La Liste, la réponse française aux World’s 50 Best
On se faisait l’écho en juin dernier des réticences françaises concernant les résultats des World’s 50 Best, le classement britannique des 50 meilleurs restaurants dans le monde. L’absence de chefs - ou restaurants – français dans le top 10 dans un classement, certes controversé mais à l’impact médiatique majeur a poussé la France à réagir sous l’impulsion de Laurent Fabius, défenseur du soft power gastronomique français en sa qualité de Ministre des Affaires Étrangères.
L’objectif ? Créer une alternative à la très opaque liste des 50 Best : plus objective, plus exhaustive, plus transparente… et, in fine, redonnant à la France ses lettres de noblesse gastronomiques.
Un « classement de classements »
Plutôt qu’un nouveau vote dont la transparence aurait pu être remise en cause, La Liste (c’est le nom officiel de nouveau classement) a préféré adopter une posture d’objectivité en se positionnant comme un métaclassement sur le modèle du classement ATP ou de Rotten Tomatoes qui agrège les notes de dizaines de critiques de cinéma.
Ainsi, les avis de près de 200 guides et sites d’avis en ligne ont été consolidés à travers un système de notes harmonisées sur 100. Environ 3 500 restaurateurs (sur 150 000 sollicités) ont donné à chacune des sources utilisées leur opinion permettant de déterminer pour chacune d’entre elles un coefficient de fiabilité venant pondérer la note globale de chaque restaurant.
Un exemple des sources utilisées par pays, ici pour l'Europe Centrale et du Sud.
À noter enfin que les informations concernant spécifiquement la carte des vins, le service et le cadre ont été intégrées et que les avis des internautes en provenance de sites participatifs tels que TripAdvisor, Yelp ou OpenTable comptent pour 25% de la note finale de chaque table.
Le tout a été porté par Philippe Faure, le « Monsieur Gastronomie » de la diplomatie française, ancien patron de Gault & Millau et Président d’Atout France qui s’est entouré d’un collège de critiques gastronomiques (essentiellement français comme Thibaut Danancher, écrivain et chroniqueur gastronomique au Point ou Jean-Claude Ribaut, ancien chronique gastronomique du Monde) et d’une vingtaine d’experts internationaux, chacun spécialiste d’une région du monde.
Les cinq principaux membres de l'équipe qui a travaillé sur La Liste.
Le Top 10 sacre les chefs français
Dévoilés le 17 décembre dernier au Quai d’Orsay devant un parterre de notables de la gastronomie (grands chefs, journalistes), la liste des 1 000 meilleurs restaurants du monde met logiquement à l’honneur la France qui place cinq chefs français (Benoît Violier (1er, en Suisse), Guy Savoy (4ème, à Paris), Michel Troisgros (8ème à Roanne), Gilles Goujon (9ème, dans l'Aude) et Joël Robuchon (10ème, à Tokyo) dans le top 10.
L’objectif de redorer internationalement le blason français de la gastronomie est bien atteint tout en évitant une vision trop clairement nationaliste (pas de restaurants français sur le podium ). Et l'on peut se demander si la première position du restaurant de l'Hôtel de Ville à Crissier est vraiment le fruit d'un algorithme ou un choix délibéré tant Benoît Violier semble être le profil idéal pour incarner le visage de ce nouveau classement : ultra respecté de ses pairs mais encore peu connu du grand public, Français mais installé en Suisse, sympathique mais encore peu exposé médiatiquement.
On notera enfin que le meilleur restaurant du monde du cru 2015 des World's 50 Best (El Celler de Can Roca à Gérone) parvient à se hisser dans le top 10 là où le Noma de René Redzepi, plusieurs fois sacré dans le classement britannique, ne pointe qu'à la 217ème position.
