Les 50 meilleurs restaurants de Paris #18 : Lucas Carton (chef Julien Dumas)
Après avoir goûté la cuisine audacieuse d’Akrame Benallal dans son nouveau restaurant de la rue Tronchet, on reste dans le quartier de la Madeleine pour (re)découvrir l’un des temples de le gastronomie française, le légendaire Lucas Carton.
Le pitch : Lucas Carton, l’un des restaurants gastronomiques les plus anciens de Paris, désormais sous la houlette de Julien Dumas
Avant d’attaquer les choses sérieuses, un rapide rappel historique s’impose. Le Lucas Carton, comme le Grand Véfour, La Tour d’Argent, le Taillevent, Lasserre ou Ledoyen fait partie de ces noms familiers des Parisiens et des Français, qu’ils fréquentent ou non ces tables emblématiques de la grande cuisine française. Non sans raison. Restaurant prisé du Tout-Paris sous Napoléon III – on est en 1860, le restaurant de la place de la Madeleine s’appelle alors la Taverne de France – le lieu deviendra finalement le Lucas Carton en 1924. En 1933, alors que le Guide Michelin inaugure son système d’étoiles pour la toute première fois, le Lucas Carton fait partie des rares restaurants à en recevoir trois d’emblée. À l’instar de la Tour d’Argent, de la Pyramide de Fernand Point à Vienne ou de La mère Brazier à Lyon, ils ne sont alors qu’une poignée à recevoir la distinction suprême du Guide Rouge.
Les années 1980 marquent une nouvelle ère pour l’établissement de la famille Carton. Alain Senderens, alors considéré comme l’un des meilleurs cuisiner au monde après avoir glané trois étoiles en sept ans à L’Archestrate rue de Varenne, [qui deviendra L’Arpège d’Alain Passard après le rachat du restaurant par ce dernier, ancien disciple de Senderens, NDLR]. Il conservera les trois étoiles jusqu’en 2005, date à laquelle il décide de « rendre » ses étoiles, abandonnant – provisoirement – le nom de Lucas Carton pour transformer le 9 place de la Madeleine en brasserie de luxe.
Il faudra alors attendre 2014 pour que le Lucas Carton entame une nouvelle vie, placée sous le signe d’une gastronomie définitivement plus contemporaine. Après une crise sans précédent (la famille Vranken, nouvelle propriétaire de ce moment de la gastronomie avait du faire appel au traiteur Potel & Chabot pour assurer la continuité en cuisine, en attendant de trouver un successeur à Jérôme Banctel, le second de Senderens), une solution est finalement trouvée. Le trentenaire Julien Dumas, « Ducasse-boy » talentueux reprendra les rênes de l’institution. Il a le profil idéal. Suffisamment expérimenté pour diriger une grande brigade (merci les expériences au Plaza et au Crillon aux côtés de Jean-François Piège) et encore assez jeune pour imprimer sa marque de fabrique et s’affranchir du poids de l’histoire.
Découvrez notre entretien complet avec Julien Dumas pour en savoir plus sur son parcours, ses inspirations et sa vision.
Dans l’assiette
Ancien jeune talent de la galaxie Ducasse (le Plaza Athénée, le Rech où il fut chef), disciple de Jean-François Piège ou de Jacques Maximin, admirateur d’Olivier Roellinger, de Michel Bras ou d’Alain Passard, Julien Dumas s’est donc retrouvé propulsé à la tête de l’une des institutions culinaires parisiennes en l’espace de quelques mois. Le challenge était gigantesque. Il fallait tout à la fois réussir à montrer patte blanche auprès de la critique (le Michelin n’avait que peu goûté la délégation de la cuisine à un traiteur), faire revenir les clients déserteurs et ne pas effrayer les fidèles des fidèles d’Alain Senderens.
