Les 50 chefs qui font Paris #17 : rencontre avec Akrame Benallal (Restaurant Akrame)
Pour Pierre Gagnaire, son mentor en cuisine, « il a de l'or au bout des doigts ». Alain Ducasse, le plus emblématique des grands chefs français, le regarde évoluer avec une bienveillance tout particulière. L’indéboulonnable Gilles Pudlowski voit en lui « une boule de feu, un concentré d’énergie, une pile 100,000 volts ». Impossible d’ignorer le parcours fulgurant de ce jeune prodige de la gastronomie.
On le retrouve dans son nouveau chez-lui, derrière le très exclusif Hôtel de Pourtalès à deux pas de la Madeleine. Ce qui devait être une adresse pop up, le temps de rénover son vaisseau amiral, s’est imposé depuis l’automne comme sa nouvelle maison. Une maison où Akrame entend bien continuer à faire démonstration de toute sa créativité et de son talent à quelques privilégiés. « Ici, on fait de la haute couture » nous explique ainsi Akrame, en opposition à ses autres adresses « prêt-à-porter » dont il multiplie les ouvertures aux quatre coins de Paris, quand ce n’est pas à l’autre bout du monde (Hong Kong, Manille, Baku…). Celui qui se rêve en héraut d’une gastronomie française renouvelée et décomplexée ne cache ni ses ambitions ni sa volonté. Celle, personnelle, d’étendre son empire naissant de la restauration – qui compte déjà plus de 200 employés – à Paris et partout où les opportunités se présenteront. Et celle, plus collective, d’écrire avec ses pairs une nouvelle page de la gastronomie française. Comme Nobu qui avait vu sa carrière anéantie (son restaurant en Alaska avait été ravagé par un incendie) avant d’être à l’origine de l’un des plus grands succès de la restauration mondiale, Akrame semble animé d’une soif de réussite inextinguible depuis qu’il a tout perdu une première fois. C’était en 2010, à Tours.
Aujourd’hui, certains observateurs de la scène gastronomique voient en lui un fils spirituel d’Alain Ducasse : un chef aussi doué derrière les fourneaux que dans les affaires, un entrepreneur hors pair, capable de fédérer les meilleurs talents autour de lui. Le rapprochement ne manque pas de sens. Pour notre part, on voit en Akrame Benallal un possible Karl Lagerfeld de la gastronomie ! Look soigné (il ne départit jamais de ses habits noirs), vision, créativité, avant-gardisme, sens aigu des tendances, capacité d’adaptation permanente pour naviguer entre la « haute-couture » et le « prêt-à-porter », sans aucun doute, Akrame Benallal a l’étoffe d’un très grand leader. C’est cet homme aux talents multiples que nous avons rencontré en cette rentrée 2017. L’occasion pour nous de revenir sur ses débuts et son parcours, d'évoquer ses influences et inspirations, mais surtout d'échanger sur sa vision du monde, aussi déterminée qu’inspirante.
LES DÉBUTS & LE PARCOURS
YONDER: Bonjour Akrame Benallal. Prenons quelques instants pour revenir sur vos débuts. Quel moment identifiez-vous comme un déclic dans votre vie de cuisinier ?
Akrame Benallal : Ma mère, que j’admire beaucoup, m’a permis de grandir et de faire ce que j’aime. Elle m’a donné le goût des bonnes choses. Quand elle cuisinait, elle arrivait à faire des choses incroyables avec rien. En arrivant en France [Akrame Benallal a passé sa jeunesse en Algérie, NDLR] à l’âge de 13 ans, j’étais donc déterminé. Je savais que je voulais être cuisinier.
Vous rêviez déjà de devenir un grand cuisinier ?
Mon rêve a rapidement été d’être un grand chef. Et d’ailleurs je n’y suis toujours pas ! Penser avoir le succès est le meilleur moyen de tout perdre. Le vrai et seul succès est celui de satisfaire ses clients, de faire en sorte qu’ils deviennent vos ambassadeurs.
Adolescent, vous connaissiez tous les chefs trois-étoiles et aviez même des posters de certains d’entre eux dans votre chambre. C’est exact ?
[Rires] C’est vrai. J’admirais ces chefs qui étaient le symbole de l’excellence. Même si je ne fréquentais pas leurs restaurants, je connaissais tout d’eux, notamment en lisant le magazine Thuriès que je collectionnais à l’époque. J’étais un vrai fan !
Le fait d’avoir vu certains des chefs que j’admirais le plus venir manger chez moi est l’une de mes plus grandes émotions.
L’admiration a joué un rôle moteur dans vos débuts ?
J’ai toujours admiré les grands chefs. Leurs capacités à se battre, à ne rien abandonner malgré les difficultés et les galères. C’est pour cette raison que j’adore un livre comme Mémoires de chefs de Nicolas Chatenier. Il montre le combat perpétuel pour aller au bout de ses envies et de ses rêves. C’est le message que j’essaye de faire passer aux jeunes : « Foncez, allez au bout de vos envies, n’écoutez pas ceux qui vous empêchent d’avancer ».
