Les 50 chefs qui font Paris #7: rencontre avec Sylvestre Wahid (Restaurant Sylvestre)
Le moins que l’on puisse est que Sylvestre Wahid ne semblait pas prédestiné à rejoindre l’univers de la grande gastronomie française. Né dans un village proche des montagnes pakistanaises en 1975, ce n’est qu’à l’âge de neuf ans qu’il rejoint, avec sa famille, son père déjà installé dans le sud de la France. Un père qu’il n’a pas vu pendant sept ans, mais qui jouera pourtant un rôle essentiel dans sa future vie de cuisinier. Pour mieux s’intégrer, le jeune Shahzad devient Sylvestre et intègre une école catholique. À l’adolescence, alors que ses camarades vont profiter des mois de beau temps à la plage, la figure paternelle l’encourage à travailler. En cuisine, bien entendu.
À ses côtés tout d’abord, dans le mess des officiers dont il avait la responsabilité. Puis dans l’une des meilleures pâtisseries nîmoise, chez Jean-Claude Lavillonnière. C’est là qu’il rencontrera Thierry Marx, le grand chef du Cheval Blanc à Nîmes. Entre le chef étoilé et le jeune Sylvestre, le courant passe tout de suite. S’en suivra une ascension express dans le monde de la grande cuisine. La rencontre à Paris avec Alain Solivérès aux Élysées du Vernet. Puis celle qui va probablement le plus bouleverser sa carrière de cuisinier : Alain Ducasse. Le parrain de la gastronomie lui fait intégrer son mythique restaurant de l’Avenue Poincaré, héritage du non moins mythique Restaurant Joël Robuchon.
Quand Ducasse déménage son vaisseau amiral parisien au tournant des années 2000 au Plaza Athénée, il l’emmène avec lui. La confiance qu’il accorde au jeune chef lui fait envoyer Sylvestre Wahid à New York dans l’un de ses restaurants. Puis il lui offre une place de formateur un rôle au sein de son école culinaire. Voilà Sylvestre Wahid, désormais cuisiner confirmé, en train d’apprendre le métier aux jeunes espoirs de la gastronomie française. Un bel accomplissement pour celui qui, vingt ans plus tôt, ne parlait pas un mot de français.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Homme de challenge, Sylvestre Wahid n’hésite pas un instant quand on lui propose de reprendre les commandes de l’une de ces maisons qui font la légende de l’art de vivre à la française, l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence. Rapidement il y glane deux étoiles, les premières en sa qualité de chef. Il modernise l’institution provençale, fidèlise la clientèle habituée à l’excellence provençale, et accepte un nouveau défi de taille : faire du Strato à Courchevel une très grande table d’altitude. Pari réussi en deux saisons où il parvient, là aussi, à décrocher les deux étoiles.
Bosseur acharné, tout réussit au cuisinier qui décide pourtant, encore une fois, de se lancer un nouveau challenge. En 2015, c’est décidé, il rentrera à Paris. Début 2015, il prend donc la succession de Jean-François Piège au Thoumieux. Il refait la carte de la brasserie avant de s’attaquer quelques mois plus tard au restaurant gastronomique qui portera désormais son nom. Au Restaurant Sylvestre, Sylvestre Wahid est désormais chez lui. Il part d’une page blanche pour réinventer l’expérience culinaire de haut vol qu’il a imaginée. C’est dans cet écrin intimiste et précieux de la rue Saint-Dominique que nous avons eu la chance d’échanger avec ce chef en quête permanente de perfection, aussi attentif à la satisfaction de ses convives qu’au bien-être de ses équipes.
Parcours, influences, inspirations, vision de la cuisine, Sylvestre Wahid nous dit tout.
LES DÉBUTS
Yonder : Bonjour Sylvestre Wahid. Vous êtes né au Pakistan et êtes arrivé en France avec votre famille à 9 ans en 1984. Votre papa vous inscrit dans une école catholique pour faciliter votre intégration, c’est bien cela ?
Sylvestre Wahid : Exactement.
Est-ce qu’il y a un déclic qui vous incite à vous lancer dans l’univers de la cuisine et de la gastronomie ?
