Rencontre avec Thomas Chisholm, le (Top) chef du freestyle
YONDER : Sans parodier Eminem, racontez-nous le début de votre vie en mode « My Name Is » ?
Thomas Chisholm : « My name is Thomas » (dit en franglish dans un éclat de rire). Pour le reste, je suis né à Manhattan de parents français, mais j'ai grandi à Brooklyn jusqu'à l'adolescence, entouré uniquement d'Américains. Dans ce quartier, tu apprends à être autonome très jeune, ça me plaisait bien. On ne peut pas dire que j'étais super bon à l'école, mais à 13 ans j'ai eu la chance d'avoir une bourse pour suivre des cours d'art au très réputé Institut Pratt. Une révélation. Je voulais faire un lycée général option art à New York, mais, l'année d'après, j'ai dû venir en France et m'installer chez ma mère, à Perpignan.
Comme je ne parlais pas vraiment français et que je l'écrivais encore moins, les profs ne m'ont pas laissé poursuivre dans cette voie. Heureusement, en 3ème, j'ai fait mon stage dans un restaurant — Le Chapon Fin d'Alexandre Klimenko — où j'ai eu une seconde révélation, pour la cuisine cette fois. Sûrement parce que je trouve que ça se rapproche un peu de l'art... Au vu de ma motivation, mon chef a fait le forcing pour que je sois pris au lycée hôtelier. Là, pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvé parmi les premiers de la classe ! Et, comme je travaillais beaucoup, j'y suis resté jusqu'au bac pro.
Une fois le diplôme en poche, à quoi ressemble votre « École du Micro d'Argent » version cuisine ?
Je m'étais toujours dit que je repartirais aux USA. C'est donc ce que j'ai fait dès que j'ai eu 18 ans. J'ai trouvé une place à Victorville, sur la Route 66, pile entre Los Angeles et Las Vegas. Sur le papier, ça fait rêver, mais en fait c'est la capitale de la meth ! Je me suis sauvé quand je l'ai découvert et je suis rentré en France aussi vite que j'ai pu. De retour à Perpignan, je rencontre Marion [sa future épouse, NDLR], mais elle habite alors à Nîmes... Je faisais 90 km aller-retour tous les jours pour la voir alors que je travaillais. C'était sport, même à vingt ans, crois-moi.
En plus, comme à cette époque je pensais que je n'avais pas le niveau, je me donnais vraiment à fond en cuisine. C'était fatigant, mais payant. En 2015, mon chef au Vieux Castillon me conseille d'aller à Paris. Je me souviens, je suis arrivé fier comme un coq, mais j'ai vite déchanté... Je faisais des essais partout mais personne ne me prenait, ou alors cela ne collait pas. Je m'épuisais à la tâche et au bout de deux semaines, mon corps m'a lâché. Je me suis sérieusement demandé si j'allais arrêter, jusqu'à ce que Sylvain Sendra, alors chef d'Itinéraires (Paris 5e) me rappelle.
Que retenez-vous de cet apprentissage à Paris ? Avez-vous trouvé des mentors, des MC, un possee ?
J'adore le rap, mais ce n'est pas vraiment l'ambiance à l'époque ! Quand j'arrive chez Sendra, je suis commis, en cuisine et pâtisserie. C'est un gros challenge car je n'y connais rien, mais c'est super formateur. Je reste chez lui deux ans, pendant lesquels je bosse 19h par jour pour progresser. Je monte en grade jusqu'au poste de sous-chef, mais là je fais un burn out. On est en 2017. Dès que je vais un peu mieux, je fais de l'intérim en cuisine. Pas le choix, je ne sais faire que ça ! C'est dur, on me traite comme un jeune commis, jusqu'à ce que Thierry Marx, dont je suis un très grand fan, me prenne comme demi-chef de partie au Sur-Mesure, où je croiserai Mory Sacko. Après deux semaines seulement, on me propose la place de premier chef de partie tournant. Ce n'est pas évident, mais tu apprends plus vite car tu vois beaucoup plus de choses. J'ai même l'opportunité de faire quelques essais de création. Je montre au chef mon « Maquereau en camouflage », un plat qui lui plaît. Ma grande fierté, c'est qu'il est toujours à la carte aujourd'hui !
En 2018, on me débauche pour ma première place de chef de cuisine. Une expérience très décevante. Je m'en vais au bout de deux mois. À ce stade, je me pose des questions et j'ai envie de voir ce qu'est la bistronomie. Par chance, je me retrouve au 6 Paul Bert (Paris 11e), comme sous-chef de Hideo Uemura. C'est super épanouissant, j'adore. D'ailleurs, c'est là que je fais la connaissance de mon copain Gianmarco Gorni (Top Chef saison 11). Pendant deux ans, je suis dans une bonne énergie et je me prends à rêver de travailler un jour pour Pierre Gagnaire ou Atsushi Tanaka, dont on entend de plus en plus parler dans le milieu. À cette époque, je lis un article du grand chef qui dit texto : « Atsushi est le futur Pablo Picasso de la cuisine ». Je prends ça pour un signe et, ni une ni deux, je pars du jour au lendemain pour le restaurant A.T. (Paris 5e). Je me rends bien compte que ce n'est pas cool du tout, mais Bertrand Auboyneau, patron du 6 Paul Bert, ne m'en veut pas car il porte Atsushi en haute estime. Chez A.T., je découvre un monde nouveau : la folie créatrice.
