuisine quand vous aurez enfin trouvé votre petit (ou grand) nid à vous ?
On verra à ce moment-là. Pour l'instant, je ne peux pas la définir car je ne suis pas chez moi. Mais l'idée, comme je disais, c'est de pousser les curseurs, d'avoir des goûts très francs et de réussir à être très puissant. Mon idée, c'est de chercher, encore et toujours. Je suis clairement dans une quête identitaire et cela n'est pas près de s'arrêter. Ma grande inspiration, c'est la cucina povera, l'idée de faire quelque chose de bien avec presque rien. D'être dans une sorte d'économie, d'épure, à tous niveaux. À l'origine, je voulais appeler mon livre « Pauvre », mais bizarrement l'éditeur n'en a pas voulu (rires) !
En savoir plus ?
- Lire notre chronique consacrée à la résidence d'Adrien Cachot au Perchoir Ménilmontant. Publié le 3 mars 2022.
- Adrien Cachot ouvrira également en septembre 2022 un bar à tapas au sein de Food Society, le plus grand food court de France. Publié le 24 février 2022.