Il y a plusieurs paramètres qui sont rentrés en ligne de compte. Le fait que mon père était gestionnaire du mess des officiers a joué un rôle important. Mais c’est la rencontre avec Thierry Marx qui a été décisive. Tout est une rencontre d’hommes. Les personnes que vous rencontrez quand vous débutez peuvent vous transcender comme vous dégoûter du métier.
J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un d’extraordinaire, qui me met immédiatement le pied à l’étrier et qui me donne envie d’aller de l’avant, d’aller toujours plus haut, de se remettre en question. À ce moment là, Thierry Marx partage avec moi sa culture du beau produit, du restaurant, du service, de la relation humaine avec la brigade…
Comment s’est faite cette rencontre avec Thierry Marx, alors chef étoilé du Cheval Blanc à Nîmes ?
Après ma première année d’école hôtelière, j’avais deux mois de vacances. Je ne voulais pas rester sans travailler donc j’ai fait un stage dans la pâtisserie de Jean-Claude Lavillonnière qui était très réputée à Nîmes. L’un des très bons amis de Jean-Claude était Thierry Marx qui à l’époque venait de reprendre le Cheval Blanc.
Jean-Claude Lavillonière m’a laissé libre une semaine avant la fin de mon stage pour que je la passe au Cheval Blanc. C’était un rêve pour moi de rentrer dans cet établissement, ne serait-ce que pour la renommée de l’établissement.
Le courant passe alors immédiatement avec Thierry Marx ?
Oui, au bout de quatre jours il m’a proposé de continuer en apprentissage. J’ai immédiatement accepté, je savais que j’allais apprendre beaucoup plus sur le terrain avec lui qu’à l’école. Le fait d’avoir des difficultés en français à l’époque me poussait aussi à rejoindre rapidement le marché du travail.
Thierry Marx est alors votre mentor ?
Oui, complètement. C’est lui qui m’a appris les bases. Puis il m’a envoyé chez Patrick Pagès en Lozère où je suis resté deux saisons. J’ai découvert la cuisine cévenole qui était très différente.
LE PARCOURS
Vous découvrez ensuite l’univers de la gastronomie à Paris.
Oui, tout fait. J’ai passé une année extraordinaire à l’Hôtel du Vernet à Paris avec Alain Solivérès [NDLR : actuellement chef du Taillevent à Paris]. Il m’a introduit à l’atmosphère parisienne, sa rigueur, son stress. On est passés de une à deux étoiles, c’était un grand moment. Puis le fait d’être dans un hôtel amène d’autres contraintes comme la gestion du room service et du bar par exemple.
Vous partez ensuite faire votre service militaire ?
Oui, à Montbéliard pendant dix mois. J’ai fini évidemment chef de cuisine !
Et vous rencontrez Alain Ducasse.
Oui au 59 Avenue Poincaré à Paris que M. Ducasse avait repris de Joël Robuchon. J’y suis resté cinq ans, on a fait le déménagement au Plaza Athénée [NDLR : qui est alors devenu le second vaisseau amiral d’Alain Ducasse aux côtés du Louis XV à Monaco]. J'ai commencé en bas de l’échelle jusqu’à seconder Jean-François Piège qui était alors en charge du restaurant.
Et puis New York pendant plus de quatre ans…
Oui, c’est M. Ducasse qui m’envoie à New York, il venait de reprendre un restaurant, The Essex House. J’y suis allé pour seconde Didier Elena et comme à Paris, tout s’est très bien passé.
C’était une nouvelle expérience, il y avait la cuisine mais aussi la découverte d’un autre pays, d’une culture différente. Cela a été parfois difficile mais c’était une belle leçon de vie.
Vous avez aimé l’esprit new-yorkais ?
J’adore Manhattan. L’énergie de la ville, la diversité du peuple, la diversité de la cuisine… c’est un vivier d’inspiration génial. J’essaye d’y retourner une ou deux fois par ans.
En quoi être cuisinier à New York était différent d’être dans une brigade à Paris ?