Un défi relevé haut la main par un Julien Dumas inspiré et inventif. Sachant s’émanciper de l’héritage Senderens, une belle dotation qui aurait pu se transformer en carcan créatif, le jeune chef n’a pas hésité à prendre des risques pour imposer son style. Fou de produits (il n’y a qu’à voir ses yeux briller quand il évoque ses producteurs) et amoureux de saveurs inattendues, il se met en tête de bousculer les habitudes en insufflant un style personnel, oscillant entre délicatesse - des harmonies, des constructions de plats - et puissance, dans les goûts notamment. En mettant de côté les produits nobles qui ont fait la réputation de la maison pour les remplacer par des créations osées (un formidable chou-fleur croustillant rôti au beurre ou un merlan croustillant au sarrasin), on ne peut pas dire qu’il choisisse la voie royale. Et pourtant, rapidement, ses créations font mouche, signe que la « greffe » Dumas a pris. « Un vrai talent de chef moderne » pour le chroniqueur gastronomique Nicolas de Rabaudy. Julien Dumas « enchante avec des mets savoureux qui fuient les paillettes et s’harmonisent avec de grands vins soyeux » pour Gilles Pudlowski. Pendant notre déjeuner, les plats s’enchaînent avec fluidité, l’élégance et le goût en fil rouge. Loin de toute esbroufe, il parvient à associer, au cœur d’un menu équilibré et millimétré, des assiettes individuellement marquantes : encornets façon ravioles servis dans un bouillon de Manzanilla aussi exotique que séduisant, des Saint-Jacques et huître géante dans un plat aux effluves marins tonitruants, un culoisel, cuit à la perfection (poché et rôti), nous rappelant que la volaille a toujours sa place sur les tables des grands restaurants. Sans épate, ni ostentation, Julien Dumas prouve qu’il est déjà un très grand cuisinier, adepte de la subtilité plutôt que de la facilité, discret à l’heure de l’impérieux besoin d’exister sur les réseaux sociaux. Il sera demain, sans l'ombre d'un doute, l’un des meilleurs ambassadeurs de la gastronomie française contemporaine.
Dans la salle
S’attabler au rez-de-chaussée du Lucas Carton, c’est d’abord s’immerger dans un monument de la restauration française, aux splendides boiseries Majorelle et aux impressionnants miroirs Art Déco. Il faut ensuite prendre le temps d’apprécier le confort des banquettes et lever les yeux vers le plafond, évoquant un cocon lumineux. Est-ce que le « restaurant apparaît comme une chrysalide » comme l’annoncent fièrement les équipes du Lucas Carton ? Difficile de répondre par l’affirmative, mais une chose est certaine, le charme intemporel de ce grand restaurant d’antan est irrésistible.
Le service
S’il reste classique sur la forme, incroyablement attentif et professionnel, avec une mention spéciale au tempo maîtrisé façon métronome du menu en six séquences, le service, lui-aussi, semble refléter la volonté de modernisation de Julien, qui ne s’arrête pas aux portes des cuisines de ses cuisines. Plus que louable, l’intention mérite s’être saluée tant il paraît impensable que la survie de ces restaurants à l’histoire centenaire ne passe pas également par un service dépoussiéré, en phase avec les attentes des clients d’aujourd’hui.
L’addition
À la carte, et pour peu que vous optiez pour le vin en accord avec votre sélection de plats, les prix grimpent vite, très vite (entrées de 39 à 60€ ; plats de 61 à 99€ ; desserts de 23 à 31€), des tarifs dignes de restaurants deux-étoiles. Le plus « raisonnable », et le plus judicieux pour découvrir l’univers délicat de Julien Dumas, consiste donc à choisir l’un des deux menus dégustation à la carte (lire détails ci-dessous).
Le mot de la fin
La mission pouvait sembler impossible sur le papier. Pourtant, Julien Dumas l’a relevée avec brio. En s’installant dans les cuisines de l’un des temples de la grande cuisine française et en succédant à l’un des plus grands chefs de l’Histoire, la pression aurait pu l’étouffer. Elle a au contraire été son moteur. En véritable compétiteur doublé d’une sensibilité créative hors du commun, il a su replacer le Lucas Carton parmi la liste de restaurants que tout bon gastronome se doit d’avoir fait à Paris.
PRATIQUE
Lucas Carton
9 place de la Madeleine, Paris 8ème
« Balade gourmande » à 89€ par personne sans vins (non servi le samedi au dîner)
« Voyage sensationnel en 6 escales » à 132€ par personne sans vins ou 182€ par personne avec l’accord mets-vins
À la carte : entrées de 39 à 60€ ; plats de 61 à 99€ ; desserts de 23 à 31€.
Ouvert du mardi au samedi au déjeuner et au dîner.
Tél. : +33 (0)1 42 65 22 90
Informations et réservations sur le site Web de Lucas Carton.