Vous avez côtoyé de très grands chefs durant votre parcours.
Ferran Adrià chez elBulli, Pierre Gagnaire, Alain Solivérès entre autres. Pierre Gagnaire est à part, je lui voue une admiration inestimable. Pour moi, il y a Pierre Gagnaire et les autres.
LA VISION AKRAME
Votre première expérience en tant que restaurateur s’est soldée par un échec avec la faillite de votre affaire à Tours. Cela ne vous a jamais découragé ?
Ce n’était pas un échec, c’était une leçon ! [Rires] Beaucoup appellent ça un échec mais c’est ce qui m’a permis de gagner dix ou quinze ans. Pendant un an, j’ai beaucoup appris.
Vous montrez une certaine forme de détachement.
C’est vrai, j’ai la chance de ne jamais stresser. Il ne faut pas devenir esclave de son affaire. Cela doit être même l’inverse, vous devez garder le contrôle quoi qu’il arrive. La passion ne doit en aucun cas se transformer en cauchemar, même si vous ne réussissez pas !
Vous vous faites remarquer en multipliant les ouvertures de restaurants à Paris, que cela soit des bistrots, sandwicheries ou brasseries mais aussi à l’étranger (Hong Kong, Manille, Baku, NDLR). C’est une façon de diffuser votre cuisine au plus grand nombre ?
Ma vision de la restauration est qu’il faut savoir se diversifier. Quoi que je fasse, le client du restaurant gastronomique ne va pas venir tous les jours. Comment le séduire avec une autre offre ? C’est la question clé. La solution est de multiplier les approches pour le toucher dans d’autres circonstances, quand il est au bureau ou n’a que vingt minutes pour manger. Je ne crois plus au modèle du restaurant gastronomique, ouvert midi et soir, plein en permanence. C’était peut-être une vérité il y a 30 ans mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
L’esprit d’équipe est au centre de cette vision de la restauration.
Bien sûr, il faut perpétuellement donner envie aux autres, être moteur de leur motivation. Il est hyper important que chacun de mes employés - ils sont 200 dans le monde - ne se disent pas en arrivant au restaurant qu’il va au travail quand mais qu’il se sente chez lui. Quand un de mes collaborateurs me dit qu’il a pu obtenir un crédit ou acheter un appartement grâce à son job chez moi, c’est un bonheur qui n’a pas de prix. Voir mes équipes heureuses et réussir est ma plus belle réussite.
Ce n’est pas difficile de répliquer cela dans les restaurants où vous n’êtes pas tours les jours ?
Ici, on fait de la haute couture. Les autres restaurants sont le prêt-à-porter. L’idée est la même que celle des maisons de luxe qui parviennent à insuffler une même exigence partout où elles sont présentes.
Vous faites le parallèle avec l’univers du luxe. Est-ce qu’Akrame pourrait devenir une marque ?
C’est avant tout un nom et un état d’esprit, davantage qu’une marque, même si ça pourrait le devenir. Mais avant la vision business, c’est l’humain qui compte. Je n’ai pas fait ce métier pour devenir milliardaire. Les valeurs de vie, le respect, la transmission, sont au centre de tout ce que je fais. Si demain mes restaurants mettent la clé sous la porte, j’irai faire des crêpes sur les marchés, ce n’est pas un problème !
Vous considérez-vous comme un éternel optimiste ?
Complètement. L’optimisme est mon leitmotiv. Nelson Mandela disait « Je ne perds jamais. Soit j’apprends, soit je gagne ». C’est ma vision de la vie. L’échec ne doit pas être une crainte. On me reproche parfois d’avoir une mentalité plus américaine que française sur le sujet mais pourquoi ça ne serait pas l’état d’esprit ici aussi ? La France est la « Californie de la réussite ». Il faut savoir écouter et aller vers les autres pour s’en rendre compte.
C’est un message que vous diffusez même au-delà de vos cuisines et de vos employés ?
Oui, j’interviens dans des conférences auprès de jeunes à Sciences Po ou bientôt dans le cadre de TEDx. J’estime que c’est mon devoir de porter ce discours. Si je peux aider, ne serait-ce que 2 personnes sur une salle de 400, à ne pas renoncer, à aller au bout de leurs envies, alors c’est une victoire.
C’est aussi une manière d’aller contre le pessimisme ambiant en France ?
Les Français sont extraordinaires et on a des atouts incroyables dans notre pays. Mais notre jeunesse voit souvent le rêve ailleurs, aux États-Unis ou en Asie par exemple. Et pourtant l’herbe n’est pourtant pas toujours plus verte ailleurs, au contraire.