Il y a des bases, le savoir-faire bien entendu mais c’était une remise en question complète sur le mode de vie, l’adoption de la culture, l’apprentissage d’une nouvelle langue. Il fallait repartir de zéro, tout réapprendre. Il faut être fort mentalement mais j’ai beaucoup aimé.
Après quatre ans et demi, vous rentrez en France.
Je me suis posé la question. Si je restais à New York après presque cinq années passées sur place, c’était pour finir ma vie là bas. Ou alors je rentrais en France et je partais sur un autre challenge. Comme j’aime les challenges et que j’avais envie de revenir à Paris, j’ai échangé avec Alain Ducasse qui m’a proposé de devenir chef formateur chez Alain Ducasse Formations.
J’ai découvert alors un nouveau métier. Il fallait intégrer de nouveaux paramètres comme la pédagogie ou différentes sortes de cuisines. Et tout cela au nom d’Alain Ducasse, ce qui met tout de même une belle pression…
Et puis il y a l’Oustau de Baumanière, une maison mythique…
J’ai 30 ans quand je prends les rênes de l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence, un endroit emblématique. Je n’ai pas discuté, ni contrat, ni salaire. Je voulais absolument le poste et je l’ai eu. Je l’ai vraiment fait par challenge.
Vous avez alors l’opportunité de développer véritablement votre cuisine.
Jean-André Charial m’a laissé carte blanche. J’ai fait évoluer la maison en mettant en place une cuisine de notre époque, avec un management plus moderne. L’histoire, la clientèle d’habitués, la lumière, les beaux produits de Provence, les senteurs, la roche... tout cela m’a aidé à imaginer la nouvelle carte.
Et le succès est au rendez-vous.
Quand j’ai confirmé les deux étoiles, cela a été un moment extraordinaire dans ma vie de cuisinier. En 2009, on me propose de reprendre les cuisines du Strato à Courchevel. Sans hésiter, j’ai dit oui avec une même ambition : aller chercher deux étoiles. On l’a fait en deux saisons ce qui est très rapide. C’était une immense satisfaction pour l’équipe et moi.
C’était un beau challenge pour vous.
Deux fois deux étoiles, deux restaurants ouverts sept jours sur sept, deux hôtels cinq-étoiles, deux équipes, c’était génial. Mais j’ai sacrifié dix ans de ma vie pour y arriver.
Quels souvenirs vous gardez de ce long passage à l’Oustau de Baumanière ?
C’est mon plus beau souvenir de cuisinier. Reprendre la direction d’un établissement comme cela, c’est le rêve de beaucoup de cuisiniers. Ces neuf ans à l’Oustau puis ensuite à Courchevel l’hiver et aux Baux-de-Provence l'été étaient extraordinaires.
En 2014, vous quittez les deux établissements et partez voyager.
Après presque dix ans aux Baux-de-Provence et Courchevel, il me fallait un nouveau challenge. Je suis parti en Russie, en Sicile, à Londres, à Dubaï, en Belgique travailler avec les élèves dont je m'occupais dans une école de cuisine russe.
C’était une expérience géniale. Je leur montrais ma technique, française, mais on travaillait toujours avec des produits locaux, que l’on soit à Catane ou à Londres. Je ne voulais pas arriver de France et faire une démonstration de cuisine française, ce n’est pas intéressant. En revanche, montrer la technique, la rigueur, l’exigence en l’adaptant aux produits locaux a été très apprécié partout où je suis allé.
La cuisine doit s’adapter aux lieux où nous nous trouvons, aux personnes que nous côtoyons. C’est parfois très difficile mais c’est ce qui fait la beauté de la cuisine, de pouvoir toujours aller chercher ce que la nature a de meilleur à nous offrir localement.
Vous rencontrez ensuite Thierry Costes.
J’avais entendu dire que Jean-François Piège quittait Thoumieux. Quand j’ai reçu un appel de Thierry Costes, je savais qu’il allait me proposer la place.
Comme je suis un garçon de challenge et que j’aime bien me prouver des choses, j’ai accepté sans hésiter. On m’a pris pour un fou ! Succéder à Jean-François Piège, peu étaient prêts à relever le défi. Trop de pression, trop médiatique…
Vous acceptez tout de même la proposition.