Le Top 10 complet
Le Japon, la France les Etats-Unis et la Chine dominent le palmarès des 1 000 meilleures tables du monde
Les quatre principaux points à retenir du palmarès :
- les 5 pays les plus représentés dans le classement des 1 000 : le Japon (126), la France (118), les Etats-Unis (101), la Chine (69) et l’Espagne (59)
- les 5 pays les plus représentés dans le top 100: la France (26 restaurants), le Japon (23), l’Italie (11), l’Espagne (9) et la Chine (6)
- les 5 villes les plus représentées dans le top 1 000 : Tokyo (66 restaurants), New York (40), Paris (26), Londres (26), Séoul (25)
- les 10 chefs les plus récompensés : Joël Robuchon (11 restaurants), Alain Ducasse (7 restaurants), Pierre Gagnaire (7 restaurants), Martin Berasategui (6 restaurants), Daniel Boulud (6 restaurants), Jean-Georges Vongerichten (6 restaurants), Gordon Ramsay (5 restaurants), Yannick Alléno (4 restaurants), Wolfgang Puck (4 restaurants), Thomas Keller (4 restaurants)
La répartition par pays des 100 premiers restaurants du classement. © Dossier de presse La Liste
En Tokyo le Japon et la France, les chefs superstars français Joël Robuchon ou Alain Ducasse, le palmarès de La Liste semble s’inscrire dans celui du célèbre Guide Rouge.
Mais tout de même, le classement fait entendre sa petite musique. Ainsi New York compte sensiblement plus de tables classées que Paris tout comme Stockholm qui compte plus de restaurants listés que Barcelone, Berlin ou Copenhague.
La preuve que La Liste est plus qu'une simple compilation des tables étoilées du Michelin comme certains ont pu le laisser entendre.
Un impact médiatique international encore limité
Pour cette toute première édition de La Liste, l'impact médiatique nous a paru limité. Si les influenceurs de la sphère gastronomique et les media français ont largement relayé l’initiative, on ne peut pas en dire autant de la presse internationale qui s’est davantage contentée d’évoquer la démarche – et la « rivalité » avec les World’s 50 Best que de questionner l’utilité de ce nouveau classement ou de commenter ses résultats.
Le New York Times a ainsi évoqué La Liste dès le 12 décembre en mettant l’accent sur la réplique aux 50 Best et en dévoilant le top 10 (déjà publié en exclusivité par Le Figaro une semaine avant la cérémonie du 17 décembre). Mais après le 17 décembre, le quotidien de référence américain n’a pas commenté davantage les résultats complets de La Liste.
Cet exemple, qui n’est évidemment qu’un parmi d’autres, nous a semblé symptomatique des réactions internationales à ce nouveau classement, peut-être justement trop rationnel (ou impersonnel ?) pour susciter un véritable intérêt.
Et il n’y a guère qu’Alexandre Cammas, le fondateur du Fooding, qui ne se soit franchement indigné, dénonçant un « classement bouffon », « made in France » qui n’aurait « pas d’autre dessein que de défendre un business modèle gastronomique en perdition : le restaurant étoilé lambda » sans que l'on comprenne vraiment ce qui motivait un tel déchainement de colère (difficile en effet de comparer La Liste au Fooding...).
La Liste : que faut-il en penser ? Notre réponse en 3 points
1. Est-ce que La Liste est aussi objective qu'elle ne le prétend ?
Oui et non. En adoptant la signature « Objectively delicious, deliciously objective », La Liste a clairement voulu adopter le positionnement d’un classement à la rigueur irréprochable, et en conséquence, aux résultats indiscutables.
La démarche est louable bien sûr, et le fait qu’un nombre précis d’éléments ayant permis à la construction du classement (sources, méthodologie, formule de calcul) soient dévoilés est évidemment une bonne chose (en particulier là où les 50 Best opposent une opacité certaine). Mais en gardant confidentiels les coefficients de fiabilité attribués à chaque guide ainsi que tout ce qui permettrait de reconstruire l’algorithme, La Liste est forcément sujette à caution. Et le fait qu’elle ait été commanditée par l’Etat français et financée par des marques qui sponsorisent également les World’s 50 Best (comme Nestlé) donne indéniablement du grain à moudre aux détracteurs de ce nouveau classement, quoi qu'en disent ses créateurs.