Alors que vous semblez être déjà lancé dans le game, à quel moment vous vient l'envie de faire Top Chef ?
C'est de la faute de Gianmarco ! Non, je plaisante, mais c'est lui qui m'a donné envie quand il m'a dit qu'il s'était inscrit. J'ai posé ma candidature en même temps, mais je ne suis pas retenu. Il fait la saison 11, je regarde et pendant le premier confinement la production me rappelle pour me dire : « On s'est loupés, êtes-vous toujours intéressé ? » Évidemment, j'ai foncé ! Ça a été très compliqué avec Atsushi, qui l'a super mal pris, mais j'ai saisi ma chance... Et voilà : Top Chef saison 12 ! Ceci dit, à titre personnel, ça a été à la fois une bonne expérience et une grosse déception. Je pensais avoir les capacités d'aller plus loin. Lors de mon élimination, j'ai ressenti une vraie frustration mais, avec le recul, je me dis que ce n'est peut-être pas plus mal car ça m'a mis un gros coup de pied pour accélérer.
Justement, à propos d'accélération, on dit souvent que Top Chef est un énorme booster de carrière. Quel est votre ressenti à ce sujet ?
J'avais eu des échos là-dessus, évidemment, mais c'est autre chose de le vivre. Oui, c'est fou. On a beaucoup plus de confiance de la part de tous les acteurs du secteur, beaucoup plus de marge de manœuvre. En revanche, il ne faut pas se planter et choisir les bons investisseurs, les bons partenaires. Moi, je fonctionne beaucoup au feeling et à l'humain. Avec certains qui sont super présents sur la place parisienne, cela ne l'aurait pas fait du tout. Quand je suis allé voir les l'équipe des Becs Parisiens, franchement c'était pour la forme... Mais, on s'est immédiatement très bien entendu, rendu compte que nos univers collaient et qu'on avait l'envie mutuelle de travailler ensemble. C'est aussi simple que ça. Après, on a visité un paquet de restaurants avant de tomber sur le bon !
Parlons-en, se retrouver dans l'ancien QG de Sébastien Demorand [critique gastronomique et restaurateur culte, malheureusement disparu en 2020, NDLR], ce n'est pas trop impressionnant ?
Si. J'étais un super grand fan de Demorand. J'allais au festival Omnivore tout le temps et je buvais ses paroles. Littéralement. C'est sûr, ça fait quelque chose de reprendre son restaurant... J'étais aux anges quand on a signé ! Et, quand il a fallu trouver un nom, je ne voulais pas me prendre la tête. Je déteste les cuisiniers qui se la racontent et choisissent des noms alambiqués. Ce n'est pas l'esprit d'ici, pas le mien.
Chocho, ça sonnait bien, ça faisait dada. Du coup, j'ai tiré le fil et me suis encore plus renseigné sur le mouvement pour faire des clins d’œil par-ci,palà...
Votre fameux « plat à saucer », c'est dada ? Votre manière de cuisiner aussi ?
Bon, comme tout le monde, ici c'est le produit qui fait la cuisine. Mais, pas que. Il y a un brin de provco, un brin d'expérimentation. Le « plat à saucer », je l'ai fait chez moi, un soir il y a trois ans, avec l'idée de proposer une assiette qui ressemblerait visuellement à celle qu'on envoie à la plonge. Mais c'était trop déroutant, trop démonstratif aussi. J'ai gardé l'idée, mais je l'ai rendue plus lisible. Pour le reste, ma manière de gérer la cuisine — cette fois c'est moi qui vais faire allusion au hip-hop — c'est du freestyle. Car, oui, je rappais beaucoup avant et je pense que je fais un peu la même chose en cuisine. Côté musique, tu a des rimes en stock, l'impro et tu mixes les deux. Côté cuisine, les huiles, les condiments, les produits fermentés, etc. ce sont tes rimes et le produit du jour, c'est ton impro. Tu mixes et tu essaies de trouver le bon flow. C'est pareil, non ?
Arrêtons- nous sur la fermentation un instant. Il paraît que vous avez un labo ici, au restaurant. Vous pouvez nous en dire deux mots ?
Oui, avec mon second, Rodolphe Despagne, on expérimente pas mal. On est fascinés par René Redzépi et toute cette cuisine nordique qui, vu le climat, en connaît un rayon sur la question. C'est super intéressant car ça permet de travailler des produits hors-saison, comme les agrumes, par exemple. On fait aussi notre kombucha maison. Poches sous vide ou seaux de fermentation, il y en a plein le sous-sol !
Cela fait six mois que le restaurant est ouvert et il ne désemplit pas. Qu'est-ce que cela vous fait ?
Six mois c'est rien et c'est beaucoup à la fois. On a passé un cap et l'engouement est toujours là, voire encore plus qu'avant car le bouche-à-oreille est super bon. Cela me rend fier, forcément, mais cela me pousse à aller encore plus loin. Surtout, je voudrais insister sur le fait que derrière la façade mode, il y a une vraie équipe, des gens qui se donnent à fond. C'est crucial. Sans une bonne équipe, on n'avance pas. J'ai travaillé avec beaucoup de chefs qui n'en ont pas conscience. Pour moi, c'est la base. Je ne serai peut-être pas le meilleur chef, ni un chef étoilé, mais j'ai envie d'être le meilleur humain. Et puis, je me dis que si on continue à bien faire les choses, tous ensemble, le restaurant continuera à être plein pendant des années. Je nous le souhaite en tout cas !
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