Oui, je n’ai rien à perdre, au pire je me plante ! J’ai à peine réfléchi, j’ai accepté directement.
En janvier 2015, je reprends le Thoumieux. Uniquement la brasserie dans un premier temps, le restaurant gastronomique était fermé à ce moment là. J’ai mis en place une nouvelle équipe, dont une partie est arrivée début septembre pour la réouverture du restaurant gastronomique. Quatre mois plus tard, début février 2016, on décrochait les deux étoiles.
Le fait que le Michelin vous récompense de deux étoiles aussi rapidement a constitué une surprise ?
Je ne travaille pas pour les étoiles. Avoir des étoiles, c’est une satisfaction personnelle mais ce n’était pas l’objectif principal. L’objectif était que je me sente bien dans ma peau, bien dans le lieu et bien avec mon équipe. La réussite d’un restaurant n’est pas que celle du chef, c’est celle de l’établissement dans sa globalité. Le chef de cuisine est un leader mais il ne faut pas oublier les autres : les sous-chefs, les chefs de partie, le directeur du restaurant, les chefs de rang, les chefs sommeliers, les plongeurs, les réceptionnistes… Il faut une alchimie entre tous pour que le client sente que la maison a une âme.
Le chef de cuisine doit donner une impulsion mais le plus important est de créer une équipe.
Le restaurant porte votre nom malgré tout ?
Oui car il faut une identité qui soit portée par un leader. Il y a un leader comme il y a un commandant de bord dans un avion ou un capitaine dans un navire. Il faut des leaders qui donnent la cadence. En bien comme en mal d’ailleurs. J’accepte les lauriers mais j’assume aussi les critiques, la fatigue, le fait de travailler sept jours sur sept. Il faut garder les pieds sur terre.
En arrivant au Thoumieux, vous avez le sentiment que l’alchimie se fait naturellement.
J'ai essayé d’avancer au rythme de l’équipe, je ne voulais pas aller trop vite pour ne pas faire perdre les pédales à l’équipe. Sans eux, je ne suis rien. Je n’impose rien, on discute de tout. Quand on fait des erreurs, on en parle et on rectifie. On avance ensemble.
Votre rôle de formateur chez Alain Ducasse vous aide à avoir cette proximité avec les équipes pour les accompagner au mieux ?
C’est un ensemble d’éléments. Mon histoire personnelle compte aussi beaucoup. L’aventure a débuté très jeune pour moi. Tous les trois ou quatre ans, je déménageais. Le fait de devoir toujours se réadapter, réapprendre la cultures, les gens, c’est très difficile mais c’est ce qui fait ce que je suis aujourd’hui.
Les rencontres sont fondamentales, tout au long de ma vie.
Quelles sont les rencontres qui ont été les plus marquantes ?
Toutes mes rencontres ont été marquantes, les bonnes comme les moins bonnes. Les bonnes ce sont évidemment Alain Ducasse, Thierry Marx, l’Oustau de Baumanière, Thierry Costes, Grégory, mon bras droit mais aussi mes amis. Les rencontres, c’est tout le temps, tous les jours. C’est un processus naturel.
INSPIRATIONS & INFLUENCES
Au-delà des chefs avec lesquels vous avez travaillé directement, est-ce qu’il y a d’autres chefs qui vous ont inspiré ?
J’aime beaucoup Pierre Gagnaire, j’aime beaucoup Michel Bras… Mais ce sont les femmes qui m’inspirent !
Ce sont vos muses ?
Oui, je ne rigole pas. Je me suis rendu compte de cela à Paris. Attention, il ne faut pas tout prendre à la lettre mais je trouve qu’elles ont une sensibilité différente, un petit truc en plus qui m’inspire.
