Sombre Amazone - De Juliaca à Porto-Velho (Partie 1)
Traverser l’Amazonie ?
Voici près de quatre mois que nous arpentons l’Amérique du Sud avec notre 4x4 acheté à Santiago. Après plus de trois mois passés dans les Andes, notre prochaine étape est l’Amazonie. Toutefois, une question se pose : comment traverser l’Amazonie en voiture, où le moyen de transport n°1 est le bateau ? Les forums de voyageurs évoquent des traversées depuis le Pérou de Puerto Maldonado ou plus au Nord depuis Iquitos, jusqu’à Bélem au Brésil en passant par Manaus, mais aucun ne précise s’il est possible de charger une voiture sur les bateaux. Autre élément à prendre en compte, nous sommes en pleine saison des pluies. Pas le choix, contourner l’Amazonie nous amènerait à faire un détour de plus de 8 000 kilomètres par le centre du Brésil. Puis nous avons vraiment envie de découvrir cette formidable forêt.
C’est donc décidé, nous rejoindrons le Brésil depuis le Pérou par Inapari, puis continuerons en voiture jusqu’à Manaus par l’Interoceanic Highway. De Manaus nous embarquerons nous trouverons une embarcation capables de nous transporter avec notre 4x4 jusqu’à Belém. Le point le plus au Nord de notre périple.
Juliaca, début de l’aventure
Nous voilà donc parti de Juliaca, grande ville aux bords du lac Titicaca, au Pérou, pour la frontière brésilienne et Inapari. On quitte donc l’Altiplano péruvien, empruntant l’Interoceanic Highway, la Route 66 du 21ème siècle : plus de plus de 2500 km de routes asphaltées rejoignant la côte du Pérou, à travers les hautes Andes, au cœur de l'ancien empire inca, jusqu’aux profondeurs de l'Amazonie brésilienne. Un projet pharaonique achevé en juillet 2011, qui bien qu’améliorant la vie des locaux, semble aussi faciliter aussi celle des trafiquants de drogue, des mineurs d’or illégaux et autres entrepreneurs peu scrupuleux. Les écologistes, quant à eux, dénoncent les destructions engendrées par ce projet : déforestation, pollution, …
Il faut dire que la route est surprenante. Peu à peu la flore d’altitude andine, ratatinée et tordue laisse place aux pentes des sierras arrosées, découvrant une luxuriante forêt de brouillards. Le silence fait place au vacarme de la forêt, vivante et mouvante, dense et exubérante. L’horizon jusqu’alors lointain et clair disparaît, à sa place la jungle et ses (zones) d’ombre. Il fait chaud, mais surtout humide. Notre environnement devient plus hostile, moins prévisible.
L’actualité sociale ne facilite rien : les mineurs, indépendant au Pérou, manifestent contre l’Etat cherchant à règlementer la profession. La population entière soutien le mouvement, bloquant les routes et assiégeant certaines villes. Pour rejoindre la frontière, nous sommes à plusieurs reprises bloqué par les barrages de ses révolutionnaires de la machette. L’armée est là aussi, avec ses tanks, ses mitraillettes et ses cagoules. Bref, un bon petit comité d’accueil pour notre arrivée en Amazonie.
Nous dormons dans la voiture, la chaleur et l’humidité nous mettent au supplice. Il nous faudra plus de 3 jours pour parcourir les 700 kms séparant Juliaca de Inapari. Enfin le Brésil.
L'arrivée au Brésil et les premières galères
Notre prochaine étape doit nous amener à Porto-Velho.
Rapidement nous comprenons que nous avons oublié un problème de taille : ces gens-là parlent portugais. Nous ne parlons pas portugais, pas un mot. Se faire comprendre et comprendre est compliqué. Dur. Frustrant. Par ailleurs, le brésilien d’Amazonie n’est pas un bavard, comme si chacun économisait ses paroles étant né avec un nombre déterminé de mots.
Les quelques mots émis et compris sur la route nous apprennent que, peut-être, la route jusqu’à cette ville est coupée, submergée par la crue du Rio Madeiro. Pourquoi ? Comment ? Où ? Quelle alternative ? Pas de réponse.
On verra bien. On continue. Voilà déjà 4 jours que l’on roule, le retard s’accumule, il faut avancer. Ce soir on dormira sur le bord de route.
Vers 23h, la fatigue me gagne, je décide donc de prendre un petit chemin de terre pour nous éloigner de la route et dormir. A peine quelques mètres franchis, je comprend l’erreur : ne pas conduire de nuit, encore moins sur des chemins de terre, en pleine saison de pluie. Résultat, le 4x4 patine, glissant sur le bas côté. Avant, arrière, mode 4x4, pelletage, rien n’y fait : il est près de minuit et nous sommes embourbés au milieu de nulle part. Rien ne sert d’aggraver la situation, énervés et complètement désemparés, l’on finit par s’endormir. Demain est un autre jour, j’irai certainement rejoindre la route pour chercher de l’aide.
