Sombre Amazone - De Porto-Velho à Belém (Partie 2)
L’enfer de Porto-Velho
Ce matin nous partons pour le port, bien décidés à quitter cette ville au plus vite.
On tombe rapidement sur un fonctionnaire très sympa, il nous explique comment ça marche, qu’il faudra mettre le 4x4 sur une barque-marchandise et que nous devrons prendre un autre bateau pour passagers. On lui explique qu’il est hors de question, que l’on naviguera sur le même bateau que notre véhicule, qu’il doit bien y avoir une solution. Il nous recommande donc un type Tiago Brazil. Après coup, rien que son nom sentait déjà l’embrouille. La communication est difficile avec Tiago : je ne comprend rien de ce qu’il dit, il ne me comprend pas. Toutefois, je parviens à saisir qu’il peut nous faire partir dans l’après-midi, ce jour même, notre 4x4 et nous deux. Très bonne nouvelle. Bon par contre, c’est un peu cher, mais oui tu comprends avec les inondations, vos délais, le fait que vous ayez une voiture, etc… 1200R$ soit plus de 450€ pour 1 voiture et 2 hamacs pensions complètes. On fait le tour de la concurrence, et grosso modo, chacun nous propose le même tarif, mais aucun ne part aujourd’hui. On négocie à 1 000R$ puis on accepte : on paie la moitié maintenant, le reste sur le bateau. Nous nous installons donc dans le restaurant du port, notre bateau doit partir dans quelques heures, Tiago viendra nous chercher.
Après 5 heures passées à errer dans le port, on doit se rendre à l’évidence : aucun bateau ne partira aujourd’hui. Finalement, Tiago nous retrouve : son bateau a pris du retard, il partira demain matin. Rendez-vous à 8h pour l’embarquement.
8h pétantes le lendemain, nous sommes au rendez-vous. Une heure plus tard aucune trace de Tiago. Notre ami fonctionnaire vient finalement me voir : « Tiago est retenu ailleurs, il viendra cette après-midi, il vous attendra au restaurant. »
On comprend alors que notre « ami » arrondi en fait sa paie par les rétro-commissions de Tiago.
On est bloqués de toute façon, on attend, donc, encore dans l’espoir d’avoir une barque d’ici ce soir, mais aujourd’hui non plus, pas de bateau.
J’explose : « putain d’enc***, ça suffit de nous prendre pour des c*** maintenant, soit demain matin, tu me montres le bateau et avant midi on part soit tu me rend mon argent et on se barre » en français dans le texte. Je traduis en portugais pour Tiago, pas besoin de beaucoup de vocabulaire, il comprend vite. Les langues se parlent non pas avec le cerveau mais avec le cœur et à ce niveau, je n’ai aucun problème pour exprimer mon énervement.
J’ai donc rendez-vous le lendemain matin avec le capitaine du bateau. Pas bavard et plutôt méprisant, il m’explique que son équipage a pris du retard dans le chargement du bateau, mais ce soir avant 18h, promis, nous partirons pour Manaus. Il me montre même l’emplacement réservé pour notre véhicule.
On se concerte avec Julie : nous n’avons pas plus de garantie que notre bateau partira ce soir, que vaut la promesse de cette homme ? En même temps, nous n’avons pas d’autre solution : nous sommes entourés par les eaux. L’autre itinéraire nous ferait faire un détour de 3 000 kilomètres dans les terres du Brésil. Naviguer sur l’Amazone fait tout même plus rêver.
On choisit donc d’attendre, encore. Enfin, nous y sommes c’est le moment d’embarquer.
« Mais vous n’êtes pas sérieux ? Vous voulez vraiment que je passe par là pour conduire le 4x4 sur le bateau ? » Ces Brésiliens sont complètement fous !
Par miracle, nous sommes à bord. Notre bateau est en fait une large barque de 15 mètres de long sur 5, poussé par un bateau en bois, tout en rondeurs, à la coques et aux ponts incurvés, semblable aux jouets de notre enfance. On prend nos quartiers. Ce qui consiste à tendre nos 2 hamacs entre Donki et une autre voiture, et à tirer la bâche pour se protéger des intempéries et du soleil. Nous sommes tellement contents et soulagés. La nuit sera bonne.
Une vie de matelot
A nous la vie de matelot, ses bouteilles de rhum/cachaça, ses histoires de piraterie, ses jambes de bois et ses cartes au trésor.
La vie à bord du Manausem est moins fantasque, plus monotone. Le Rio Madeira puis l’Amazone, sont deux fleuves tranquilles, aux eaux sombres, et aux rivages éloignés - la largeur de ce dernier atteint jusqu'à 14 km, autant que le Lac Léman- si bien que le spectacle de la jungle ne se joue qu’en miniature.
Ce n’est que lorsque que le cours d’eau se rétrécit que, paradoxalement, la nature paraît si gigantesque, immense et pleine de vie.
Voici le carnet de bord d’un matelot d’eau douce :
13 avril 2014
Réveil, 5h45, avec le soleil.
Petit-déjeuner, 7h, sous le soleil
Déjeuner, 11h15, avec le soleil. Riz, haricots, farofa et viande.
Dîner, 17h, au coucher du soleil. Riz, haricots, farofa et viande.
Coucher, 19h, sous les étoiles
14 avril 2014
Réveil, 5h30, avec le soleil
Petit-déjeuner, 5h40, sous le soleil, accablant.
Déjeuner, 11h30, avec le soleil. Riz, haricot, farofa et langue de porc.
Dîner, 17h, au coucher du soleil, Riz, haricot, farofa et langue de porc et poulet.
