Ultraviolet, l’extraordinaire restaurant de Paul Pairet à Shanghai
À lire également : notre dernier article sur le restaurant de Paul Pairet à Paris NONOS dans le cadre de l'hôtel de Crillon.
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« On monte avec Greg vérifier les résultats des tests précédents sur le canard. Tu veux jeter un œil avec nous ? » me lance Paul Pairet. Greg est Greg Robinson, bras droit du patron des lieux et Head of Research. Les deux s’installent aux commandes d’un ordinateur, ouvrent un ficher Excel et regardent attentivement les lignes apparaissant à l’écran. À chaque ligne correspondent les résultats des essais effectués pour une nouvelle création – un canard laqué revisité au Coca — qu’ils sont en train de mener. Les recherches durent déjà depuis plusieurs semaines. « Alain Ducasse a goûté le n°45 et l’a trouvé très intéressant. Mais depuis, on ne s’améliore plus. C’est un plat extrêmement difficile à travailler. On en est déjà à plus de cinquante tentatives et rien n’est encore gagné ».
Il est 20h30 à Shanghai, et non, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas dans un laboratoire. Ou peut-être que si, finalement. Une chose est certaine, c’est l’heure de l’« entracte » à Ultraviolet, la table conceptuelle et multisensorielle de Paul Pairet, l’un des rares Français à avoir hissé son restaurant dans la liste des 50 meilleurs du monde des World’s 50 Best. Dans l’Hexagone, le chef reste méconnu du grand public. Peut-être parce qu'il n’est pas encore étoilé, même si l’arrivée du premier guide Shanghai devrait changer la donne en septembre. Ou peut peut-être parce qu'il a passé l’essentiel de sa carrière en dehors des frontières françaises et qu'il se fait aujourd'hui discret sur les réseaux sociaux . Ses passages répétés à Omnivore, parmi d’autres festivals d’innovation culinaire à travers le monde, lui ont en revanche permis de se façonner une notoriété solide parmi les foodies et les fous d’innovation gastronomique.
À Shanghai, où le cuisinier est arrivé au milieu des années 2000, c’est autre chose. Au Jade on 36, le restaurant flagship du Shangri-La Pudong, il s’est rapidement fait un nom. Avant d’asseoir définitivement sa réputation en ouvrant en 2009 Mr & Mrs Bund, brasserie chic et tendance du Bund où il déploie à sa guise une cuisine inventive, entre nostalgie assumée et créativité débridée. C’est finalement l’ouverture au printemps 2012 d’Ultraviolet qui propulsera Paul Pairet au rang de chef star à Shanghai et dans toute l’Asie. Il faut dire que ce que vient d’accomplir le chef d’origine méridionale, comme le trahissent son accent chantant et sa décontraction permanente, est unique au monde.
« Ultraviolet est le projet de ma vie » explique-t-il. « C’est un rêve de cuisinier, un véritable aboutissement. Cela faisait plus de quinze ans que j’avais en tête ce concept mais je n’avais jamais pu aller au bout. Avec Baccarat, au début des années 2000, on avait été à deux doigts de le faire à Paris mais cela avait fini par échouer. » Il aura donc fallu une décennie supplémentaire avant que la vision rêvée du restaurant de Paul Pairet ne puisse se concrétiser.
Mais cette vision, quelle est elle ? Tout a été raconté, dit, écrit sur Ultraviolet. Les menus ont été décortiqués. Les technologies – et notamment les projections d’images - abondamment décrites. Pourtant, Ultraviolet est avant tout né d’une ambition… gastronomique. Pour le chef, Ultraviolet est en premier lieu une forme de retour aux sources. Un hommage à la table d’hôte comme à la cuisine familiale qui magnifie le produit, dans sa plus simple expression. « L’idée de départ est très simple : je veux cuisiner à mon meilleur, et pour cela, quelle est la meilleure façon d’y arriver ? » Sa réponse ? S’extraire des contraintes du restaurant (la carte, le service simultané de produits ayant des préparations différentes) qu’il juge « extravagantes ». « La réalité de la cuisine est beaucoup plus fluide. Quand ma mère cuisait une côte de porc, au moment où elle était prête, on passait à table, sans discuter, et on la dégustait à son pic ».
Pouvoir offrir des menus pensés de A à Z, imaginés pour s’équilibrer à travers de nombreuses séquences (exactement 22 pour les deux menus fleuves UVA et UVB proposés alternativement aux convives cinq soirs par semaine), servir chaque assiette à son paroxysme, dans un seul mouvement, sans aucune cassure et en respectant la dynamique du cuisinier. C'est l’enjeu originel d’Ultraviolet. « La maîtrise du temps et de l’offre est fondamentale » insiste Paul Pairet. « Mon premier projet était d’ailleurs beaucoup plus simple. Une table de douze, un dimmer, un tourne-disque, j’étais seul à cuisiner. Ça s’appelait La Cène. J’avais la barbe à l’époque, j’étais plus jeune et un peu prétentieux » rigole-t-il. Mais certainement moins ambitieux.
À Ultraviolet, Paul Pairet est allé au bout des choses. Il y a bien sûr la maîtrise du temps qui lui est si chère. C’est d’ailleurs pour cela que les dix convives – la « table d’hôte » d’Ultraviolet ne contient pas un siège de plus — arrivent en même temps après avoir traversé Shanghai tous ensemble. Le tranport se fait dans un van depuis le Bund jusqu'à un lieu de la périphérie de Shanghai dont l’adresse est tenue secrète. Chaque convive doit arriver précisément au même instant. Le bon déroulé du dîner en dépend. Et ce ne sont pas les embouteillages proverbiaux de Shanghai qui viendront contratrier le nécessaire besoin de ponctualité !
