Les Indiens d'Amérique : portraits croisés sur les traces de l'ancien Empire inca
Vous connaissez les indiens d’Amérique ?
Pour ma part, je les imaginais façon Tintin et le Temple du Soleil, coiffés de plumes d’oiseaux merveilleux, visages peints, chevauchant à cru leurs méchants lamas.
Voilà plusieurs mois que nous parcourons les régions andines à la rencontre de cet aimable petit Zorrino et de ses compères du Temple du Soleil. De l’Argentine au Chili en passant par Bolivie et le Pérou, nous sommes sur les traces de l’ancien Empire inca.
C’est le plus vaste empire de l'Amérique précolombienne, son territoire s'est étendu, à son apogée, du nord de l'actuelle Colombie jusqu'au sud du Chili. Un territoire obtenu au prix de nombreuses guerres et persécutions, faisant de l’Inca l’indien le plus admiré et le plus craint d’Amérique du Sud.
Cette domination autoritaire des Incas et les conflits qui en ont découlés fonde en partie l’identité indigène moderne, entre glorification d’un passé commun et revendication des multiples cultures indiennes.
Jeune homme fier, fête aux moutons dans les Andes. Pérou. © Cédric AubertUne identité métissée
La civilisation inca a affaibli et anéanti de nombreuses cultures indigènes mais reste aujourd’hui un des fondements de l’identité indienne andine. Certains héritages « tangibles », telle que la langue Quechua, sont encore présents en Bolivie par exemple. D’autres traditions plus mystiques ont aussi trouvées leur place dans la construction de cette nouvelle identité : les rites, comme les sacrifices d’animaux, ont été intégrés dans le christianisme apporté par les colons.
Les figures religieuses s’entremêlent. Ainsi dans les Andes, la Vierge du Cerro ou Vierge du Potosi trouve son origine dans la « fusion » de Pachamama (la déesse mère) et la Vierge Marie.
Toujours dans les Andes, IIlapa, dieu du ciel, devient Saint Jacques représenté à cheval brandissant, non pas une épée, mais la foudre.
Si bien qu’aujourd’hui l’identité indienne reste floue, multiple et mouvante, un savant métissage de culture indigène et Occidentale. Par exemple, le maire de Cuzco, représentant de l’Etat péruvien, a fait ériger une statue de Pachacutec à l’hommage « des victimes de l’invasion » et « des héros de la résistance andine », dans sa ville, capitale de l’ancien Empire inca.
Depuis les années 1990, il semblerait que le sentiment d’appartenance à la culture inca et plus largement indigène, fasse un grand retour en Amérique du Sud. Un phénomène prophétisé par Tupac Amaru II, empereur inca, en 1881, lors de son exécution par les conquistadores : « Je reviendrai et je serai des millions ».
Mondialisation et voyage
Dans la Quebrada Humahuaca, au nord-ouest de l’Argentine, une zone reculée à plus de 4 000 mètres d’altitude, nous pensions enfin rencontrer ce fameux et véritable inca. Mais c’est Miguel, smartphone dans une main, skateboard dans l’autre, que je rencontre, il essaie de me fourguer un puyo, sorte de tapis indien en toile tressée et teintée. Il parle espagnol, couramment anglais et quelques mots de français.
Mais où est le petit Zorrino ? Qu’est-il advenu de l’Indien en Amérique du Sud ? Les « vrais » indiens existent-ils toujours ?
Oui et non. Il a évolué, changé, muté, il s’est mélangé, a voyagé et c’est ouvert à d’autres cultures, comme chacun sur cette terre.
Il a conservé ses fêtes traditionnelles, son folklore, ses savoir-faire, et semble-t-il ses croyances, tout en intégrant Internet, Nike et le Barça. Grâce à la mondialisation, on pourrait croire que beaucoup de choses nous rapprochent de cet indien, mais le fossé reste immense. Ce que nous croyons partager nous rapproche moins que ce qui nous distingue.
Nous ne sommes attirés par ce qui nous distingue, lui par mes lunettes polarisées et mes dollars, moi par son folklore et son tapis. Plus qu’étrangers, nous sommes deux êtres étranges l’un pour l’autre.
Nos regards sont fuyants, les quelques mots échangés sont superficiels, sans intérêt. Notre échange reste mercantile.
Ce type de rencontre ne cessera de se produire en Argentine, ou au Chili. Moi qui voulais percer le mystère de l’Indien d’Amérique, me voilà bien avancé.
Plus tard dans notre voyage, nous passerons près d’une semaine isolés chez Eduardo, un indien Aymara de l’île d’Amantani sur le lac Titicaca.
Sur cette île, pas de police, pas de représentant de l’Etat, pas de tribunal, pas de téléphone, pas de monde moderne. Tout est transmis oralement par et pour la communauté, et ce depuis des siècles.
Les habitants parlent un mélange d’Aymara et de Quechua, les langues de l’antique empire Inca. Ils ont gardé leurs coutumes ancestrales : pêchent, cultivent leurs champs terrassés, taillent la pierre, fabriquent des tables, des pots, diverses céramiques et constructions, à la manière des anciens.
Edouardo et moi n’avons en apparence rien en commun : il n’a rien et moi j’ai tout. Ou plutôt je n’ai que le superflu alors qu’il a l’essentiel. Nous devenons immédiatement amis.
Nos différences sont bien vite effacées face à une volonté commune de partager et de découvrir. Il voulait savoir comment faire venir plus de monde sur son île et arrêter d’être escroqué par les agences touristiques, je voulais connaître la magie des pierres et apprendre quelques rudiments de Quechua.
Eduardo pensif. © Cédric AubertQuelles conclusions tirer de ces rencontres ?
À vouloir se copier et se ressembler, l’indifférence prend le pas sur l’échange. On ne remarque que ce qui nous distingue, c’est-à-dire plus grand chose. En cultivant nos différences en revanche, on crée de la curiosité, de l’étonnement, parfois même de la fascination, pour mieux nous inciter à découvrir ce qui nous rapproche.
Je crois que c’est l’objet de tout voyage : découvrir les liens universels entre les Hommes, quelles que soient leurs cultures.