Évidemment, je ne transige jamais sur la qualité et la saisonnalité des produits, c’est fondamental, c'est la base de ma cuisine. Pour le reste, il y a beaucoup d’influences. Les femmes, le bien-être… Par exemple, je fais la guerre à mes cuisiniers pour qu’ils prennent soin d’eux bien que l’on travaille parfois 18 heures par jour. J’essaye aussi d’avoir des femmes en cuisine, je trouve que cela apporte un équilibre, que ça apaise les tensions. 50% de mon équipe est composé de femmes, c’est une satisfaction pour moi.
L’atmosphère en cuisine est importante pour vous ?
Absolument, je veux une cuisine apaisée. Je déteste la vulgarité ou les cris. Si j’entends quelqu’un hausser le ton, je le réprimande immédiatement. La présence de cuisiniers étrangers, ne parlant pas français, est également un plus, cela permet aux équipes d’apprendre une nouvelle langue.
J’essaye au maximum d’impliquer les équipes pour construire une vraie dynamique de groupe. Quand j’ai des cuisiniers qui viennent d’autres pays, je leur demande de nous préparer leurs spécialités. C’est génial de pouvoir travailler comme cela.
Vous évoquez le métissage et la diversité, est-ce que vous considérez les voyages comme une source d’inspiration ?
Voyager est primordial. Pas que pour moi ou les cuisiniers, pour tout le monde ! Tout est devenu très accessible, le voyage s’est simplifié. Et pour les jeunes, c’est l’opportunité de se forger leur propre opinion de l’humanité, au-delà de ce qui se passe dans leur ville, en France ou en Europe.
Quelles destinations ont été marquantes pour vous ?
L’Asie. J’aime beaucoup l’Amérique du Sud, l’Afrique du Nord… J’aime beaucoup la Russie également. Mais ce qui est important, c’est de ne pas arriver avec ma veste de grand chef français. Je veux arriver en tant que simple cuisinier. Observer les produits locaux, regarder comment les cuisiniers les utilisent, voir comment ils travaillent. Seulement ensuite, si j’ai des idées, soit je les adapte à ma cuisine, soit je partage mon savoir-faire et ma technique sur place avec leurs produits, leurs visions. Le mélange peut être extraordinaire.
Revenons quelques instants sur la Russie qui n’est pas une destination fréquemment citée par les chefs.
J’ai fait quelques repas en Russie en plein hiver qui étaient géniaux. Ils n’ont pas beaucoup de produits locaux à cause de la rigueur du climat mais j’aime l’atmosphère qui règne en cuisine, leur façon de travailler, leur vision du partage… J’aime beaucoup la Russie, on est très loin de l’image des Russes dans les stations de ski ou sur la Côte d’Azur.
Il est malheureusement plus facile de montrer ce qui ne va pas ou ce qui dérange que l’inverse. Les préjugés m’horripilent, je déteste que l’on puisse mettre tout le monde dans le même sac.
Est-ce que vous-même avez été victime de préjugés compte tenu de vos origines et de votre parcours ?
Bien sûr, mais je ne me victimiserais jamais. Il faut réfléchir et savoir aller vers ceux qui apportent du positif, qui donnent de l’amour. Cela ne sert à rien de perdre du temps avec ceux qui vous ignorent et qui vous font perdre du temps. Je n’ai pas de temps ni d’énergie à perdre avec ceux qui sont obtus et qui ne m’apportent rien.
Plutôt que le conflit, je préfère passer à autre chose, voir le côté positif des choses. La cuisine m’a permis de m’émanciper, d’accepter mes erreurs, de voir quelles sont les personnes avec lesquelles il faut avancer dans la vie plutôt que de me focaliser sur les mauvais rencontres.
L’ARRIVÉE AU THOUMIEUX
En septembre 2015, vous dévoilez donc le Restaurant Sylvestre au sein de l’Hôtel Thoumieux. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur votre cuisine ?
Ma cuisine, c'est avant tout les meilleurs produits aux meilleurs moments, la saisonnalité est primordiale. C'est une cuisine haute couture où l’on fait tout cuire à la minute.
On joue sur les assaisonnements avec différents sels, différents poivres, mais à la base on sale très peu et on utilise très peu de beurre. L’idée est de proposer une cuisine simple, saine et permettre au client de se réapproprier les plats avec leur propre assaisonnement.