Et puis il y a le reste. L’expérience multisensorielle en particulier. Elle a fait sensation partout dans le monde. L’impressionnant système d’imagerie, la diffusion d’odeurs dans la salle (sèches pour éviter les réminiscences dans l’air), la diffusion de musique qui accompagnent le service de chacun des plats. Des artifices inhabituels pour un grand restaurant. « La technologie n’est pas le sujet d’Ultraviolet. Elle est un support » assure Paul Pairet. « Tout ce qu’il y a autour – la musique, les images, les odeurs – doit donner du relief au plat sans jamais prendre le dessus ». La cuisine reste le propos. Le dîner n’est pas un show, pas plus que les projections vidéo n’ont de vocation artistique.
Alors, concrètement, un dîner à Ultraviolet, ça donne quoi ? « On impose beaucoup de choses. Il faut que les gens se laissent faire quand ils viennent ici ». Franchir la porte d’Ultraviolet, c’est avant tout lâcher prise. Confier les clés de sa soirée à Paul Pairet. Ça tombe bien, il a tout prévu. L’entrée, dans un sas sombre, sur Ainsi parlait Zarathoustra (comme la mythique séquence d’ouverture de 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick) est un poil grandiloquente, suscitant la curiosité autant qu’une pointe d’inquiétude. Et si le chef français s’était laissé emporter par un élan mégalomaniaque ? Ce serait mal connaître le chef. Il multiplie les clins d’œil à la culture populaire, introduit brillamment l’humour dans l’univers pourtant très codifié de la haute gastronomie, fait se côtoyer le kitsch et les chefs d’œuvres, joue volontiers la carte de l’autodérision et se permet des fantaisies que bien peu de cuisiniers dans le monde, en particulier à ce niveau d’excellence, ne s’autorisent habituellement. Faire batailler les gummy bears et le Coca-Cola (« les deux goûts artificiels les plus identifiés dans le monde ») au son de la bande originale de Mario Bros ? Déstructurer l’Ispahan de Pierre Hermé dans un dessert insensé ? Qui d'autre que le créateur d'Ultraviolet se permet ce type d'excentricités ?
Le reste du menu est à l’avenant. Le chef théâtralise son dîner idéal avec une maestria stupéfiante. Il joue avec les émotions de ses convives comme personne (il n’est pas rare que des larmes soient versées en plein « climax » culinaire), livrant une prestation brillante de bout en bout. La cuisine du maître des lieux se révèle tour à tour ciselée, poétique, métaphorique. Aux plats en une bouchée, petites merveilles de technicité et de créativité – seraient-ce les origines catalanes du chef qui parlent ? - se succèdent des plats plus classiques dans leur exécution, s’inscrivant dans la lignée de la tradition culinaire française. Si certains artistes se distinguent par le succès de leurs singles ou la force de leurs hits, c’est bien le format album que Paul Pairet a choisi. En optant pour une construction harmonieuse dans la longueur et une cohérence sans faille plutôt que sur l’accumulation de coups d’éclats individuels, il réalise un tour de force.
Ne comptez pas sur nous pour vous décrire plus en détail le dîner. Comme pour un bon film on une bonne série, on ne souhaite pas spoiler l’immersion culinaire imaginée par le chef. Pour ceux que cela intéresse, certains de nos confrères comme de nombreux blogueurs ont déjà abondamment commenté le déroulé des menus. Regardez donc sur Google. Pour notre part, nous nous contenterons de partager l’avis d’Alain Ducasse. Il fut le tout premier client d’Ultraviolet. « C'est magnifique et délicieux ! » avait-il glissé à l’issue du repas. À l’issue du dîner n°980 d’Ultraviolet que nous venons de vivre en backstage, impossible de ne pas reprendre à notre compte les mots du parrain de la gastronomie française.
Reste une question. Est-ce que le Guide Rouge dont la première édition consacrée à Shanghai doit paraître dans quelques semaines, saura récompenser Ultraviolet à sa juste valeur ? Paul Pairet ne cache pas son inquiétude. « Ça m’embêterait que le Michelin passe à côté ». Nous aussi, ça nous ennuierait qu’Ultraviolet ne décroche pas trois étoiles. Pour reprendre l’expression consacrée du Guide Rouge, Ultraviolet « vaut le voyage ». Jusqu’à Shanghai. Cela ne fait aucun doute. Au fait, on revient quand goûter le menu UVC et son « ultra » prometteur canard laqué au Coca-Cola ?
Ultraviolet by Paul Pairet
Quelque part à Shanghai, Chine.
Adresse précise tenue secrète (rendez-vous est donné pour les convives ayant réservé à 18h30 chez Mr & Mrs Bund)
- Ouvert du mardi au samedi, au dîner uniquement (un seul service de dix personnes)
- Menus UVA et UVB à 4,000 ¥ (les mardi et mercredi) avec accord mets-boissons standards
- Menus UVA+ et UVB+ (du jeudi au samedi) à 6,000 ¥ incluant le Pairing Prestige.
- E-mail : info@uvbypp.cc
- Informations et réservations impératives sur le site Web d'Ultraviolet by Paul Pairet (trois mois à l'avance pour être sûr de trouver un siège)