2. Est-ce que c’est grave ?
Clairement, non. Ne l'oublions pas, il ne s’agit que d’une liste de restaurants, et les classements n’engagent que ceux qui leur donnent du crédit. La Liste, bien que dévoilée en grandes pompes et plutôt bien ficelée du point de vue marketing, n’a de toute façon ni la vocation ni la prétention de remplacer les critiques gastronomiques.
On se range derrière l’avis de Jörg Zipprick, journaliste allemand, critique gastronomique et pourfendeur de la cuisine moléculaire, par ailleurs l’un des principaux artisans de La Liste, qui pointe les limites des algorithmes en faisant le parallèle avec les résultats de recherche de Google. Il met en exergue le fait que ses articles sur la cuisine moléculaire sont ainsi bien mieux classés par Google que ceux sur le crash du vol Rio-Paris car ils ont été plus discutés et plus partagés alors que la gastronomie est indéniablement plus futile qu'un crash aérien.
Mais tout de même, on ne peut s’empêcher de penser qu’en jouant la carte de l’open data et en mettant à disposition de tout un chacun les clés de l’algorithme, les créateurs de La Liste auraient pu alors désamorcer toutes les critiques. Et réaffirmer avec nettement plus de force l’objectivité auto-proclamée de leur classement.
3. Est-ce que La Liste est conservatrice ?
Sans connaître la totalité des restaurants présents, on voit très clairement que les « grands restaurants » et les tables étoilées dominent fièrement le classement. Un rapide coup d’œil aux restaurants parisiens listés (les très grands comme Savoy, Gagnaire, Ducasse, Robuchon côtoient les institutions gastronomiques que sont le Pré Catelan, le Grand Véfour, le Carré des Feuillants ou Apicius) permet de constant de constater que La Liste ne laisse que peu de place à la nouvelle génération et aux tenants d'une gastronomie plus contemporaine.
Alors oui, La Liste est probablement conservatrice mais ne reflète-t'elle pas le monde de la haute gastronomie qui considère encore le Michelin comme le seul guide gastronomique digne ce de nom ?
4. Est-ce que La Liste est utile ?
Si elle ne révolutionne pas l’univers de la critique gastronomique, on est en revanche convaincus qu’elle a une vraie valeur ajoutée pour les gastronomes voyageurs les plus pressés qui n’auront plus besoin de courir après l’information.
Avec son interface hyper claire (elle mérite encore quelques améliorations mais la base est là et elle est solide), sa couverture internationale (près de 50 pays sont représentés) et sa liste complète de sources (une vingtaine pour les Etats-Unis par exemple), La Liste se révèlera certainement être un outil très pratique pour trouver une bonne table en un clin d’œil.
La Liste joue la carte de la simplicité avec son interface dépouillée rappellant celle de Google ou Airbnb.
Est-ce que La Liste remplace le travail de fond de guides comme le Michelin ou plus localement comme le Fooding ? La réponse est non. Tout comme il est extrêmement peu probable que La Liste ne contribue à faire émerger auprès du public des figures de la gastronomie ou de nouvelles tendances comme ont pu le faire les World’s 50 Best par le passé. Mais cela ne nous semble pas être l’objet de cette liste qui se définit elle-même comme un métaclassement avec toutes les limites que cela implique.
Le mot de la faim
On l’a compris, cette Liste n’est peut-être pas parfaite (les résultats de certains pays comme la Chine sont parfois fantaisistes) mais elle a le mérite d’exister et on ne doute pas un seul instant qu’elle trouve sa place parmi la liste des sources consultées parmi les gourmets en quête de bonnes tables. Pas de révolution donc mais un outil efficace pour ceux qui en quête de tables d’exception, partout dans le monde, sans être experts, ni passer trop de temps à faire des recherches. Reste à voir à quel point cette Liste emportera l’adhésion des gourmets du monde entier.