Aux premiers rayons de soleil, je me lève, bien décidé à régler le problème tout seul, je me suis mis là dedans, je m’en sortirai, comme un grand ! Je scrute les alentours à la recherche d’une idée, d’un arbre pour attacher, de planches pour déblayer : Bingo : une clôture. Je parviens à arracher quatre planches bien plates, que l’on glisse sous le 4x4. Après plus de 3h à lutter dans la boue, centimètres après centimètres, l’on parvient à sortir Donki – notre pick-up - de là. Super fiers et remontés à bloc, on reprend la route.
Des inondations massives
Vers 12h, fin de la route. Elle disparaît sous un véritable lac d’eau, résultat des pluies diluviennes de ses dernières semaines. La crue du Rio Madeira a recouvert sur plusieurs kilomètres les environs, routes, maisons, stades, arbuste : tout est submergé sous plus de deux mètres d’eau. Un spectacle surnaturel. Cela fait 30 ans que la région n’avait pas connu de telle inondation. Du coup, à événement exceptionnel, mesures exceptionnelles : une barque d’acier de plusieurs dizaines de mètres a été affrété et permet de transporter les voitures, camions et passagers voulant se rendre de l’autre côté. Un autre côté situé à présent à plus de 25 kms. C’est hallucinant ! Du jamais vu pour nous et pour les habitants de cette région pourtant souvent inondée.
Pendant la traversée, je discute avec Jorge, j’apprends qu’il vit près de Rio Branco, une zone non-inondée, mais qu’il est ici car il a de la famille qui habite dans le coin et n’a plus de nouvelles depuis plusieurs semaines. Bien sûr, toutes les communications sont coupées, plus d’électricité, plus de téléphone. Je sympathise aussi avec un groupe de pompiers, il m’explique que leur régiment a été mobilisé pour aider la population locale, mais eux-mêmes ne savent pas trop par où commencer. « Peut-être que l’on va dans ce village » me disent-ils. « Par contre, vous, vous n’arriverez pas à Porto-Vehlo, la route à nouveau submergée plus loin… à moins qu’il y a d’autres navettes ? »
Il est déjà 15h, il fait chaud, humide. Le thermo indique plus de 40° et les moustiques s’invitent à la fête. Arrivés de l’autre côté, on reprend la route. Pas pour longtemps, à nouveau la route disparaît sous le fleuve sorti de son lit. Cette fois-ci, c’est un camion qui permet de faire la traversée. Le chauffeur m’explique que la route est submergée sur plus de 30 kilomètres parfois sous plus de deux mètres d’eau, et que pour traverser cela me coutera 350 R$ soit plus de 120€. Je le regarde, lui et son camion, pensant : deux mètres d’eau ? tu me prend vraiment pour un touriste ? t’as vu ton camion ? il est pas assez haut pour passer. En plus, tu te gaves mon vieux, 120€ pour 30 km. Pas mal !
On fait le point avec Julie, nous sommes la seule voiture hormis un petit pick-up Fiat. « Ne tentons pas le diable, dois-je te rappeler que nous étions embourbés ce matin dans à peine 20 cm de boue ? »
On charge Donki, sur le camion. Nouvelle expérience de transport. A peine quelques kilomètres plus tard, on est bien content d’être sur le camion. Comment fait-il pour ne pas noyer le moteur ? Drôle d’impression que de rouler dans un immense lac, surtout quand on croise des pirogues et des panneaux de signalisation routière ! Probablement le moment le plus « WTF » de notre périple.
1h30 plus tard, la route réapparait enfin. « Ciao amigo » me lance le chauffeur du camion. « Ne traîne pas trop car dans 50 kilomètres tu dois reprendre un autre camion. » Julie en a ras-le-bol, moi j’adore ça j’ai l’impression d’être dans un parc d’attraction, tout est tellement surnaturel. Cette fois-ci, le trajet en camion-flottant est plus court, à peine 40 min. C’est bon à présent, la route est safe jusqu’à Porto-Vehlo. Vers 20h, on arrive enfin dans cette ville portuaire, elle aussi inondée : des quartiers entiers sont sous l’eau. Des camions de marchandise garés sur le bord des routes. à perte de vue Pas bon signe. En effet, il s’avère qu’ils sont bloqués : la route pour Manaus n’est pas praticable. Le seul moyen de rejoindre la capitale de l’Amazonie est par le fleuve. 5 jours de traversée. Alors chacun attend patiemment sont tour.
Ce soir on prend un hôtel, histoire de récupérer après 4 jours de route éreintants et se préparer pour la traversée en bateau.