LE DÉMÉNAGEMENT RUE TRONCHET
Après avoir bâti votre succès rue Lauriston (Paris 16ème), pourquoi avez-vous finalement décidé d’installer de manière définitive votre restaurant gastronomique, ici rue Tronchet, dans un lieu qui ne devait être qu’une adresse pop up ?
C’est le destin ! Les travaux de réaménagement de mon restaurant de la rue Lauriston n’ont pas été acceptés par la copropriété, ce qui m’a contraint à annuler le projet tel que je l’avais imaginé initialement. Dans le même temps, le lieu ici est superbe. Les habitués ont adoré. Moi aussi. Le coup de cœur a été tel que j’ai donc choisi de rester rue Tronchet.
INSPIRATIONS & INFLUENCES
Au-delà des chefs avec lesquels vous avez travaillé, êtes-vous inspiré par d’autres personnalités du monde de la cuisine ?
Alain Ducasse. Même si je n’ai jamais travaillé directement avec lui, je l’admire beaucoup. Il a donné le cap de ce que doit être le chef du XXIème siècle : multi-casquettes, cuisinier, entrepreneur, communiquant, ambassadeur, chef d’équipe capable de déléguer… L’art de s’entourer et de savoir déléguer est fondamental pour transmettre au mieux et avancer vite.
J’aime également beaucoup Jean-Georges [Jean-Georges Vongerichten, chef triplement étoilé à New York, et à la tête de nombreux restaurants partout dans le monde, à Paris, Shanghai ou Dubaï, entre autres, NDLR]. Il a compris qu’il ne pouvait rien faire tout seul et a appris à structurer et déléguer pour mieux réussir.
Est-ce que les voyages ont influencé votre cuisine ?
Les voyages ouvrent l’esprit. Où que j’aille, je regarde ce qui se passe en matière de gastronomie et de restauration, partout dans le monde. Il y a une accélération incroyable dans toutes les capitales et les grandes villes. Alors que l’on mangeait mal à Londres il y a 15 ou 20 ans, on ne compte plus aujourd’hui les très bons restaurants. Ça me pousse à aller encore plus vite dans ce que je fais.
À l’inverse, quel regard portez-vous sur la scène gastronomique parisienne actuelle ?
Paris est une ville incroyable, autant sur la scène gastronomique que dans de multiples domaines. Malgré ce que certains peuvent croire, on est encore là ! Mais il faut le faire savoir, continuer à montrer qu’on est leader sur la gastronomie et la grande cuisine. C’est pour ça que j’encourage tous les jeunes à ouvrir leurs restaurants. Plus il y a de bons restaurants, plus il y a d’émulation et plus il y aura de réussites. Il ne faut pas hésiter et foncer !
Quels sont les repas au restaurant qui vont ont le plus marqué ?
La Maison Troisgros à Roanne. J’y étais l’an dernier, c’était exceptionnel. Le Louis XV [le restaurant triplement étoilé d’Alain Ducasse à Monaco, NDLR] ou le Plaza Athénée [où officie également Alain Ducasse avec le chef Romain Meder autour du concept de la naturalité, NDLR] m’ont également marqué. Alain Ducasse a fait un grand pas en avant au Plaza, il ouvre la voie et nous montre ce que sera la cuisine de demain.
Des restaurants où vous n’êtes encore jamais allé mais qui suscitent votre intérêt ?
Asador Etxebarri, au Pays Basque [ce restaurant classé 10ème meilleur restaurant du monde par les World’s 50 Best, est situé entre Bilbao et Saint-Sébastien, NDLR]. Mais il n’y a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour faire de belles tables, on a de quoi bien s’amuser en France !
LES PROJETS
Comment envisagez-vous votre futur désormais ?
Cuisiner, créer, grandir, ici rue Tronchet mais aussi à travers mes autres projets.
À ce propos, vous ouvrez très prochainement une brasserie méditerranéenne, Shirvan, café métisse, en lieu et place du Devèz place de l’Alma (Paris 8ème) ?
Tout à fait. On va également ouvrir un nouveau concept de coffee shop, toujours dans le 8ème arrondissement. Et il y a encore plein de projets pour la suite. On est tellement contents de faire ce qu’on fait que l’on ne va pas s’arrêter en chemin !
Paris restera central dans votre développement ?
Oui, mon rêve est de remettre la France au centre du jeu, que l’on soit influenceurs sur tous les concepts culinaires. Il faut que le monde entier revienne en France chercher l’inspiration. Ma génération doit apporter un nouveau souffle pour redonner à Paris sa place de capitale incontestable de la cuisine, sous toutes ses formes, pas uniquement dans la haute gastronomie.
Le mot de la fin ?
On ne voit pas assez le bonheur et les choses positives en France alors qu’il y en a tellement. Il faut en finir avec le French bashing. De mon côté, je prône le French Power !