Vous ne voulez pas dénaturer le produit.
Tout à fait, on reste très proche de la simplicité du produit. Tous les jours, on mange trop de sel, trop de sucre, trop de gras donc on essaye de limiter au maximum l’ajout de sel, les expérimentations culinaires ou les mélanges difficiles. Je ne suis d'ailleurs pas fan de cela et je ne sais pas le faire. La contrepartie est que cela exige une qualité de produit irréprochable.
Par exemple, l’asperge que l’on cuisine en ce moment, quand on la sert, elle sort du sautoir. Il n’y a pas besoin de plus, les saveurs sont là. Et en cuisine, j’ai éliminé le sel fin traditionnel. Je l’ai remplacé par des moulins pour saler à la minute avec du sel rose d’Himalaya.
Cette volonté de proposer une cuisine saine, vous l’appliquez aussi sur le sucré ?
Oui, toute la pâtisserie est très allégée. On essaye de travailler avec le chef pâtissier sur des desserts qui ont le moins possible de sucres ajoutés. On va davantage utiliser des extractions de fruit, des réductions de jus, du miel. On ne peut pas travailler entièrement sans sucre mais on essaye de réduire au maximum.
Comment se positionne votre cuisine ici par rapport à ce que vous faisiez à l’Oustau de Baumanière ou au Strato ?
Je suis parti d’une page blanche ici, je ne voulais pas refaire ce que je faisais avant. On est à Paris, il fallait faire une cuisine différente. C’est la même chose pour les arts de la table, on est reparti de zéro. On a fait le choix d’avoir des services différents pour les adapter aux plats servis. J’ai aussi bien des services en porcelaine de Limoges de Bernardaud que de la pierre de lave.
On joue également sur la décoration florale pour souligner la saisonnalité. Cet hiver, on avait des bonzaïs. En ce moment, il y a des orchidées sur les tables. Pour l’été, on verra…
Le cadre intimiste du restaurant vous a également influencé ?
Oui en particulier le fait qu’il y ait peu de couverts. On est dix en cuisine pour vingt-cinq convives. Cela permet d’aller au bout des choses, de travailler sur des détails que l’on ne pourrait pas imaginer en devant faire plus d’assiettes.
Il y a beaucoup de travail, beaucoup de temps passé en cuisine. Cela nécessite une réactivité très importante de l’équipe pendant les services.
Le visuel de vos assiettes est également très sophistiqué.
Oui, c’est un point important de ma cuisine, au-delà du produit. Et tous les éléments de décoration, le sel d’Himalaya rose présenté, les découpes en salle, la préparation d’omelette norvégienne à la minute, ce sont ces détails qui font du restaurant ce qu’il est.
Quand je vais au restaurant, c’est ce que je veux voir. Je ne suis pas au restaurant pour assister à une démonstration du chef.
Vous avez d’ailleurs choisi de proposer plusieurs menus et vous proposez également des plats à la carte.
Oui tout le monde m’a pris pour un fou d’imaginer une carte avec autant d’éléments. Mais si je ne fais qu’un seul menu, je m’ennuie. Je ne suis pas venu pour la simplicité, je suis venu pour le défi.
Avec l’ambition de faire plaisir aux clients ?
Je pars du principe que si l’on va au restaurant, avec sa femme, sa famille, ses amis, c’est avant tout pour passer un bon moment et avoir une certaine liberté. Je ne veux pas imposer quoi que ce soit, je ne veux pas une atmosphère guindée. C’est la même chose avec les équipes, c’est fondamental pour moi qu’il y ait une bonne entente entre tous.
Avant même de passer à la carte et aux clients, je pensais au groupe et à créer un élan.
Le fait d’avoir une cuisine ouverte rentre également dans cette logique ?
Oui et elle sera d’ailleurs encore plus ouverte bientôt. J’ai envie de pouvoir impliquer davantage les cuisiniers. Un cuisinier devrait pouvoir aller en salle porter un plat et l’expliquer.
Un mot pour la fin ?
Il faut travailler avec plaisir. C’est parfois fatiguant mais cela paye toujours.