Coucher, 21h, sous les étoiles
15 avril 2014
Réveil, 2h30, sous la pluie
Voilà deux heures qu’il pleut des trombes, un vent de tempête s’engouffre à chaque bourrasque dans notre abri de fortune. Tout à coup, dans un énorme vacarme de bois qui craque et de d’acier qui couine, gros stop : nous sommes brutalement à l’arrêt. Que se passe-t-il ? Trois membres de l’équipage passent en courant devant notre campement vers l’avant de l’embarcation. Je les rejoins, découvrant le carnage : 4 arbres longs de 10 mètres sont couchés sur la barque, arrachés par la violence de l’impact, des bananes et des palmes sont éparpillées, face à nous une densité sombre et touffue, bruyante : la terre ou plutôt une île, nous avons percutés une île. On fait rapidement l’inspection du bateau : rien de cassé, tout est intact. L’embarcation fait marche arrière et se dégage sans difficultés. Tout le monde retourne se coucher.
Petit-déjeuner, 8h , sous la pluie
Déjeuner, 11h30, sous la pluie. Riz, haricot, farofa et poisson
Dîner, 17h, pas de coucher de soleil Riz, haricot, farofa et poisson grillé
Coucher, 19h.
16 avril 2014
Réveil, 6h, sous la pluie
Petit-déjeuner, 8h, sous le soleil
Déjeuner, 11h20, sous le soleil. Riz, haricot, farofa et poisson
Dîner, 17h30, au coucher du soleil. Riz, haricot, farofa et viande
Coucher, 22h, sous les étoiles
17 avril 2014
Réveil, 6h, dans le port de Manaus
Petit-déjeuner, 8h, sous le soleil
Nos adieux à l’équipage du Manausem
Entre ces temps forts, pas grand chose. De temps à autre, un boto, dauphin de l’Amazone, un buffle sauvage, un cobra. Un peu de lecture, on range, on astique, on nettoie, vérification des amarres, leçon de portugais, … on s’occupe comme l’on peut à bord du Manausem. Chaque pirogue de commerce qui nous rend visite est un événement : noix de coco, noix d’acajou, cacao, maracuja, bananes, et pleins d’autres fruits inconnus.
« Ceux qui ont survécu à l’Amazone »
Nous voici arrivés à Manaus, capitale brésilienne de l’Amazonie. Mais dans une ville de deux millions d’habitants, difficile de sentir la présence de cette immense forêt. Tout n’est que béton, goudron et pollution. Nous devons prendre un nouveau bateau, pour Bélem cette fois-ci.
Trois jours plus tard nous sommes à bord du Liberty Star. Rien à voir avec le Manausem. Le Liberty est un gros navire de trente mètres de long sur trois étages, plus d’une centaine de passagers s’entassent au second niveau et s’installent dans leur hamac.
Ce n’est que le troisième jour que notre expédition sur le Liberty devient intéressante. En escale dans une ville au nom inconnue, pour une durée inconnue, nous partons, Julie et moi, à la recherche de glaces. La ville est inondée, quelle surprise, ce qui ne facilite pas la progression dans les rues. Finalement, je dégote une petite fabrique de glace, je rejoins Julie resté en amont, quand celle-ci m’annonce, paniquée : « Cédric, le bateau est parti, sans nous ». Je cours des les rues, enjambes les étals de fruit sur le passage, arrive au bout du ponton et crie et siffle de toutes mes forces notre bateau déjà au loin. Tout est à bord, notre voiture, nos affaires, notre argent, nos passeports.
Ouf, le bateau nous a vu, il ralentit, mais contre toute attente, il continue sa route. Merde. J’interpelle, un badaud, demandant de l’aide : « auriez vous un bateau, pour nous amener jusqu’à notre bateau qui est parti ? ». Un petit pécheur sort de nulle-part, sur son épaule, un moteur de tondeuse à gazon. « Suis-moi », me lance-t-il. On monte dans son embarcation, il installe son moteur de tondeuse. C’est parti. Notre hors-bord se lance à la poursuite du gros paquebot. Tondeuse à gazon contre Titanic. Le trajet jusqu’au Liberty semble durer une heure, j’écope, j’écope pendant que notre sauveur appuie sur le champignon. La situation n’aurait pas été aussi stressante, nous en ririons.
Nous arrivons enfin à nous amarrer au bâbord du navire. Julie s’accroche à une grosse baderne pour tenter de monter à bord, mais dans son impulsion, dégage notre barque. Mon sauveur et moi nous retrouvons dans le courant, décrochés à plusieurs mètres du bateau, nous le contournons et tentons une approche à tribord. A ce moment, Julie disparaît de mon champs de vision : elle est resté accrochée à la baderne, il faut absolument que je monte rapidement à bord pour la rattraper avant quelle ne tombe. Trop tard. Elle n’a pas tenu, quand je suis enfin à bord, Julie a disparu, je l’aperçois enfin au loin dans une bouée de sauvetage. Notre sauveur la rejoint et quelques minutes plus tard elle parvient à monter à bord, trempée et choquée, mais indemne.
C’est à ce moment que plusieurs passagers nous rejoignent, en pleurs, prenant Julie dans leurs bras, remerciant le ciel. Ils nous expliquent alors qu’elle est passée à deux doigts des hélices et que c’est un miracle qu’elle soit sauve. Du jour au lendemain, les gens nous sourient, nous saluent, nous passons du statut d’étranges gringos à celui de miraculés, « ceux qui ont survécu à l’Amazone ».
Le reste de la traversée se déroule sans accrocs, pas d’île percutée, pas de plongeon dans l’Amazone, plus de retard, après plus de trois semaines d’un périple surréaliste, entre rêve éveillé et cauchemar bien réel, nous arrivons enfin à Bélem, épuisés mais ravis.